Syndicalisme
Entre crise et contractualisation

Isabelle Doucet
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Le 77e congrès de la FDSEA de l’Isère s’est tenu le 18 mars à Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs. Sur fond de crise internationale, les débats ont porté sur la souveraineté alimentaire et la contractualisation.

 Entre crise et contractualisation
Le 77e congrès de la FDSEA de l'Isère s'est déroulé le 18 mars à Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs.

« Nourrir la France, en 2021, nous l’avons déjà fait, lance Jérôme Crozat, le président de la FDSEA de l’Isère, lors du congrès qui s’est déroulé le 18 mars à Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs. Tous secteurs confondus, nous avons assuré nos missions de production. Aujourd’hui aussi, on va nous demander de continuer à travailler, mais lorsqu’on cumule l’augmentation de toutes les charges, cela donne une somme supérieure à notre EBE (1). Faudra-t-il aller pomper dans nos réserves privées pour payer nos emprunts ? »


Au drame humain de la guerre en Ukraine s’ajoute une déstabilisation de tous les marchés internationaux.
Et le patron de la FDSEA dénonce un système devenu incohérent.
Surtout, les agriculteurs ont besoin d’être aidés dans cette situation inflationniste pour continuer à produire viande, lait, légumes, fruits et céréales.

600 000 vaches en moins

Il a donc été largement question des retours attendus de la loi Egalim2 et de contractualisation lors des débats avec l’assemblée composée d’adhérents et d’élus locaux.
D’autant que l’invité de marque était Cédric Mandin, secrétaire général de la  Fédération nationale bovine (FNB). Ce Vendéen, éleveur de bovins de race charolaise, est venu présenter la mise en œuvre de la loi Besson-Moreau du 18 octobre 2021, dite Egalim2.


Il rappelle que la viande, « variable d’ajustement », avait un besoin criant d’adéquation entre son prix et les coûts de production.
Évolution des prix à l’appui, il montre que l’indice des prix à la consommation est rattrapé par celui des charges, sans que jamais le prix du gros bovin ne puisse combler le delta.
« Il n’y avait pas de rentabilité avant, il n’y en a toujours pas aujourd’hui », constate Cédric Mandin. Il ajoute « en 5 ans de décapitalisation, 600 000 vaches, laitières ou allaitantes ont disparu » en France.
Mais il « croit en la loi Egalim pour stopper la dégradation ».

Repousser la pression

La loi impose, depuis le 1er janvier dernier, que tous les jeunes bovins et les génisses de race à viande soient contractualisés.
Le 1er juillet prochain, ce seront les broutards mâles et femelles et le 1er janvier 2023, tout le cheptel, races allaitantes, laitières ou mixtes, sera concerné.
L’esprit de la loi est de sacraliser le contrat « pour repousser la pression après les acteurs de la première mise en marché ».

 
Plusieurs cas de figure selon que l’éleveur travaille de gré à gré avec un négociant ou dans le cadre d’une OP sont possibles, mais le contrat reste la loi.
Il laisse la liberté aux éleveurs d’avoir plusieurs contrats. Ils sont établis pour une durée de trois ans et c’est l’éleveur qui propose sa marchandise.

Repousser la pression

Quant à la formule de prix, elle est fondée sur l’indice de référence (c’est-à-dire les coûts de production) et le prix du marché (cotation FranceAgriMer).
Ce prix n’est pas figé. La FNB a rendu publics les coûts de production et les indicateurs de marché, dévoilant des cotations très hautes, dépassant la barre psychologique des 5 euros.
« Ce qui est le plus important, ce sont les coûts de production », insiste le secrétaire général de la FNB. Pour lui, il y a une chance à saisir car les animaux se font rares à l’entrée des abattoirs, en France comme ailleurs en Europe.


« Le plus gros des abatteurs se bat pour avoir des animaux », assure-t-il en s’adressant aux laitiers : « Vous avez de l’or dans les mains, tout le monde veut du minerai pour faire du steak haché ! »

Pour l'installation

« Enfin une loi qui générera une marche en avant et tient compte de la matière première produite dans nos fermes », s’est satisfait l’ancien patron de la FDSEA, Pascal Denolly.
Il reste cependant prudent face au risque inflationniste, se demandant si la clientèle pourra payer ou si elle ne sera pas tentée par des produits d’importation.
Cédric Mandin décrit un contexte international déstabilisé, des marchés qui se ferment outre Atlantique et des prix qui grimpent.
David Rivière s’interroge quant à lui sur le système dérogatoire du marché du vif qui risque d’attirer « ceux qui ne veulent pas contractualiser ».


Le secrétaire général de la FNB y voit une dimension complexe et se montre réservé pour le marché du vif.
Il conclut son intervention en disant que cette loi est une chance, notamment pour l’installation « car elle nous projette vers l’avant ».

Demi-tour

« Cela fait plaisir d’entendre qu’il faut trouver des solutions pour installer les jeunes, a déclaré Jocelyn Dubost à l’issue des débats. La loi Egalim ne vient rien voler, juste réclamer ce qui est dû. » En revanche, il se dit déçu par le plan de résilience.


C’est la députée Monique Limon, qui a pris le temps d’en rappeler les grandes lignes : remise de 15 cts HT/l à la pompe concernant le carburant ; remboursement anticipé de la TICPE (2) et acompte de 25 % ; aides à la consommation de gaz et d’électricité pour les ETA et ETF (3) ; aide de 400 millions d’euros pour l’élevage ; de 60 millions d’euros de prise en charge des cotisations sociales etc. Elle a aussi énuméré les différents plans par lesquels l’agriculture est concernée.
« On fait marche arrière avec des demi-tours », a observé Jérôme Crozat au regard de tous les renoncements politiques.
Il pointe le « populisme écologique, très fort sur la PAC, mais qui cède le pas au raisonnable, car il faut produire pour nourrir tout le monde ». Mais pour lui, les mesures du Gouvernement « ne vont pas assez loin ».


Le président de la FDSEA a aussi posé la question des négociations dans les OP laitières. Elles sont nombreuses en Isère. « Peu ont signé, et c’est tant mieux. La demande est énorme ». Les prix grimpent à 405 ou 410 euros/ 1 000 litres. « À nous de saisir la balle et de ne pas lâcher des prix trop bas », demande-t-il aux responsables d’OP. Son idée : créer une inter OP « car nous avons de l’or blanc entre les mains ».

Isabelle Doucet

(1) Excédent brut d’exploitation
(2) Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques,
(3) Entreprises de travaux agricoles, Entreprises de travaux forestiers

En euros constants
Aurélien Clavel, vice-président de la FDSEA de l'Isère.

En euros constants

Aurélien Clavel, vice-président de la FDSEA, a présenté en congrès les principaux changements de la future PAC. 

« On a frôlé une baisse de 20% du budget de la PAC », assure Aurélien Clavel, le vice-président de la FDSEA de l’Isère, au moment de présenter les contours de plus en plus précis de la future politique agricole commune.
Elle entrera en vigueur en 2023, les années 2021 et 2022, transitoires, ayant fait l’objet d’une reconduction à l’identique de la précédente PAC. 
La crise sanitaire a ramené les penseurs de Bruxelles à la raison concernant la souveraineté alimentaire, maintenant le budget en euro constant, donc sans tenir compte de l’inflation.
« En Isère, le montant des aides s’élève à 72 millions d’euros. Elles étaient de 50 millions il y a 5 ans », avance Aurélien Clavel.
La nouveauté du PSN, le plan stratégique national, lui fait craindre des risques de distorsion de concurrence entre Etats, pour peu qu’un pays décide de se focaliser sur un secteur au risque de déstabiliser ses partenaires européens. 
Le responsable annonce aussi que le Plan protéine ramènera, à partir de 2024, 23 millions d’euros dans le cadre des programmes opérationnels. D’autres secteurs pourront bénéficier d’une enveloppe totale de 10 millions d’euros. 

Vigilance

Sur le premier pilier, le grand changement vient des écorégimes. L’aide à l’hectare est désormais composée des Droit à paiement de base (DPB), du paiement redistributif et des aides couplées. Le paiement vert intègre les DPB, rehaussé de l’écorégime.
La conditionnalité demeure avec les Bonnes conditions agricoles environnementales (BCAE). L’écorégime comptera pour 25 % du budget du 1er pilier.
Trois voies permettront d’y accéder : les pratiques agricoles, les certifications et les infrastructures agroécologiques. Le niveau standard s’élève à 60 euros/ha. Les certifications concernées sont la bio et la HVE pour environ 80 euros/ha. « Les pratiques de gestion agroécologiques restent à définir. Nous sommes vigilants », explique Aurélien Clavel.
Mais les agriculteurs sont surtout étonnés de la mise en place de la surveillance satellite de leur parcellaire, d’autant qu’en cas d’erreur, ils auront peu de temps pour les corriger. 
2022 sera une année blanche et la FDSEA proposera des formations à cette nouvelle PAC.
Jérôme Crozat précise par ailleurs que le curseur à bougé concernant les aides couplées sur les UGB. Elles sont passées à 40 euros par UGB et par associé en lait et à 120 euros en viande. Il y voit la poursuite du déclin de la production laitière. « On ne revient jamais en lait », prévient-il. 

ID

Echos du congrès
Le sénateur Didier Rambaud et les députées Cendra Mottin et Monique Limon étaient présentes.

Echos du congrès

Pommes de terre semences
Jérôme Crozat va offrir 5 kg de pommes de terre semences au député de la 2e circonscription Jean-Charles Colas-Roy « qui n’a pas voulu venir au congrès de la FDSEA l’année dernière ». Il lui propose de les faire pousser sur un rond-point « sans traitement, ni engrais », cela pour le remercier d’avoir voulu taxer l’azote, dont le cours est passé de 300 euros la tonne à 1 300 euros…
Il fera le même cadeau au préfet de l’Isère qu’il « trouve frileux sur la question de la dérogation de l’eau ».

Pensée
« Un repas devrait toujours être accompagné d’une pensée pour ceux qui ont labouré la terre ». Michel Veyron, le maire de Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs, qui recevait le congrès, a dit tout son soutien aux agriculteurs. Il déplore la disparition des exploitations laitières dans sa commune, mais se réjouit de la construction d’un méthaniseur agricole.

Corps intermédiaires
« Nous avons besoin du syndicalisme pour avoir les retours du terrain. Ces corps intermédiaires sont fondamentaux », s’est exprimé Yannick Neuder, vice-président de la Région et président de Bièvre Isère Communauté.

Une certaine idée de la ruralité
« Nous ne lâcherons rien », a répété plusieurs fois Jean-Pierre Barbier, le président du Département « face à une minorité agissante qui porte l’idée d’une écologie dogmatique, punitive et culpabilisante ». Grand défenseur de l’agriculture et de la ruralité, il déclare : « Elle n’existe que parce qu’il y a des agriculteurs – sinon, ce serait une zone dortoir -, mais aussi des chasseurs. »

Une PAC à votre niveau
La députée Cendra Mottin, qui a été vice-présidente de la commission d’enquête sur la loi Egalim 1, estime qu’il « n’est pas possible d’avoir une agriculture décroissante pour nourrir la France et l’Europe ». Elle se veut rassurante quant à la future PAC « qui oblige tous les pays à se mettre à votre niveau, celui de la France, pour être dans une concurrence loyale, mais qui permet aussi de produire ».

Propriétaires ruraux : un congrès en juin
Le Vercors accueillera le congrès national des propriétaires ruraux, le 2 et 3 juin prochain. Au programme : le droit de propriété et ses limites.

Loup : demander des tirs de défense
Christophe Gabert, le référent loup de la FDSEA, a imploré les éleveurs à demander des tirs de défense. Le prélèvement des loups fait en effet l’objet d’une gradation : tirs de défense simple, renforcés, de prélèvement, intervention des louvetiers et de la brigade loup. La population lupine est galopante en Isère, or 110 possibilités de tirs de défense, qui déclenchent le processus, n’ont pas été utilisées par les éleveurs.

Pour les aides familiaux
Jean-François Robert, le président de la Section des anciens exploitants agricoles (SDAE), « continue la lutte ». Après la revalorisation des retraites, les anciens demandent celle des aides familiaux et des conjoints pour arriver à 85 % du Smic, de même qu’un nouveau calcul pour la bonification enfant, basé sur un forfait et non au pourcentage de la retraite.
L’assemblée générale de la SDAE se déroulera le 8 avril à Bizonnes.