Cohabitation
Succès de la fête des voisins de parcelle à Saint-Romans (Isère)

Marianne Boilève
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Exploitant en polyculture-élevage à Saint-Romans, Pierre Bessée a accueilli dans sa ferme la troisième édition de la fête des voisins de parcelle le 19 juin. Portée par le Comité de territoire du Sud-Grésivaudan, l'initiative a séduit une quarantaine de riverains aussi curieux qu'enthousiastes.

Succès de la fête des voisins de parcelle à Saint-Romans (Isère)
Les habitants de Saint-Romans et des villages alentour sont venus en famille visiter la ferme de Pierre Bessée à l'occasion de la fête des voisins de parcelle, organisée le 19 juin par le Comité de territoire Sud-Grésivaudan.

Heu-reux. Ce samedi-là, de Pierre Bessée ou de la quarantaine d'élus et de voisins venus visiter sa ferme, on ne saurait dire qui affiche le sourire le plus large. La fête des voisins de parcelle s'annonce bien : le temps est radieux, l'air doux, les gens sont contents d'être là, accueillis chaleureusement par l'agriculteur qui prend le temps de leur expliquer sa façon de travailler.

Flyers dans les boîtes aux lettres

Parmi les visiteurs, il y a ceux qui connaissent Pierre et viennent souvent chercher leur lait à la ferme, et ceux qui sont venus par curiosité, informés par le bouche-à-oreille ou le flyer glissé dans leur boîte aux lettres. « Je suis bien content de voir des gens que je rencontre souvent sur la route, mais qui ne sont jamais venus jusqu'ici », salue l'agriculteur avant de dresser le portrait de la ferme. Sa famille s'y est installée en 1935, avec 15 hectares de terre. Il en cultive aujourd'hui 110, les trois-quarts en propriété, le reste en fermage. L'occasion de rappeler ce qu'est le fermage…

A l'ombre du corps de ferme, les voisins écoutent, attentifs, malgré les enfants impatients « d'aller voir les vaches ». Pierre confie qu'il a la passion de l'élevage, au contraire de son père qui comptait y renoncer. Voilà pourquoi, à côté des 60 hectares de noyers, il élève 45 vaches laitières - des montbéliardes. Le lait est vendu à une laiterie familiale, la ferme Rochas, à Quincieu, où il est transformé en saint-marcellin. « L'intérêt d'avoir plusieurs productions, explique l'éleveur, c'est que je sécurise mon revenu en ne mettant pas tous mes œufs dans le même panier. »

«Achetez des produits locaux !»

La discussion s'engage presque naturellement sur la production locale du territoire. « On voit de plus en plus de gens se lancer dans le maraîchage, c'est bon signe, poursuit Pierre Bessée. Mais si l'on veut que ça marche, il faut aussi que vous, les consommateurs, achetiez des produits locaux. » C'est d'autant plus important, avait souligné quelques minutes plus tôt Bernard Pérazio, le vice-président du Département, qu'« en Isère, il y a 1 300 000 assiettes à remplir. Or, plus de 70% de la production agricole quitte le territoire pour y revenir transformée ». Un paradoxe qui n'est pas sans incidence sur le revenu des agriculteurs, commente l'élu.

Cette petite piqûre de rappel injectée, l'agriculteur aborde le fonctionnement de la ferme. Sur la gauche, un ancien séchoir à noix, magnifiquement entretenu, abrite l'étable et la salle de traite. « Le séchoir traditionnel ne sert plus, car il n'est pas assez grand et son système de séchage pas assez rapide, précise Pierre. Nous utilisons un séchoir avec ventilation d'air chaud, plus performant, qui permet de réduire le temps de séchage de plusieurs semaines à quelques jours. C'est le bruit que vous devez entendre à l'automne et qui vous dérange peut-être. » Prévenant les critiques, l'agriculteur justifie son choix avec une pointe d'humour : « Il faut évoluer, tout le monde évolue. Ici, vous êtes dans une ferme, il y a un séchoir moderne, des animaux, des mouches… Ça pue, mais c'est une ferme ! » Eclat de rire général.

En fait d'odeur, la ferme est si bien entretenue, le sol si propre, que l'on ne sent le fumier qu'en se rapprochant de l'étable. Fin stratège, Pierre Bessée, qui n'a rien préparé, découvre qu'il faut anticiper et construire rapidement une ligne de défense avant que le coup, même involontaire, ne parte. Son franc-parler et sa bonhommie sont ses meilleurs alliés. De fait, il se met tout le monde dans la poche. Spontanément. Du grand art… totalement improvisé.

Fumure naturelle

Dans l'étable, l'éleveur explique l'alimentation à base de foin, la rumination, la production de méthane, la récupération du fumier… « La fumure est non négligeable pour mes noyers, indique-t-il. C'est vrai que ça ne sent pas bon, mais c'est naturel. » L'argument porte. « Quand les agriculteurs épandent le compost qui vient de la déchetterie, ça ne sent pas bon non plus, ajoute une habitante. Et puis c'est plein de plastique ! » Voisin de parcelle, un jeune couple relativise. « Quand Pierre vient épandre son fumier près de chez nous, ça sent quelques jours, mais ça ne dure pas », assure Nancy. Et Nicolas d'ajouter : « Moi je travaille dans l'industrie et je vois comment ça fonctionne. Je préfère largement avoir un agriculteur à côté de chez moi ! »

Près de la salle de traite, une vache est en train de se faire masser l'échine sous une brosse rotative. « Vous leur mettez de la musique ? », questionne une dame. « Non, mais dans la salle de traite, il y a un ventilateur et un brumisateur, détaille l'éleveur. Ça enlève les mouches et ça crée une fraîcheur. » Les visiteurs n'en reviennent pas : ils découvrent une prise en compte du bien-être animal bien différente de ce qu'ils avaient en tête. « Y-a-t-il une différence de production entre l'été et l'hiver », questionne un riverain. Pierre répond puis enchaîne sur les questions de reproduction et de sélection. « Nous n'avons pas de taureau, mais nous faisons de la génétique. Attention, ce n'est pas de la manipulation génétique. »

Un super métier

Atelier après atelier, les voisins découvrent la complexité du métier. On les sent admiratifs. « Je ne suis pas tout seul pour faire tout ça : je fais appel à des salariés que j'embauche grâce à un groupement d'employeurs », précise Pierre Bessée, avant de passer la parole au président du groupement, un certain Jean-Claude Darlet… « Rester en polyculture élevage et avoir plusieurs productions, comme Pierre, c'est important pour l'équilibre économique de l'exploitation, mais aussi pour la vie du sol et les paysages, déclare le président de la chambre d'agriculture. Pour faire tout ce travail, il faut des salariés. Le groupement d'employeurs en a une quarantaine. C'est comme une grosse PME. » Le responsable en profite pour rappeler le rôle de l'agriculture sur le territoire et insister sur les défis à relever collectivement : le consommer local, l'accès au foncier et le renouvellement des générations. « D'ici quelques années, 40% des agriculteurs partiront à la retraite. Nous avons besoin de bras et de têtes pour faire tourner et reprendre les exploitations. C'est compliqué, mais c'est un super métier. Il faut le dire dès le collège. » Les quelques ados présents ce matin-là passeront peut-être le message à leurs copains.

Marianne Boilève

« Si on explique clairement les choses, il n'y a pas de problème ! »
Invités à la fête des voisins de parcelle, le président de la chambre d'agriculture et les élus ont rappelé aux habitants les enjeux liés à une agriculture vivante dans le territoire.

« Si on explique clairement les choses, il n'y a pas de problème ! »

Dialogue / Interpelés sur la question des traitements, Pierre Bessée et ses collègues agriculteurs ont expliqué le pourquoi et le comment de leurs pratiques.

Devant le bâtiment réservé à la production nucicole, les échanges glissent rapidement sur la question des traitements phytosanitaires. « Le plus exposé, c'est moi, précise Pierre. Il faut avoir un permis pour manipuler les produits. » Une dame s'inquiète : « Est-ce qu'il y en a de vraiment mauvais ? » Olivier Gamet, producteur de noix et président du Comité de territoire Sud-Grésivaudan à l'origine de cette troisième édition de la fête des voisins de parcelle, se lance : « Tous les produits homologués sont bons, mais ça reste des produits phytosanitaires. C'est pas à mettre à la place du Ricard ! »

« Vous avez des directives pour savoir ce qu'il faut faire et quand ? Qui vous les envoie ? » Les questions fusent. Pierre Bessée ne se démonte pas : il raconte qu'il reçoit un bulletin technique de la chambre d'agriculture, avec des préconisations, secteur par secteur. « Nous ne traitons pas tous de la même manière, car la situation à Chatte n'est pas forcément la même qu'à Saint-Romans, complète Olivier Gamet. Ici par exemple, sur les bords du Vercors, il y a plus de risques de développement de maladies, car il y a une humidité plus importante malgré les courants d'air. » Pédagogues, les agriculteurs décrivent leurs pratiques, expliquent que chaque traitement est raisonné en fonction de la pression parasitaire, de la météo, que les méthodes alternatives comme la confusion sexuelle se développent, mais qu'elles coûtent cher.

Echanges constructifs

Baskets aux pieds, Christophe habite au bout d'une parcelle : il est là pour comprendre. « Les échanges d'ajourd'hui sont super constructifs parce qu'on ne sait rien, applaudit-il. Si on n'a pas l'info, c'est tendu. Mais si on explique clairement les choses, il n'y a pas de problème ! » Le jeune papa en profite pour aborder la question des horaires de traitement. « L'autre jour, je courais au bord de la nationale vers 9h du matin et j'ai été pris dans un nuage, raconte-t-il. Je comprends qu'il faille traiter, mais ne pourrait-on pas mener une réflexion sur les horaires ? » La question est posée simplement, sans agressivité aucune. Jean-Claude Darlet, nuciculteur et président de la chambre d'agriculture, en souligne toute la complexité. « Nous incitons les agriculteurs à traiter le soir ou la nuit pour protéger les abeilles. Le problème, c'est que le vent se lève le soir, ce qui limite les possibilités. Faire tourner l'atomiseur à minuit, ce n'est pas simple non plus. D'une période à l'autre, les horaires peuvent changer… » A défaut d'horaires fixes, des solutions existent. Solange, une habitante de Saint-Romans, explique qu'elle s'est entendu avec son voisin pour être prévenue par sms afin qu'elle ait le temps de « couvrir ses aromatiques ». Une pratique de bon voisinage de plus en plus répandue.

MB