Transmission
Dans le Vercors, les œufs changent de main

Isabelle Doucet
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Dans le Vercors, les poules pondeuses ont trouvé une repreneuse. La démarche cédant-porteuse de projets a été accompagnée la Chambre d’agriculture de l’Isère.

 

Dans le Vercors, les œufs changent de main

« Si l’on m’avait dit un jour que je reprendrai une exploitation de poules pondeuses, je ne l’aurais pas cru. »
Et pourtant, au mois de janvier prochain, Fleur Augrain sera la nouvelle cheffe d’exploitation de L’œuf bio du Vercors, un élevage de poules pondeuses situé à Corrençon-en-Vercors.
Elle achève son parcours de reprise de la ferme créée en 1987 par Gilles et Régine Ruel, d’abord en production de lapins, puis de poules pondeuses à partir de 2009.
Cette opération de transmission réussie a été mise en avant par la Chambre d’agriculture de l’Isère dans le cadre du mois de la transmission.

Reconstruire après l’incendie

Les cédants menaient une réflexion pour transmettre leur exploitation depuis 2018.
« Nous avons trois enfants, mais aucun n’a souhaité reprendre. Nous ne les avons pas incités. C’est vrai qu’à l’époque des lapins, c’était peau de chagrin », témoigne Gilles Ruel.
La transformation de l’élevage en poules pondeuses et la vente des œufs bio en direct ont donné un nouvel élan à la ferme. « On avait un outil de travail qui marchait bien et de la demande », reprend le cédant.
Mais en 2019, un incendie ravage le bâtiment d’élevage et remet tout le processus de cession en question.
Ils se tournent alors vers la Chambre d’agriculture pour être accompagnés dans leur projet de transmission.


Après des hésitations, ils prennent la décision de reconstruire un bâtiment de 600 m2, moderne et fonctionnel, pour accueillir 3 200 poules pondeuses.

Sécuriser le financement

De son côté Fleur Augrain, responsable ressources humaines dans une entreprise de transport de la région, se décidait enfin à réaliser son rêve : se lancer dans l’élevage. « J’ai trouvé cette exploitation sur le répertoire départ-installation (RDI) », confie-t-elle.
Son projet est de rester double active et de faire tourner la ferme avec un(e) salarié(e).
« C’est une entreprise viable, qui a déjà son système de commercialisation en vente directe, que je compte développer », poursuit-elle.


Le bâtiment neuf présente un avantage considérable pour la repreneuse qui, avec son œil d’experte, a rapidement vu comment encore optimiser les tâches.
Elle souligne l’importance de l’accompagnement de la chambre d’agriculture dans le parcours d’installation.
« Il ne faut pas avoir peur de se lancer dans de gros investissements, mais il faut sécuriser le financement et le chiffre d’affaires. »
La jeune femme a ainsi investi 445 000 euros dans l’opération (bâtiment, parcellaire de 1,3 ha et matériel) et a bénéficié d’une DJA de 37 200 euros (abondée par les critères bio et montagne). Elle a été suivie par la Banque populaire. Le chiffre d’affaires de l’exploitation s’élève à 255 000 euros que Fleur Augrain entend faire grimper à 300 000 euros fin 2023.

Confiance et communication

Elle travaille avec un panel de 70 clients, entre le Vercors et Grenoble, qu’elle livre trois fois par semaine.
L’optimisation des tournées entre aussi en compte dans la rentabilité de l’entreprise. Tous les cartons et les plaques alvéolées sont réutilisés.
Quant aux fientes, elles sont récupérées tous les 18 mois pour être répandues dans un verger de noix bio à Saint-Lattier.
« Les recettes pour une bonne transmission, c’est la communication et la confiance, assure-t-elle. L’avantage est d’avoir fait tous mes stages dans l’exploitation. J’ai pu voir comment elle fonctionnait. »
Autre élément facilitateur, la rencontre avec la mairie de Corrençon-en-Vercors, bien en amont du projet, a permis à Fleur Augrain et sa famille de bénéficier d’un logement communal. « En élevage, il faut pouvoir être présent matin et soir », lance-t-elle.

Grippe aviaire et anticipation

Pour les époux Ruel, c’est le soulagement. « On a envie de partir, de voir autre chose », glisse Régine Ruel.
Elle sourit en repensant aux candidats à la reprise qui se sont présentés à eux : des investisseurs qui voulaient installer des salariés, des doux rêveurs et « des gens qui ne savent pas ce qu’est l’agriculture. Mais ils se sont éliminés d’eux-mêmes et Fleur a résisté. Elle est venue régulièrement, elle s’est intéressée à l’élevage. »
Surtout, ils apprécient son choix de s’installer en famille sur le plateau.
L’entente entre cédants et repreneuse est palpable. « On sera toujours là pour Fleur », assure Régine Ruel.
La grippe aviaire et l’abattage de nombreux élevages en France font que la demande en œufs est assez élevée.


« Le chiffre d’affaires peut se développer, reprend Gilles Ruel, mais il faut tenir compte de la hausse du prix des céréales en agriculture biologique. Et bien que l’on se serve dans la région, on subit les effets de la mondialisation et de la guerre en Ukraine. »
La situation de pandémie aviaire force aussi Fleur Augrain à bien anticiper l’arrivée du prochain lot de poulettes en novembre 2023.
Pour tenir compte de ces éléments, les prévisionnels de l’exploitation ont majoré chaque poste de charge de 30 %.
Fleur Augrain n’exclut pas d’augmenter le prix de ses œufs d’un centime en 2023.

Isabelle Doucet

 

Une nouvelle exploitante pour L'œuf du Vercors

Le mois de la transmission

La  Chambre d’agriculture de l’Isère organise plusieurs réunions à l’intention des exploitants désireux de transmettre leur exploitation :
- le 1er décembre : Forum transmission, de 13 heures à 17 h 30, au siège de Bièvre-Isère Communauté à Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs. Après-midi d’échanges avec les experts de la cessation d’activité et mini-conférences.
- Les 8 et 14 décembre : formation sur les aspects juridiques fiscaux et humains de la transmission, de 9 heures à 17 heures, à la Chambre d’agriculture de l’Isère à Moirans.
Inscription : 04 76 20 68 05 ou 06 89 95 35 58

 Un accompagnement essentiel
Les élus et les conseillers de la Chambre d'agriculture de l'Isère lors du lancement du mois de la transmission.

Un accompagnement essentiel

Plusieurs outils sont mis à la disposition des cédants et des repreneurs pour assurer les meilleures conditions de transmission.

« L’accompagnement à la transmission est une priorité du conseil d’administration de la Chambre d’agriculture de l’Isère, déclare Alexandre Escoffier, élu référent à l’installation. Cela en raison du nombre de cédants et de l’âge des chefs d’exploitations dont 56 % ont plus de 50 ans. »
Il poursuit : « Il y a des fermes à céder, l’enjeu est de réussir en faisant correspondre les ambitions des cédants et l’envie des repreneurs, même s’il y a des changements de voie et de production car les reprises à l’identique sont moins courantes. La chambre d’agriculture propose un accompagnement sur mesure. »
Pas moins de douze conseillers installation et quatre conseillers transmission, en lien avec les dix conseillers territoriaux sont en charge d’accompagner les candidats cédants et repreneurs.

Répertoire départ installation

Le répertoire départ installation (RDI) est l’outil phare pour la mise en relation des porteurs de projets. En Isère, il ne recense pas moins de 370 candidats à l’installation.
Les profils les plus courants concernent le maraîchage (sur au moins 2 ha), l’élevage caprin (avec un corps de ferme et 20 ha) et l’élevage bovin lait (dans un cadre familial avec recherche de terres).
Le RDI comporte une trentaine d’offres de transmissions. Les profils recherchés les plus courants sont un associé en élevage laitier, un repreneur en vaches allaitantes ou en maraîchage.
« Cette année, il y a 25 projets de reprise en cours et 80 agriculteurs cédants accompagnés », précise Audrey Pangolin, conseillère transmission. Après les premiers rendez-vous pour faire le point sur leur projet de transmission, les cédants sont amenés à réaliser un audit de leur exploitation, puis à l’inscrire au RDI en enfin, si un repreneur est pressenti, à l’accueillir en stage test.
Chacune de ces étapes est gratuite, excepté l’audit qui peut bénéficier d’aides publiques.

56 % de hors cadre familial

Une étude, pilotée par la Chambre d’agriculture de l’Isère, s’est intéressée aux coûts de reprises sur la base des 280 installations ayant bénéficié de la DJA entre 2017 et 2020. Les résultats montrent que 60 % des exploitations sont reprises à l’identique et que 24 % des repreneurs opèrent une diversification.
Par ailleurs, 56 % des installations le sont hors-cadre familial et seules 24 % de ces personnes intègrent une société existante. L’élevage caprin a leur préférence.
L’investissement moyen à l’installation s’élève à 164 000 euros. L’investissement total évolue dans une fourchette entre 100 000 et 400 000 euros (jusqu’en 2021).
Naturellement, les investissements les plus importants concernent les élevages laitiers, suivis par la nuciculture et les grandes cultures. Les coûts moyens sont plus importants pour une installation en individuel qu’en société. La majorité des installés financent leur investissement par de l’emprunt bancaire.
Les repreneurs considèrent la question du logement secondaire dans l’offre du RDI, à condition qu’il y ait des possibilités à proximité de l’exploitation. Il faudra alors tenir compte des disparités territoriales.
Enfin, il convient de noter que la prochaine DJA, mise en œuvre à partir de janvier 2023, est une des plus élevées de France. Elle oscillera entre 16 000 (DJA de base, plaine) et 56 000 euros (en intégrant les critères montagne, démarche progrès, formation, investissements). La moyenne est de 40 000 euros.
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