Prix plancher, plan de trésorerie, droit à l'erreur, intérêt général majeur… Dans un contexte électrique, le président de la République a fait plusieurs annonces marquantes, qui restent à éclaircir.
À la suite d’une mobilisation agricole nationale d’une ampleur inédite, cette édition du Salon de l’agriculture (SIA) restera, il fallait s’y attendre, marquée par la tension. La traditionnelle inauguration du président de la République a été émaillée de violences d’une rare intensité au Salon de l’agriculture. Samedi vers 8 heures, une centaine d'agriculteurs de la FNSEA, de JA, et de la CR, venant de toute la France mais principalement du grand Bassin parisien, ont pénétré dans le hall 1 du Salon à la rencontre d'Emmanuel Macron, qui s'entretenait à huis clos avec les représentants nationaux des syndicats agricoles. Sur fond de sifflets, de cloches, et de chants (Marseillaise, puis "Macron démission"), les agriculteurs ont tenté de s'approcher du lieu où devait arriver le président, s'affrontant avec les forces de l'ordre. Emmanuel Macron a ensuite rencontré, au cours d'un échange improvisé, une trentaine de manifestants, agriculteurs et représentants des différentes organisations syndicales, en mettant en avant son envie de dialogue. Pendant deux heures, accoudé sur une table mange-debout, veste de costume tombée, le président a recueilli les doléances des agriculteurs regroupés autour de lui. Les heurts ont provoqué un retard d'une heure et demie de l'ouverture du Salon au grand public. Lors d’un point presse, le président de la République a fait plusieurs annonces marquantes, qui restent à être éclaircies, notamment un « plan de trésorerie d'urgence », ainsi que des « prix planchers » pour les agriculteurs.
Plan de trésorerie et prix plancher
En conférence de presse, Emmanuel Macron a annoncé que les sanctions prononcées envers l'aval pour non-respect des dispositions d'Égalim seraient « reversées au monde agricole » pour financer des mesures de trésorerie. Il a annoncé qu'une réunion était prévue à cet effet avec les banques et les représentants de plusieurs secteurs dont l'agriculture, pour élaborer un « plan de trésorerie d'urgence ». Il a demandé qu'un recensement soit fait des exploitations en difficultés. Par ailleurs, dans le cadre du projet de loi sur les relations commerciales annoncé par le gouvernement quelques jours plus tôt, Emmanuel Macron a appelé à ce que « l'indicateur devienne le prix plancher ». Face à une trentaine de manifestants, il a répété : « D'ici trois semaines, il y aura un prix minimum, un prix plancher en dessous duquel le transformateur ne pourra pas acheter, et le distributeur ne pourra pas vendre ». Trois jours avant l'ouverture du Salon, le Premier ministre avait dévoilé ce projet de nouvelle loi Égalim, incluant trois mesures dont « la construction du prix en marche avant » et « la place des indicateurs qui doivent être plus centraux ».
Intérêt général majeur de la nation
Le président de la République a aussi annoncé s'être engagé à inscrire dans la loi « notre agriculture et notre alimentation comme un intérêt général majeur de la nation française ». S'exprimant plus tard sur les usages de l'eau, il a également déclaré : « Je vais poser un principe simple, on va prioriser l'usage agricole et alimentaire sur les autres ». Lors de son allocution, Gabriel Attal avait, quant à lui, annoncé que l'agriculture serait inscrite, en préambule du code rural, comme un « intérêt fondamental de la nation » - mesure symbolique a priori sans portée juridique concrète. Lors de sa rencontre avec les manifestants, le président de la République a aussi annoncé la mise en place d'un droit à l'erreur pour les agriculteurs. Il n'a pas précisé dans quels domaines ce droit à l'erreur s'appliquerait (Pac, droit de l'environnement, fiscalité…).
Dérogation et séparation vente/conseil
Le président de la République a également pris des engagements pour limiter les délais d'accord de dérogations provisoires à l'usage de pesticides non autorisés, et à « déconcentrer » ces décisions. Emmanuel Macron est également revenu sur la séparation de la vente et du conseil des pesticides, et l'annonce faite le 1er février par Gabriel Attal de la « suppression du conseil stratégique (sur les pesticides, CSP) dans sa forme actuelle ». « Ce n'est pas celui qui vend les produits phytosanitaires qui peut faire le conseil », a-t-il déclaré, semblant fermer la voie à une suppression de la séparation de la vente et du conseil. Et de reconnaître, au sujet du CSP : « Aujourd'hui, c'est une usine à gaz. Filière par filière, territoire par territoire, nous allons chercher la méthode. Ça peut être la coopérative, ça peut-être la chambre ».
Bâtir un plan d'avenir à 2040
Enfin, le président de la République a annoncé, lors de son point presse, qu'il réunira les syndicats agricoles, les représentants des filières et les parties prenantes, à l'Élysée dans trois semaines, pour « bâtir un plan d'avenir agricole à 2040, français et européen, à décliner par filière et par territoire avec des contrats d'avenir ». Une initiative qui, avec l'ensemble des annonces du jour, n'est pas sans rappeler les premiers mois du premier mandat d'Emmanuel Macron en 2017, avec la demande de plans de filières à chaque interprofession, la promesse d'un « juste prix », qui « partira du coût de production », puis d'un « droit à l'erreur » avec la loi Essoc.
Fin de parcours sous les huées
Après les annonces, le président Emmanuel Macron a déambulé tout l’après-midi derrière un cordon de sécurité massif, mais pas à l'abri du vacarme des sifflets et des insultes de centaines d'agriculteurs, à la fois ulcérés par sa présence et demandeurs d'actes concrets pour améliorer leurs conditions de travail. Le chef de l'État a goûté du miel du pays d'Auge, du fromage de Haute-Savoie, serré des mains et répondu aux interpellations, l'air quasi imperturbable, mais sa voix était régulièrement couverte par le vacarme et le programme initial complètement bouleversé par une pagaille inédite.
Il était protégé par des dizaines de CRS équipés de boucliers qui, dans des heurts ponctuels, ont repoussé les manifestants à une cinquantaine de mètres de lui. Les noms d'oiseaux fusent : " Fumier " ou " menteur ", comme les cris (" Barre-toi ! ") et les appels à la démission. Trois personnes ont été interpellées pour des violences sur personne dépositaire de l'autorité publique, selon le parquet de Paris, puis relâchées ; elles seront convoquées ultérieurement.
« Je préfère toujours le dialogue à la confrontation » a asséné le chef de l'État. « Je suis en train de vous dire que le boulot est fait sur le terrain, on a repris les copies, on est en train de faire toute la simplification », a-t-il défendu. « Tant que ce n'est pas concrétisé dans les cours de ferme, on sera sur votre dos », lui a répondu un agriculteur.
M.R