INTERVIEW
J.Despey : « Le gouvernement devra être méthodique et pragmatique »

Jérôme Despey, secrétaire général de la FNSEA a rencontré en 48 heures, le chef du gouvernement, Jean Castex (17 avril) puis le président de la République (19 avril) qui se sont déplacés pour constater, sur place, les dégâts occasionnés par le gel du début du mois d’avril. Le n° 2 de la FNSEA a également participé à la réunion du 19 avril, avec le ministre de l’Agriculture, pour avancer sur le dossier de l’aide exceptionnelle d’un milliard d’euros.

J.Despey : « Le gouvernement devra être méthodique et pragmatique »
Jérôme Despey, secrétaire général de la FNSEA lors de sa rencontre avec le président de la République le 19 avril dernier.©Actuagri

Rencontrer les deux principaux représentants de l’exécutif en moins de 48 heures, c’est plutôt inédit. Quelle a été la teneur de vos échanges ?

Jérôme Despey : « C’est effectivement inédit car le sinistre est lui-même exceptionnel. Nous avons parlé de la détresse d’un nombre important d’exploitants qui, en une nuit, ont perdu le fruit de toute une année de travail. Lors de ces deux rencontres, tant le président de la République que le Premier ministre ont réaffirmé leur volonté d’être aux côtés des agriculteurs pour dire que l’État nous soutiendra et que la solidarité nationale doit pleinement jouer. Dans mon entretien avec Emmanuel Macron, nous avons échangé sur les suites des États généraux de l’alimentation et la nécessité de construire un prix en marche avant, sur la base d’indicateurs fiables ainsi que la nécessité, en cas de conflit en cours de négociations commerciales, de recourir à une juridiction plutôt qu’à un médiateur. Nous avons aussi évoqué la gestion de l’eau en s’interrogeant sur les disparités intra-européennes : l’Espagne stocke 40 % de son eau pluviale et la France seulement 4 %. Enfin, nous avons évoqué les taxes Trump qui pénalisent une viticulture française déjà meurtrie après le Covid et le gel ! Le moratoire sur ces taxes prend fin au début du mois de mai. Il faut mettre fin au conflit Airbus/Boeing auquel nous sommes étrangers. »

Le Premier ministre a annoncé le déblocage d’une aide exceptionnelle d’un milliard d’euros. Avez-vous plus de détail sur la ventilation de cette enveloppe ?

JD : « Je tiens tout d’abord à saluer la rapidité avec laquelle le gouvernement a répondu à l’urgence de la situation. Cette célérité prouve combien l’exécutif est attentif à la préservation d’un secteur essentiel pour notre souveraineté alimentaire. À crise exceptionnelle, il a pris des mesures exceptionnelles. Sur le milliard d’euros proprement dit, le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, nous a réunis le 19 avril pour décrypter la manière dont il pourrait être ventilé. »

Qu’en est-il concrètement ressorti ?

JD : « Le ministre de l’Agriculture nous a précisé que ce montant sera sans doute affiné en fonction des pertes réellement constatées. Puis, il a mis en avant trois types de mesures qui elles-mêmes resteront à affiner au cours de prochaines rencontres. L’enveloppe d’un milliard d’euros sera ventilée dans trois volets : un volet “mesures d’urgence”, un volet “mesures exceptionnelles“ et un volet “préparation de l’avenir”. Sur le premier volet, il a confirmé l’année blanche pour les cotisations sociales pour les exploitants concernés avec un critère de temporalité. Seront d’abord concernés les arboriculteurs, puis les grandes cultures et enfin les viticulteurs dans la mesure où les attentes et les paiements sont différents. Cette liste n’est pas exhaustive et le ministre a indiqué que d’autres catégories d’agriculteurs pourraient émarger à ce dispositif. Il reste à déterminer les critères techniques de cette année blanche qui devrait être « proportionnelle aux pertes propres à chaque filière » nous a indiqué le ministre de l’Agriculture. Cette mesure devra en outre être validée par la prochaine loi de finances. C’est un dossier sur lequel la FNSEA et JA sont d’ores et déjà très attentifs. Toujours sur le volet « urgences », Julien Denormandie a confirmé le dégrèvement de la taxe foncière sur le non-bâti (TFNB), et le déblocage de crédits d'urgence délégués aux préfets, « au cas par cas pour les exploitations les plus durement touchées ». À notre demande, il va également étudier la possibilité pour les exploitations qui ont déjà remboursé leur prêt garanti de l’État (PGE), conclu dans le cadre de la crise Covid, de proroger ce PGE. Enfin, le gouvernement devrait permettre aux employeurs de main-d’œuvre la prise en charge du chômage partiel à hauteur de 84 %. »

Et sur le volet mesures exceptionnelles ?

JD : « Lors de la réunion du 19 avril, le ministre a acté le déplafonnement du fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA) à 40 % pour les arboriculteurs et d’étendre ce dispositif à la viticulture et aux grandes cultures. Il semble que le ministre veuille aller vite sur ce volet et souhaiterait que le versement des sommes aux agriculteurs touchés prenne la forme d’un acompte, comme ce fut le cas pour les aviculteurs victimes de la crise aviaire. Mais ce point reste encore à préciser. La profession agricole souhaite néanmoins que l’application de ces mesures exceptionnelles ne décourage pas les agriculteurs qui s’étaient assurés. Le ministre m’a garanti qu’elles viendraient en plus des indemnités qui leur seront versées. Enfin, le ministère envisage le déblocage d’un fonds exceptionnel de solidarité, en s’inspirant du dispositif mis en place au profit de la restauration hors domicile victime de la Covid. Là encore, les critères et modalités de versement restent à déterminer. »

Vous avez évoqué un troisième volet de mesures : « Préparation de l’avenir » ? À quoi correspond-il ?

JD : « Chacun des acteurs est conscient que d’importants épisodes climatiques, qui ne sont pas circonscrits au seul gel, se multiplient chaque année, fragilisant nos récoltes, nos exploitations et par conséquent notre souveraineté alimentaire. Il importe donc de se donner les moyens de les anticiper, de les prévenir. C’est pourquoi le ministre de l’Agriculture a proposé, dans le cadre de France Relance, de multiplier par deux le volet « Aide aux investissements de protection face aux aléas climatiques » aujourd’hui doté de 100 millions d’euros. Il passera donc à 200 millions d’euros et sera, notamment attribué à la R&D, par exemple sur la recherche agroclimatique. Nous, représentants de la profession agricole, avons insisté sur la nécessaire refonte du FNGRA et du système assurantiel, en demandant aussi que l’Europe prenne sa part à travers le règlement “Omnibus”. Le ministre a déclaré qu’il ferait des propositions lors d’une prochaine réunion. Enfin le moyen et le long terme, c’est aussi développer la lutte et les contrôles contre la francisation de certains produits et de travailler comme je l’évoquais en début d’entretien, au dossier primordial de la gestion de l’eau. En tout état de cause, nous avons clairement indiqué au ministre de l’Agriculture que toutes les mesures qui vont découler de ce programme d’actions devront éviter toute complexification administrative. Le gouvernement devra être méthodique et pragmatique.

Propos recueillis par Claire Langlois