Lait de consommation
Les éleveurs du Sud-Isère veulent en mettre « Plein Lait Yeux »

Lancé par un collectif d'éleveurs du Sud-Isère, un projet de brique de lait local et équitable doit voir le jour au printemps 2021 sous la marque IsHere. L'assemblée générale constitutive de l'association qui porte la démarche, soutenue par la chambre d'agriculture de l'Isère, s'est tenue le 27 octobre à Susville.

Les éleveurs du Sud-Isère veulent en mettre « Plein Lait Yeux »

Ils ne sont pas nombreux, mais comptent bien en mettre « Plein Lait yeux » aux consommateurs isérois. Activement soutenus par la chambre d'agriculture de l'Isère, une quinzaine de producteurs laitiers du Trièves et de Matheysine travaillent depuis plusieurs mois sur un projet de lait de consommation local et équitable, issu de leurs territoires de montagne. Une première en Isère.

Démarche locale et responsable

Car si les démarches locales et responsables fleurissent un peu partout en France depuis le lancement du lait C'est qui le patron ?!, à l'automne 2016, ce type d'initiative a eu un peu de mal à émerger dans le département. Certes, comme partout, le prix du lait est un sujet qui taraude nombre d'éleveurs. Mais les garanties offertes par les laiteries ont longtemps freiné les élans émancipateurs. Sauf chez les producteurs Lactalis du Sud-Isère.

Des briques de lait pilote ont été présentées sous la marque IsHere à la 800e foire de Beaucroissant.

La dynamique s'est enclenchée suite à une étude fouillée réalisée en 2019 par Thomas Huver, technicien à la chambre d'agriculture, qui a conclu à la faisabilité technique et économique d'un lait de consommation isérois. Réunions de travail, « calages politiques » et visites d'usines d'embouteillages se sont succédés. L'an dernier, à la 800e foire de Beaucroissant, une dégustation de lait IsHere a même été organisée sur le stand de la chambre d'agriculture, en présence de Jean-Pierre Barbier, le président du Département. Signe que l'Isère avait enfin son lait territorialisé ? Pas tout à fait. Les briques étaient des pilotes : l'opération visait surtout à présenter la démarche et tester la réaction du public. 

Mieux valoriser le lait

Depuis des mois, le Département se dit « très à l'écoute » et « prêt à soutenir tous les projets des professionnels ». De son côté, Pascal Denolly, le président du Pôle agro-alimentaire, défend la pertinence d'un « projet global, accessible à tous les éleveurs laitiers de l'Isère ». C'est également l'avis du président de la FDSEA, lui-même producteur sous contrat chez Danone. « Notre avenir, c'est que le lait du département, produit en zone défavorisée ou en zone de montagne, soit mieux valorisé comme tel, martèle Jérôme Crozat. Mais il faut que l'on s'en soucie collectivement et qu'on soit pilote. »

Stéphane Bonnois, éleveur à Villard-Saint-Christophe, estime que le point fort du projet vient de ce qu'il ne contraint pas les éleveurs à renoncer à leur contrat avec leur laiterie.

Restait à trouver le noyau de producteurs capables de porter un tel projet. Il s'est développé dans le Sud-Isère, où le projet d'un lait segmenté a trouvé un écho d'autant plus fort que l'avenir de la collecte en zone de montagne occupe pas mal les esprits. En février 2020, l'opération a bénéficié d'un coup d'accélérateur, avec l'annonce de Sodiaal garantissant une traçabilité et le conditionnement d'un lait 100% Isère, majoritairement en provenance du Sud-Isère, grâce aux accords de collecte passés avec Lactalis et Danone. « Nous avons une cellule pour les petits projets de ce type et sommes les seuls à pouvoir proposer un lait isérois, conditionné en Isère », assure un responsable de la coopérative.

Travail à façon

« Cette démarche s'intègre pleinement dans le développement du Pôle agroalimentaire et de la marque IsHere, soutient Thomas Huver. Il serait intéressant de mutualiser les moyens commerciaux avec ceux du Pôle. » Du côté de Sodiaal, on reconnaît que « ça peut avoir du sens pour les consommateurs isérois. Il y a quelque chose à creuser... »

Concrètement, l'embouteillage pourrait démarrer au printemps 2021. Sodiaal attend de signer un contrat de prestation de travail à façon avec une entité juridique. Voilà pourquoi l'association « Plein Lait Yeux » a été porté sur les fonds baptismaux mardi 27 octobre à Susville.

Eleveuse à Saint-Jean-de-Vaux, Anaëlle Jacquin, du Gaec Prince, rêve d'« un produit local sur le plateau matheysin.Pour Orlanne Artaud, éleveuse à Tréminis, le projet de lait local va permettre d'améliorer un peu le prix du lait, mais surtout de recréer du collectif.

Entre rémunération, avenir de la collecte et soif de dynamique collective, les attentes du collectif « Plein Lait Yeux » sont plurielles. Et l'envie d'avancer partagée. A Saint-Jean-de-Vaux, Anaëlle Jacquin, du Gaec Prince, rêve d'« un produit local sur le plateau matheysin ». « Est-ce que la brique de lait ne serait pas le premier pas ? », se demande-t-elle. Sans doute. La valorisation ne serait sans doute pas mirobolante, mais tout de même un peu meilleure qu'avec les opérateurs historiques. « Même si l'écart avec Lactalis n'est pas grand, ça devrait faire un peu plus », calcule Stéphane Bonnois, éleveur à Villard-Saint-Christophe, qui ajoute : « Le gros point fort de ce projet, c'est qu'on garde nos quotas et que l'on n'engage pas l'exploitation. »

Engagement financier

Sans écarter la prise de risque, le projet avec Sodiaal la minimise. « Les producteurs conservent leur contrat avec leur laiterie, sans prendre trop de risque financier, confirme Thomas Huver. C'est un critère important pour le groupement. Mais il faudrait lui apporter un accompagnement financier, car le besoin en fond de roulement va être important, notamment au démarrage. » Pour l'instant, l'engagement financier est estimé à 1 000 euros par producteur (500 à payer directement par l'exploitation, 500 pris en charge par son union de producteur). Une mise raisonnable, acceptable par beaucoup, même si certains hésitent encore. « Le projet n'est pas fermé, rassure Philippe Luyat, le tout nouveau président de « Plein Lait yeux ». Si des producteurs sont intéressés, la porte est ouverte. »

Marianne Boilève
Etude / La chambre d'agriculture de l'Isère a examiné la faisabilité du projet et conclu à sa pertinence dans le contexte isérois. A condition de l'accompagner financièrement et de l'articuler avec la puissance de feu du Pôle agroalimentaire.

Un projet viable

A l'origine, il fallait trouver un projet susceptible de redynamiser un bassin laitier interdépartemental en déclin : le secteur Sud-Isère et Hautes-Alpes. L'objectif était de maintenir les exploitations et les collectes, mais aussi de mieux rémunérer les producteurs. Après moult péripéties, notamment depuis le rachat du site Sodiaal de Gap par La Fermière, en 2016, les producteurs du Sud-Isère ont engagé une réflexion pour « mettre en œuvre une démarche collective de différenciation de leur production, via l'embouteillage d'un lait UHT "segmenté" ». Pour ce faire, ils ont reçu le soutien de la chambre d'agriculture de l'Isère qui a missionné Thomas Huver pour la réalisation d'une étude de faisabilité.
Thomas Huver, technicien à la chambre d'agriculture de l'Isère, a conduit une étude fouillée et conclu à la faisabilité technique et économique d'un lait de consommation isérois.
Marchés, tendances de la consommation, positionnement des marques, études de la concurrence, opportunités commerciales, canaux de distribution, logistique, le conseiller Filière lait a tout passé en revue, avant d'analyser les différentes pistes concernant l'embouteillage et de bâtir trois business plans en fonction de trois scénarii différents. Il ressort de ces travaux que « techniquement le lancement d’un lait de consommation local et équitable est possible. La valeur ajoutée sur un lait de consommation est limitée, mais elle existe ».
Thomas Huver précise néanmoins qu'il est nécessaire d'accompagner financièrement le groupement, « car le besoin en fond de roulement va être important dans ce projet, notamment lors du démarrage de l’activité ». Il recommande également  de « ne pas externaliser la commercialisation du lait à un industriel laitier ou une coopérative pour ne pas perdre la plus-value ». Aussi suggère-t-il de « mutualiser les moyens commerciaux avec le Pôle alimentaire par exemple ». Reste à créer une structure juriidique pour porter le projet. Une assemblée constitutive devrait être organisée cet automne.
MB

 

Business plan 
Année 1                        Démarrage activité printemps 2021 – engagement contractuel 100 000 litres de lait acheté auprès de Sodiaal
Année 1 optimisée        Démarrage activité printemps 2021 – 200 000 litres de lait embouteillé
Année 2                         300 000 litres de lait
Année 5                         Objectif : 1 million de litres de lait