Tourisme vert
Pourvu que l'été soit vert

Comme tous les secteurs touristiques, le tourisme rural isérois pâtit des mesures de confinement, avec quelques rares ressorts qui lui sont propres, comme l'accueil de salariés.
Pourvu que l'été soit vert

Le tourisme représente 7% du PIB français. En Isère, il génère une manne de 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires.

Sur 8,6 millions de nuitées marchandes, 63% sont consommées en montagne et 15% à la campagne.

La crise du coronavirus n'a pas épargné ce tourisme vert, secteur porteur en termes d'activité économique. Hôtels et restaurants sont à l'arrêt.

A l'heure où les professionnels du tourisme fourbissent habituellement leurs armes pour préparer la saison d'été, tous se demandent comment ils pourront surmonter cette épreuve, s'ils seront en mesure de rétablir la barre dans les mois à venir et recherchent de nouvelles solutions pour le « pendant »  et l'« après ».

Sauver l'été

Bruno Bernabe, le directeur des Gîtes de France Isère, qualifie la situation de « vertigineuse ». Entre la mi-mars et le mois de mai, les réservations ont été réduites à néant.

« On a l'impression que cela repart sur certains secteurs, mais, c'est timide, récent et marginal », indique-t-il.

La centrale de réservation observe un retrait de 50% des réservations comparé à la même période l'an passé, sans pouvoir préjuger des possibles annulations encore à venir, ni d'un redémarrage de l'activité en Isère.

Le montant des pertes des hébergeurs labellisés Gîtes de France est pour l'instant estimé à environ 500 000 euros. « Les propriétaires sont dans l'attente. La petite lueur d'espoir est de sauver la saison d'été. Le gîte, c'est la carte à jouer car situé dans un des endroits les mieux préservés », explique le directeur.

Moyennant une famille par hébergement, le respect des gestes barrières est en effet des plus simples à appliquer.

Redémarrage des chantiers

« Les gîtes de groupes sont fortement impactés. Car les réservations sont en général effectuées très en avance et liées à un événement, avec notamment des week-ends de mai très prisés », ajoute le responsable. Il sera très compliqué de reporter ces réservations d'une année sur l'autre.

D'un autre côté, les gîtes qui avaient l'habitude de travailler avec des entreprises observent un petit retour d'activité depuis que la préfecture de l'Isère s'est mobilisée en faveur du rédémarrage des grands chantiers du BTP.

Un complément et des opportunités

« La clientèle d'entreprise représente une opportunité », reconnaît Christine Tavel-Besson, propriétaire d'un grand gîte au-dessus d'Allevard, entièrement autoconstruit par son mari, en ossature bois. Il a mis six ans pour ériger cette maison dans le cadre d'un vrai projet familial.

Si la plupart du temps la propriétaire accueille une clientèle familiale, des entreprises la sollicitent aussi à l'intersaison. « C'est un complément, mais nous n'en avons pas reçu beaucoup non plus ».

Le prochain groupe de travailleurs arrive le 16 mai. « Nous les accueillerons avec des masques », explique Christine Tavel-Besson.

Elle ne cache pas ses craintes. « Recevoir des gens représente un risque. Mon mari est très scrupuleux sur la question de l'hygiène. Mais cette peur du contact que génère le confinement, pour nous, les gîteurs, c'est d'autant plus délicat à gérer que c'est contre nature ».

Elle ajoute : « Heureusement qu'il y a un délai entre ceux qui partent et les prochains qui arriveront. Nous laisserons un peu au repos avant de faire le nettoyage. Et pour cet été, on verra. »

Reprise des activités

Comme tous les acteurs du tourisme, elle est dans l'attente de nouvelles informations quant à la reprise des activités touristiques. « Le souci, c'est qu'il y ait peu de choses ouvertes pour les touristes. »

Ce sera sûrement le cas pour les plus audacieux du mois de mai. « Heureusement, il y a un groupe d'entraide qui s'est organisé à Allevard avec la vente de produits locaux en drive et des restaurateurs qui font presque tous de la vente à emporter. »

Un vide sanitaire

A Saint-Pierre-de-Chartreuse, Alain Laplace s'apprêtait aussi à accueillir les salariés dans son chalet de huit places.

Sollicité par la centrale de réservation de Gîtes de France, il a accepté avec quelques interrogations quant à l'organisation de la vie de ces personnes alors qu'aucune structure n'est ouverte alentour.

 

Le gîte Le Replat à Saint-Pierre de Chartreuse s'adapte en accueillant une clientèle de salariés d'entreprise à l'intersaison. (Crédit photo : Alain Laplace)

 

Lui aussi observera un vide sanitaire avec les occupants suivants. « Mais je ne sais pas comment cela va se passer cet été. Sans doute vais-je attendre 24 heures entre deux locations et demander aux gens de ne venir que six jours au lieu de sept, quitte à les dédommager. On n'arrivera pas à régler le problème, mais autant éviter d'en créer. »

Un bel automne ?

L'accueil de la clientèle professionnelle reste confidentiel et ne pourra jamais combler le risque lié aux incertitudes du déconfinement. « Nous ferons peut-être un meilleur automne », avance Bruno Bernabe.

Certains tablent sur le Tour de France (1) qui a été reporté au mois de septembre et attire généralement une clientèle adepte du tourisme vert. Mais la tenue de l'événement reste incertaine au regard des dernières annonces du Premier ministre co,nernant le sport professionnel et les grands rassemblements.

« Pour les acteurs du tourisme isérois, c'est peut-être pas mal, même si cela représente un gros chamboulement », estime Marc Boulot, le président des Gîtes de France Isère.

Propriétaire d'un gîte à Allemont dans l'Oisans, il a pour habitude d'accueillir cette clientèle familiale, à 50% étrangère, qui vient spécialement pour la Grande boucle.

Mais l'incertitude pèse davantage sur la clientèle européenne que française. « La saison peut se décaler dans le temps avec de très beaux mois de septembre et octobre, espère le président. Les courts séjours vont peut-être exploser car les gens ont envie de changer d'air ».
Optimiste, il croit en l'avenir du « slow tourisme » et du tourisme de proximité comme cette crise sanitaire permet de le faire redécouvrir.

Pour autant, il reconnaît que la situation des gîteurs, pour qui l'hébergement touristique représente le plus souvent une activité complémentaire, n'a rien à voir avec celle des hôteliers et restaurateurs pour lesquels « c'est la catastrophe », d'autant qu'ils ne pourront rouvrir leurs établissement avant le mois de juin.

Une autre piste

Les professionnels les plus touchés du tourisme vert sont sans doute ceux qui pratiquent l'accueil à la ferme.

Entre le gîte, le camping et la ferme pédagogique qui comptabilisent zéro client depuis la mi-mars et la baisse de la production laitière de sa ferme, Thierry Blanchet enregistre une perte de 50% de son chiffre d'affaires sur la période, comparé à l'an passé.

« Le gîte s'est vidé d'un coup le 14 mars », raconte l'exploitant de La Murette. A l'intersaison, le gîte de groupe et le camping reçoivent des salariés des chantiers du secteurs voironnais. « Les réservations recommencent un peu à bouger à partir de mai », observe le propriétaire.

Il décrit le casse-tête des acomptes dont les clients réclament le remboursement bien que les propriétaires puissent proposer un avoir à consommer sous 18 mois (2).

Thierry Blanchet fait aussi le parallèle entre ces hébergements qui restent disponibles et l'appel lancé pour la main-d'œuvre saisonnière en agriculture : une autre piste possible.

« Si des choses s'organisaient pour loger les gens sur place, ce serait idéal ».

Isabelle Doucet
Accueil à la ferme / La ferme du Clos valorisait la plupart de ses productions grâce à l'agritourisme. Elle a dû se repositionner dans l'urgence.

La force des réseaux

« Cela a été un coup d'arrêt sur des plannings archibondés », commente Angélique Doucet.
L'éleveuse de chèvres et de brebis de Châtelus a appuyé la valorisation de ses productions sur l'accueil à la ferme : accueil pédagogique, gîtes, camping, roulottes et table d'hôtes, ainsi que sur la vente aux restaurateurs.
« J'ai reçu annulations sur annulations. Il a fallu rassurer, reporter les séjours pour ne pas avoir à rembourser tout le monde. Mais nous n'avons toujours pas de solution et cela représente 70% de mon chiffre d'affaires. »
Baisse des ventes et effondrement des marges, elle a dû rapidement trouver des alternatives pour assurer de nouveaux débouchés à ses productions.
Angélique Doucet a dû remettre à plat son système d'exploitation basé sur l'agritourisme pour pouvoir passer la crise. (Crédit photo : Angélique Doucet)

« Au début, des amis m'ont conseillé de publier sur Facebook et de me rapprocher de sites en ligne. Je ne voulais pas attendre de mourir. Cela a très bien marché pour la vente de chevreaux. »
Les 45 chevreaux et quelques agneaux de Pâques ont été écoulés auprès de particuliers. « Des gens qui s'étaient détournés de cette consommation redécouvrent le cabri sous la mère. Reste à fidéliser cette clientèle pour l'année prochaine. »
Solidarité

L'éleveuse souligne la réactivité du réseau des Fermes du Vercors pour mettre en place un système de drive et de paniers ainsi que des livraisons un jour/une heure par commune sur les secteurs Royans-Vercors et Quatre montagnes. Elle appartient également au réseau Bienvenue à La ferme.
Les magasins Biocoop ont aussi joué la carte des produits locaux en ouvrant leurs rayons à de nombreux producteurs. Elle peut ainsi vendre ses fromages dans un climat de concurrence, certes, que chacun essaie de dépasser en inscrivant sa production dans un créneau particulier, mais aussi de grande solidarité démultipliée par les réseaux sociaux.
« Ce sont des actions concrètes, insiste-t-elle. Car nous avons besoin de réagir vite : ce sont des produits frais, du consommable. »
Un lieu de vie

Angélique Doucet a aussi mis en place toutes les mesures de report de charges de la MSA et de crédits de ses investissements et a dû licencier ses deux salariés qui s'occupaient plus particulièrement de l'élevage et de la transformation.
Elle sait que son système d'exploitation ne pourra pas tenir longtemps avec une vente de ses produits à prix coûtant.
Car la ferme du Clos est avant tout un lieu de vie d'autant plus exposé en crise sanitaire. « Je recompose l'été sur un tableau blanc sans rien pouvoir promettre ».
Mais Angélique Doucet ajoute : « Il y a aussi un aspect stressant car je côtoie beaucoup de monde, notamment avec la vente directe ».
Elle conclut cependant : « Si je garde le moral, c'est parce que je renoue avec mon métier et que je me ressource avec les animaux et la nature. »
ID

 

(1) Le Tour de France sera en Isère du 14 au 16 septembre 2020.

(2) Ordonnance du 26 mars 2020 relatif aux contrats de vente de voyages et de séjours, permettant de déroger aux conditions générales de vente et de proposer un avoir à la place du remboursement, à consommer sous 18 mois, période au terme de laquelle le remboursement peut être déclenché.

 

Les dispositions du plan spécifique tourisme :
Mesures d'urgence actuelles en faveur des secteurs du tourisme et de l'hôtellerie-restauration.
- possibilité de recourir à l'activité partielle après la reprise de l'activité pour les secteurs du tourisme, des hôtels, cafés et restaurants, de l'événementiel et de la culture.
- Le Fonds de solidarité restera ouvert aux entreprises de ces secteurs au-delà du mois de mai.
- Conditions d'accès élargies aux entreprises ayant jusqu'à 20 salariés et 2 millions d'euros de CA.
- Le plafond des subventions dans le cadre du second volet du fonds sera porté à 10 000 d'euros.
- Exonération de cotisations sociales pour les TPE et PME pendant la période de fermeture.
- Pour les ETI et les grandes entreprises (qui ne bénéficient pas du fonds) : étalements des charges sociales et fiscales, voire report ou, au cas par cas, annulations.
- report du paiement de la cotisation foncière des entreprises (CFE) au titre de l'année 2020.
- Annulation des loyers et les redevances d'occupation du domaine public pour la période de fermeture administrative.