Ressource en eau
Réchauffement climatique : évoluer avec le Rhône

Isabelle Doucet
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La 4e Conférence agricole de Vienne Condrieu agglomération s’est plus particulièrement penchée sur la préservation de son activité agricole à l’aune de la raréfaction de la ressource en eau.

Réchauffement climatique : évoluer avec le Rhône
Le échanges de la table ronde ont porté sur l'état de la ressource en eau et les adaptations en agriculture.

« Placer l’agriculteur au cœur de l’aménagement du territoire » : en ouvrant la quatrième conférence agricole de Vienne Condrieu agglomération, Frédéric Belmonte, vice-président en charge de l’agriculture, rappelait combien la collectivité s’est engagée « dans le maintien d’une activité agricole dynamique, viable et durable, génératrice d’emplois et participant à la conservation des espaces, à la préservation d’un cadre de vie que les habitants apprécient ».


Nicolas Hyvernat, maire de Chuzelles, Frédéric Belmonte, VP à l'agriculture de Vienne Condrieu agglomération et Lucien Bruyas, Conseiller délégué en charge des circuits courts.

Ce nouveau rendez-vous, a réuni une centaine de participants, élus et représentants du monde agricole (1), à Chuzelles, le 13 novembre dernier.



Au menu, un point sur les étapes de la mise en œuvre de la stratégie agricole (2019-2024) et une table ronde sur la ressource en eau.
Vienne Condrieu Agglomération, compte 18 000 ha de terres agricoles et 400 exploitations.
Le territoire n’est pas épargné par les enjeux autour de la répartition de l’eau, aussi la collectivité et ses partenaires souhaitent « envisager une solution durable et optimiser la ressource dans le respect de l’environnement et de la production alimentaire », a insisté Frédéric Belmonte.

Les écarts se creusent

Conseiller énergie et climat à la Chambre d’agriculture de l’Isère, Jean-Paul Sauzet a exposé quelques données chiffrées.
Elles croisent les scénarios du Giec et la modélisation du processus climatique élaboré par Météo France jusqu’à la fin du siècle.
« Le réchauffement est plus rapide sur l’axe alpin », explique le technicien. Il s’établirait à plus 3 ou 4° d’ici la fin du siècle.
Il cite également les travaux réalisés par Solagro (2) et consultables sur sa plateforme Canari, fournissant des indicateurs agro climatiques couvrant les besoins des différentes filières agricoles.
L’incidence du changement climatique sur les travaux agricoles est déjà visible : l’avancement de la date des vendanges et l’accroissement du risque d’exposition au gel en sont des signes manifestes.
Quant aux projections sur l’avenir, Jean-Paul Sauzet explique que « le déficit hydrique n’est pas seulement lié à la pluviométrie, mais aussi à l’évapotranspiration ».
Si la pluviométrie globale ne se réduit pas forcément, en revanche, les écarts saisonniers se creusent. Or, les végétaux, qui transpirent beaucoup au printemps, captent l’eau qui tombe à ce moment-là et qui, par conséquent, ne vient pas recharger les nappes, ce qui amplifie le déficit hydrique.
Il indique par ailleurs que ce réchauffement a des conséquences sur la précocité des plantes. « Il va falloir irriguer sinon, ça ne passera pas », dit-il au sujet du risque de phénomène d’échaudage sur le blé.
Les cycles biologiques sont aussi sensibles aux températures : les ravageurs prolifèrent et le bétail a besoin de s’abriter l’été alors que jusqu’alors les bâtiments d’élevage servaient en hiver.

Sécuriser les exploitations

« Plus on avance dans le temps et plus la recharge en eau se décale et s’effectue sur des laps de temps beaucoup plus courts », confirme Julien Jouanneau, en charge de la sécurisation de la ressource en eau de Vienne Condrieu agglomération.
Sur les huit sites de captage du territoire, il observe les conséquences sur la recharge des nappes et note que « depuis 2004, les bilans des saisons agricoles ne font état que de trois années excédentaires en Isère et que le nord du département est le plus déficitaire ».
Installés après la sécheresse de 1976, les systèmes d’irrigation ont permis aux producteurs de doubler leurs rendements et de sécuriser leurs exploitations.
Contrainte ou forcée, l’agriculture a fait preuve depuis d’une grande capacité d’adaptation, ainsi que le montre Colin Dupré, conseiller agronomie irrigation à la Chambre d’agriculture du Rhône.
Grâce aux informations techniques, météorologiques et agronomiques fournies aux agriculteurs du département du Rhône, où ont été installées des sondes tensiométriques dans les cultures de blé et de maïs, la fréquence des tours d’eau a baissé de 1,5 à 2 tours en moyenne par saison.
Pierre de Martene, céréalier à Estrablin, souligne aussi les évolutions techniques du matériel d’irrigation avec le développement des rampes d’arrosage et les pivots, moins sensibles au vent, connectés, capable de cibler l’apport d’eau, d’identifier des fuites.

  Pierre de Martene, producteur céréalier à Estrablin.

Il explique aussi que l’évolution des semences rend les maïs moins consommateurs d’eau comparés à il y a 10 ans.
« Cependant, ce n’est plus la sonde qui nous guide, mais l’arrêté préfectoral », s’insurge le producteur.

Le fleuve se réchauffe

Isabelle Eudes, chargée d’intervention fleuve Rhône à l’Agence de l’eau RMC, a pour sa part présenté quelques résultats d’une étude réalisée sur le débit du Rhône.
Une analyse rétrospective sur 30 ans montre ainsi « qu’il ne coule pas moins d’eau en moyenne dans l’année, mais les débits d’étiage sont plus marqués (-11 %) ».
De même, la température de l’eau du fleuve se réchauffe : +2° C en moyenne et +4,5° C à Beaucaire, ce qui a des conséquences sur la qualité et la biologie de l’eau.
La projection à l’horizon 2055, prévoit « l’accentuation des contrastes intersaisonniers » et des débits d’étiages encore plus faibles.
Isabelle Eudes conclut en indiquant que « les usages devront s’adapter » car les nouvelles contraintes pèseront sur la production hydroélectrique comme sur l’agriculture.
Isabelle Doucet

« Nous arrivons presque au but »
Yves Goubet, président de l’ASA du plateau de Louze et de Glay et Xavier Jury, agriculteur à Chonas-l’Amballan..

« Nous arrivons presque au but »

C’est un des plus gros projets d’irrigation conduit en Isère : l’extension de l’ASA du plateau de Louze et de Glay devrait être lancée début 2024.

« C’est un projet de 17,6 millions d’euros, financé à 70 % par l’Europe, l’État, la région, et le département, déclare Yves Goubet, président de l’ASA du Plateau de Louze depuis 2008. C’est un projet de territoire indispensable pour le maintien de l’agriculture. »
L’extension de l’ASA du plateau de Louze et de Glay représente un réseau d’irrigation de 830 ha qui vient s’ajouter aux 770 ha déjà existants. Après dix ans de procédures, les travaux débuteront début 2024.
27 exploitations sont concernées, qui font des cultures spécialisées : maraîchage, arboriculture, des cultures de semences (maïs, tournesol) et des céréales.
Xavier Jury, de la ferme de Sambillot à Chonas-l’Amballan, fait partie des futurs irrigués. Il souligne combien il était vital pour l’avenir de l’agriculture du secteur de Reventin-Vaugris, de pouvoir transmettre des exploitations pérennes sur lesquelles il est possible de produire des cultures spécialisées.
Ces agriculteurs-là ont fait le choix de se rapprocher du collectif de l’ASA du Plateau de Louze pour mener à bien leur projet.
Le pompage s’effectuera directement dans le Rhône, à Saint-Alban.
L’enquête publique est lancée. « Nous arrivons presque au but, mais certains agriculteurs s’approchent de la retraite, mentionne Xavier Jury. Et quelques-uns se posent des questions, d’autant que les coûts des matières ont explosé. Mais l’agriculture doit évoluer et on doit trouver des solutions pour améliorer l’outil de travail, nos résultats économiques, diversifier les productions et avoir de l’eau. »
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