Vallée du Rhône
« Nous sommes sur tous les fronts »

Isabelle Doucet
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Les producteurs isérois de la vallée du Rhône se sont largement mobilisés sur tous les points de blocage, entre l’A7, Grenoble et La Platière.

« Nous sommes sur tous les fronts »
Les arboriculteurs isérois ont tenu le pont de Sablons pendant trois jours.

Outre le barrage sur l’autoroute A7 à Saint-Rambert-d’Albon, d’autres points de blocage ont été installés dans la vallée du Rhône et plus particulièrement sur l’île de la Platière où les ponts de Serrières et de Sablons ont été fermés par les agriculteurs en colère pendant trois jours, du 24 au 26 janvier.
« Nous sommes sur tous les fronts »,
lance Didier Serre, arboriculteur à Sablons et responsable FDSEA. Il était également présent avec une délégation du secteur à la manifestation de Grenoble le 25 janvier.
Pour les arboriculteurs, les annonces du Premier ministre de vendredi ne laissent entrevoir « aucune avancée, notamment sur les produits phytosanitaires », explique le producteur.
« Il n’a pas parlé de la réglementation phytosanitaire, ni des interdictions sans solution, ni des coûts de production ou de l’assurance récolte et encore moins des zones de non-traitement. Il n’a rien dit non plus au sujet des questions de main-d’œuvre ou encore des contrôles de l’OFB. Car venir nous contrôler avec une arme, c’est nous faire sentir comme des criminels. » Les agriculteurs de la vallée du Rhône sont « plus que déterminés » et « attendent des actes ».

Tenir bon

Le barrage de Sablons était une initiative des FDSEA et JA de l’Ardèche.
Les agriculteurs de l’Isère sont venus en renfort pour bloquer les deux ponts dès le 24 janvier.

Le pont de Sablons

« Nous avons été soutenus par la population et tous les commerçants qui nous ont apporté à boire et à manger, bien qu’ils aient été pénalisés sur leur chiffre d’affaires, relate Didier Serre. Mais nous n’avons pas vu beaucoup d’élus d’Entre-Bièvre-et-Rhône. La base a été déçue de la décision de lever le barrage pour le week-end. Ceux qui continuent se relaient désormais sur l’A7. »
Les troupes sont fatiguées mais tiennent bon. Didier Serre parle des nuits d’insomnies à garder les barrages. « On ne peut pas imaginer dans ces moments-là comment le mental tient tellement nous ressentons l’injustice ».

A Sablons

L’agriculteur, qui est aussi élu à Sablons, tenait à ce que les lieux soient laissés propres après le départ des tracteurs, « contrairement à tous les déchets que nous retrouvons dans nos vergers. Mais nous sommes des gens raisonnables. » Beaucoup n’avaient jamais manifesté avant ces jours-ci.
« Nous sommes tous très motivés et il va falloir que ça avance, poursuit Didier Serre. En montant à Paris, les agriculteurs veulent faire prendre conscience que nous les nourrissons à ceux qui pensent qu’on veut les polluer. »

« Obtenir des choses concrètes. »

Guillaume Thévenas, producteur de fruits à Saint-Maurice-l’Exil, comptabilise lui aussi quelques nuits sans sommeil. Il avait fait le choix de Sablons mais a aussi quitté le barrage avec amertume avant de rejoindre ses collègues de l’A7, « apolitique et asyndical », précise-t-il.
Le groupe de producteurs isérois est arrivé à point pour épauler les Drômois en place depuis mardi 23 février.
« Ils sont lessivés. Dimanche, on leur a dit qu’on allait ramener du monde. Faut pas baisser les bras, pas lâcher. Nous avons voté la poursuite du mouvement. Nous serons là tant que nos collègues feront le siège de Paris et auront besoin de nous. »

Sur l'A7

Les aînés viennent en appui durant la journée pendant que les actifs travaillent et prennent leur quart de nuit.
Sur une autoroute A7 inhabituellement fréquentée par les piétons, les échanges sont allés bon train. « Les gens hallucinent lorsqu’on leur parle de toute la partie aberrante des phytos, des normes, de la PAC. Nous avons eu beaucoup de discussions constructives. »
Pascal Sauvageon, arboriculteur isérois également, déplore lui aussi l’abandon du pont de Sablons. Il est venu soutenir ceux de l’A7.
« Si on arrête, c’est foutu. C’est lourd, c’est compliqué. Mais si l’on ne se défend pas sur ce coup-là, l’agriculture va en prendre un coup. Il faut arriver à obtenir des choses concrètes. »
Il défend la dimension « hors politique » du barrage sur l’A7 car sur place, les agriculteurs ne sont pas tous du même bord. « Il y a de la solidarité, nous sommes tous dans la même m... et il faut savoir se dire les choses. »

Une vie à part

Lui aussi exprime son ras-le-bol. « Toutes ces normes, il faut que ça s’arrête. La France ne sauvera pas la planète avec les ZNT ! On fait des efforts en agriculture, mais quand je vends mes pommes 30 centimes/kg et que je les vois à 6 €/kg à Paris, cela me donne envie de vomir. »
Entre le coût de la main-d’œuvre, des énergies, des produits phytosanitaires, les avances de trésorerie, il résume : « On n’y arrive plus ».
Sans compter les contrôles qui excèdent tout le monde.
« C’est une vie à part. Qui se lève la nuit pour les antigels ? Qui supporte de se faire insulter lorsqu’il traite ? » Autant d’exemples que les agriculteurs déclinent auprès des personnes qui viennent à leur rencontre.
« Je n’en reviens pas du soutien qu’il y a, mais je ne sais pas si cela tiendra derrière. Lorsqu’il y a une crise, les gens viennent, mais ils ne gagnent pas assez d’argent et repartent en grande surface. C’est une question de conjoncture. »
Plusieurs centaines de personnes sont venues sur l’autoroute samedi 27 janvier profiter du marché de producteurs organisé par les manifestants.
Mais face à la « surfréquentation » de l’A7, les professionnels ont désormais décidé de fermer l’accès à 18 heures.
Si les agriculteurs paralysent l’économie de la France en coupant l’autoroute, « ce n’est pas par plaisir », rappelle Pascal Sauvageon, mais leurs attentes sont à la hauteur de leurs conditions d’exercice qui n’ont cessé de se dégrader sous la pression du dumping commercial et des normes.
Ils savent qu’au moindre signe de faiblesse, ils risquent de se faire déloger. Alors ils tiennent. Mais promettent « de tout laisser propre » lorsqu’ils retireront leurs tracteurs.
Isabelle Doucet