Accès au contenu
Agroforesterie

Associer arbres et cultures

Associer arbres et cultures ou arbres et pâturages est une pratique ancienne qui revient au goût du jour. En Isère, la démarche est encore marginale. La chambre d'agriculture et le conseil général souhaitent mettre l'accent sur ces associations génératrices de retours économiques et environnementaux.
Associer arbres et cultures

« Dans la vallée de l'Isère et de la Drôme, les noyers ont toujours été associés aux cultures. Plus bas, vers la Provence, ce sont les oliviers. Ces associations sont très anciennes. L'agroforesterie est une pratique traditionnelle qui remonte à l'Antiquité et qui s'est répandue à tous les pays du pourtour méditerranéen. Dans le nord, on retrouve aussi des prés-vergers pâturés. Il y a encore 50 ans, ont voyait essentiellement des associations arboriculture-grandes cultures ou arboriculture-maraîchage », décrit Fabien Liagre, ingénieur agro-économiste du bureau d'études Agroof spécialisé dans l'agroforesterie, qui a produit les premiers travaux de recherche. Depuis les années 50, la rationalisation des espaces et des cultures a favorisé la disparition de la mixité des productions. Le statut fiscal du foncier et l'absence de prise en compte par les aides Pac ont fini par anéantir le système.

Fabien Liagre, ingénieur agro-économiste spécialiste de l'agroforesterie.

Eligibles à la Pac

Depuis 10 ans, l'agroforesterie signe pourtant son retour. « Les choses évoluent, remarque Olivier Périn, du service forêt de la chambre d'agriculture de l'Isère. Nous sommes passés d'une vision de l'agriculture intensive, à un système de production existant, avec des travaux de recherche, un réseau d'acteurs et des avancées en matière de parcelles agroforestières. Surtout, il faut noter que désormais toutes les parcelles agroforestières sont éligibles à la Pac dans le cadre des DPU ». Les travaux engagés, notamment par l'Inra de Montpellier et le cabinet Agroof dans le cadre de programmes européens et du Casdar, le fonds gouvernemental affecté au développement agricole et rural, sont assortis de conclusions intéressantes. Elles soulignent en effet que les cultures associées apportent une production de biomasse supérieure en équivalent surface à de la monoculture. Mais aussi qu'une véritable synergie se développe entre les cultures ligneuses et les cultures saisonnières. Enfin, l'action environnementale positive sur l'eau, l'érosion ou la séquestration du carbone ont été démontrées.

Services rendus

Il y avait 4 500 hectares de cultures associées en France en 2013 et les scientifiques en espèrent 8 à 10 000 à court terme. On dénombre ainsi 120 parcelles expérimentales, dont les plus anciennes ont 25 ans. « Les travaux de l'Inra démontrent que les arbres filtrent 50 à 80% des nitrates. Cela, couplé à de bonnes pratiques agricoles, permettrait d'arriver à des systèmes productifs sans fuite d'azote ni de nitrates », note Fabien Liagre, dont le cabinet travaille à la modélisation des systèmes. Car les chercheurs se penchent énormément sur le service rendu au niveau des sols, scrutant leur qualité, mais aussi celle de l'eau. « C'est une urgence qui peut intéresser les collectivités », insiste le chercheur en citant tant les grands projets agroforestiers sur des zones de captage à Paris et à Lille, que des initiatives de taille plus modestes à l'échelle de communautés de communes. Autre progrès lié à l'agroforesterie : la diversification des espèces fait encore l'objet l'étude. « Cela demande des moyens pour suivre la biodiversité et opérer un contrôle efficace sur les ravageurs ». Cependant, le chercheur est persuadé, au regard de la résistance aux produits de traitement, que la richesse des milieux est une réponse aux risques invasifs ou de pollution. Les travaux de l'Inra attestent également que des productions mélangées apporteront un niveau de biomasse supérieur, aux mêmes productions séparées. « Cela est valable pour n'importe quelle association : deux types de blés produisent plus ensemble que séparés. Avec des arbres, c'est plus 30 à 60% de bois et de graines ». Bref, l'agroforesterie ne se limite pas au rendement du bois d'œuvre ou des arbres fruitiers, les services économiques rendus résident aussi dans le sol.

Inventaire des parcelles

« Nous avons pour objectif de dresser un inventaire correct des parcelles », reprend Fabien Liagre. Pour cela, un nouveau programme Réseau mixte technologique (RMT) sur le thème de l'agroforesterie est porté par FranceAgriMer. L'Inra de Montpellier s'intéressera aux aspects productifs, tandis qu'Agroof se penchera d'encore plus près sur les questions de temps de travail, de marge brute et de biodiversité. L'agroforesterie ne dicte pas un modèle général, chaque parcelle, chaque association demande à être étudiés au cas par cas, en fonction du sol, du climat, de l'orientation, du type de cultures ou de pâturage, du calendrier de plantation, des essences (bois d'œuvre, bois énergie) et de leur espacement...
La France n'est pas en avance en matière d'agroforesterie et la région Rhône-Alpes encore moins. Car planter des arbres, c'est peut-être, dans un premier temps, s'exposer à la pression des ravageurs. Pas facile non plus de modifier ses pratiques, d'abandonner la monoculture, d'accepter des charges de mécanisation supplémentaires générées par les cultures intercalaires. Pour autant, quelques expériences sont lancées, par des agriculteurs sensibles à la problématique, en maraîchage ou en diversification de culture sous noyers dans le Sud Grésivaudan, en association de grandes cultures dans le Grésivaudan, dans le cadre de la gestion des espaces naturels sensibles (ENS) avec le conseil général, pour lutter contre l'érosion dans le Pays Viennois... « Il faut aujourd'hui passer à l'action. Identifier les publics concernés, porter à connaissance les travaux en matière d'agroforesterie. Le modèle change, nous sommes arrivés à une période charnière. On redécouvre qu'il peut y avoir des systèmes performants économiquement et pour l'environnement », insiste Olivier Périn.

Isabelle Doucet

La chambre d'agriculture et le Département en faveur de l'agroforesterie
La chambre d'agriculture organisera à l'automne des réunions d'information sur l'agroforesterie, assorties de journées techniques de visites de parcelles.
Elle prévoit une formation sur deux jours début 2015 et prépare un dossier d'aide à la plantation et d'aide à la parcelle dans le cadre du Feader.*
Le conseil général, en lien avec son service environnement, a signé une convention avec la chambre d'agriculture orientée autour de deux axes : la biodiversité et le développement des trames vertes. A ce titre, le service propose aux agriculteurs des visites d'études ainsi que des formations.

 

Feader* : fonds européen pour le développement rural

 

Cyrille Fatoux a joué la carte de l'agroforesterie et du bio dès son installation en maraîchage.  

 

 Saint-Hilaire-du-Rosier / Cyrille Fatoux s'est lancé dans l'agroforesterie dès son installation en maraîchage en 2007 avec déjà, quelques retours d'expérience.

Au pied de son arbre

 « C'est une pratique qui a toujours existé. Les gens le font sans forcément y apposer le terme d'agroforesterie ». Installé en maraîchage en 2007 dans la plaine de Saint-Hilaire-du-Rosier, Cyrille Fatoux a tout de suite pris le parti des arbres et du bio. Il reconnaît avoir été chanceux, en tant que "hors-cadre familial", pour reprendre, dans le cadre d'une succession, ces parcelles représentant une SAU de 4,3 hectares d'un seul tenant et entièrement irrigées. Mais il se trouve confronté à un sol épuisé. « Du béton qui devenait poreux lorsqu'il pleuvait. Je n'ai pas fini de le récupérer. Cela devient intéressant seulement depuis l'an dernier ». A grand renfort de fumier et d'engrais verts « dès que les sols étaient disponibles », mais aussi d'un bon paillage sur les cultures longues, il permet à la terre de se régénérer.
L'idée d'associer arbres et cultures remonte à la formation agricole du maraîcher. Sa route croise celle de Christian Dupraz, chercheur en agroforesterie à l'Inra de Montpellier. « J'ai trouvé ses cours passionnants. » Il s'intéresse ensuite à l'agriculture tropicale puis sahélienne, découvre les différents étages de cultures, apprend à raisonner en plusieurs dimensions. Il plante des arbres (petits fruits et arbres fruitiers) dès son installation. « Sans trop compter dessus, mais à terme, cela permettra de développer une deuxième activité ». Pour la première fois depuis sept ans, il obtient une petite production fruitière (abricots, pommes, prunes, poires, pêches) qui complète les petits fruits (cassis, fraises, framboises). « Avec l'agroforesterie, on se positionne sur une autre échelle de temps comparé au maraîchage. Cela représente un surcoût et un surplus de travail à l'installation et n'est pas rémunérateur avant plusieurs années. Mais plus les arbres grandissent et plus on s'y retrouve ». Brise-vent, ombrage, transfert de fertilité des profondeurs vers la surface : les vertus des arbres sont nombreuses. L'agriculteur considère sa pratique culturale et l'agroforesterie comme un tout. Il ne saurait exactement situer dans le temps l'observation des premiers changements, « car les arbres sont encore jeunes, mais j'ai rapidement constaté un développement fantastique de la faune des insectes ». Quant au sol, il est devenu « grumeleux, foisonnant, assure le maraîcher, les mains plongées dans sa récolte de pommes de terre. On y gagne en qualité de travail et en consommation de carburant. »
Son projet agroforestier est encore en devenir. Il plante des lignes d'arbres, alternant entre essences productives (fruitiers) et des arbres plus hauts favorisant le transfert d'azote. « Je souhaite développer la biodiversité avec des essences plus locales comme l'érable, le chêne ou le frêne pour faire du bois d'œuvre », explique-t-il. Le maraîcher, qui fait aussi un peu de grandes cultures, se considère encore dans une phase de démarrage. Il n'arrive pas tout à fait à tirer un revenu de l'exploitation et mesure toutes les améliorations qu'il lui reste à faire, notamment techniquement, en vue d'améliorer ses rendements. Dans 10 à 15 ans, il se voit volontier « avec de beaux arbres et deux à trois salariés sur l'exploitation, et pourquoi pas développer l'activité transformation, tout en restant dans la vente directe ». Pour l'heure, il constate que l'agroforesterie intéresse de plus en plus de monde et qu'il reçoit plus souvent des visiteurs intéressés par ses pratiques culturales.
ID