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Chanson française

Bête de scène

Le 13 mai, Cécile Calixte, agricultrice et artiste, réinvente les bords de Marne sur le plateau matheysin. Avec La nouvelle Guinguette, son dernier spectacle, la chanteuse fait briller quelques perles rétro qui vous conduisent de Joséphine Baker à Juliette Gréco. A écouter sans modération.
Bête de scène

A six ans, Cécile Calixte a pris la décision de sa vie. « Quand je serai grande, je serai fermière et chanteuse ! » Quelques décennies plus tard, le rêve de gamine est devenu réalité. Installée sur le plateau matheysin, associée en Gaec avec son mari et son beau-frère, elle conjugue traite et tréteaux, bottes et talons hauts. Avec bonheur et sans complexe. Du haut de ses 1 mètre 47, l'artiste se sent aussi à l'aise avec ses montbéliardes qu'avec son public, gratifiant les unes d'un joyeux « Salut les filles ! » à l'heure de la traite, les autres d'un irrésistible sourire rouge baiser, dégainé au cours d'une soirée cabaret.

Chant lyrique

L'histoire a commencé avec le Magicien d'Oz et une ferme Starlux. Deux chemins d'évasion dans une enfance grenobloise solitaire, un peu compliquée. La fillette grandit entre un père moniteur d'auto-école, fou d'accordéon et de marche militaire, et une mère dotée d'un joli brin de voix. A seize ans, Cécile prend des cours de chant lyrique. C'est une révélation. Ce qui ne l'empêche pas, trois ans plus tard, de partir vivre chez sa grand-mère, dans une fermette dauphinoise, du côté de Varces. « Pendant que les autres allaient en boîte de nuit, je m'occupais des lapins... »
La jeune femme a choisi de combiner contact avec les animaux et rencontre avec le public. Elle fait l'acquisition d'un cheval, de chèvres, de moutons, de cochons, monte une petite ferme pédagogique et, pendant dix ans, passe son temps à « mettre ensemble des gens, des enfants, qui allaient bien, ou pas ». De temps à autre, elle organise des fêtes à la ferme et n’oublie pas son amour du chant, qui la conduit à oser pousser la chansonnette dans les rues ou à la fête de la musique. « Je n'ai jamais eu le trac », s'étonne-t-elle presque.
A 35 ans, mariée, mère de cinq enfants, la voilà qui se décide à passer un BPREA à la MFR de Vif. « J'ai découvert ce qu'était la production, confie-t-elle. Mais ce n'était pas mon truc. Moi je suis plutôt du genre à parler à mes vaches, et même à chanter pour elles. » Son idéal à elle, c'est la ferme Starlux, autonome et autosuffisante. Un rêve de gosse, irréalisable dans le monde d'aujourd'hui. Cécile le sait bien : « C'est fini ! Ça ne vous fait pas manger. »

Petite annonce

Diplôme en poche, l’agricultrice s’apprête à poursuivre son petit bonhomme de chemin, mais la vie en décide autrement. Son mari ne supporte plus qu’elle monte sur scène. Divorce. Coups durs. Vente de la ferme. Tout est à recommencer. Cécile Calixte cherche un lieu d’accueil pour ses bêtes. La meilleure solution, c’est de trouver un chef d’exploitation capable d’adopter son petit monde. Jamais à cours d’idées, elle passe une annonce dans Terre dauphinoise - « Ma grand-mère était abonnée. Ce journal, il fait partie de ma culture, de mon histoire » - et reçoit une cinquantaine de réponses. « Y’a de la misère, se désole Cécile. Vous imaginez le nombre de paysans célibataires ? »

Après quelques échanges de lettres et deux ou trois « visites sur place pour voir », le choix de Cécile s’arrête sur Olivier Rippert, un garçon sérieux, un peu timide certes, mais « intelligent, drôle, ouvert et d’une grande sensibilité ». L’éleveur travaille en Gaec avec son frère à Villard-Saint-Christophe. « Je suis arrivée, divorcée, avec cinq enfants… Ses parents m’ont accueillie comme une fille. J’ai trouvé une famille, un père, une mère, un foyer. » La greffe met pourtant un peu de temps à prendre. Le Gaec de la Traverse n’a pas la dimension d’une ferme pédagogique et, dans un premier temps, Cécile a un peu de mal. Mais elle finit par trouver sa place. Olivier lui propose même d’intégrer le Gaec, histoire « d’avoir un statut ».

Olivier et Cécile Calixte, éleveurs et chanteurs amoureux

Avec 5% des parts, Cécile n’est pas pieds et poings liés à la ferme. Elle s’occupe de ses « bestioles » (les chevaux, les poules, les chèvres…), de la farine des vaches (Olivier est allergique...) et de la traite le soir. Le reste du temps, elle est libre de gagner sa vie comme elle l’entend. Entre deux petits boulots au lycée de la Mure ou au foyer de Villard, Cécile se produit sur scène. « Je suis artiste, profondément interprète. C’est ce que je fais de mieux », souffle-t-elle.

Voix dense et soyeuse

Et c’est sans doute vrai. Sa voix, dense et soyeuse, se prête à tous les registres. De Piaf à Trenet, de Brel à Brassens en passant par Gréco, elle chante l’amour, la joie, le bonheur, la colère, la souffrance ou la vie en rose. Sans artifice. Mais en costume. Son physique généreux la pousse d’ailleurs à tout essayer, à tout oser. Y compris, si le contexte s’y prête, « l’effeuillage burlesque ». « Ça vient de ma passion pour Hollywood, explique Cécile Calixte. Vous jouez un personnage, mais c’est une comédie. L’important, c’est de suggérer, de travailler sur l’imaginaire. »

Avec son mari, le contrat est clair. « Il me laisse faire ce que je veux. De toute façon, il n’a pas le choix », lance t-elle dans un grand éclat de rire. Amoureux et philosophe, Olivier Rippert acquiesce en souriant : « C’est une vraie artiste. Elle en a les bons côtés, mais aussi les mauvais. Elle a toujours de nouvelles idées, qui ne correspondent pas forcément à la vie de l’exploitation. C’est parfois difficile, mais il faut relativiser. » L’éleveur relativise d’autant plus facilement que sa femme lui a ouvert de nouveaux horizons. Peu à peu, la complicité et la confiance aidant, il s’est mis à chanter, lui aussi. Il a même rejoint un chorale et monte parfois sur scène avec Cécile. « Ça vous sort du train-train, même si le boulot vous rattrape vite ensuite. »

Aussi étonnant soit-il, le couple a trouvé son bel équilibre. Le seul regret de Cécile, c’est la vie de fou de son mari. « Ce qui me fait le plus mal, c’est de ne jamais me lever le matin avec mon homme à côté de moi, dit-elle. Le soir, il rentre, il s’écroule de fatigue. L’agriculture est un beau métier, mais c’est un métier où les hommes oublient de vivre. » Olivier n’a pas totalement oublié, puisqu’il s’est mis à chanter.

Marianne Boilève
Ambiance champêtre et chansons françaises à La nouvelle Guinguette. Un spectacle écrit, mis en scène et chanté par Cécile Calixte. Samedi 13 mai à 20h30 à la salle associative de Villard-Saint-Christophe. 10 euros l'entrée, donnant droit à une consommation gratuite. Renseignements et réservation : 06 19 59 12 91