Car postal : pratique anti-concurrentielle ou règle du jeu mortelle?

Les transporteurs isérois, soutenus par la Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV), mettent en cause les conditions dans lesquelles Car Postal exerce son activité en France, et plus particulièrement en Isère. Ils dénoncent les « pratiques anticoncurrentielles » de la société suisse, qui lui permettent depuis cinq ans d'être régulièrement moins disante dans ses réponses aux appels d'offre lancés par le conseil général, poussant ce dernier à retenir sa candidature au détriment d'entreprises iséroises. Avec plus de 120 véhicules, Car Postal gère en effet six lignes Express dans les secteurs de Grenoble et Bourgoin-Lyon, ainsi que plusieurs lignes secondaires et scolaires reliant les villes de Pont-de-Chéruy et Vienne à Bourgoin-Jallieu et l'Isle d'Abeau.
L'affaire ne sortirait pas du cadre de la concurrence acharnée mais ordinaire, si Car Postal ne faisait pas appel à sa société-mère, la Poste Suisse, pour compenser les « marchés à marge négative » décrochés en France, et particulièrement en Isère. Or jusqu'en juin 2013, la Poste Suisse était une entreprise publique, épongeant les dettes de sa filiale française avec de l'argent public, pratique interdite par le code des marchés publics... français. L'autocariste helvète a en effet multiplié les succès ses dernières années, raflant une grande part des lignes express soumises à appel d'offre par le conseil général, avec des propositions souvent inférieures de 20% à celles de ses concurrents locaux. Furieux, les transporteurs isérois ont alerté les pouvoirs publics fraçais et demandé à ce que l'autorité de la concurrence soit saisie. Mais comme aucune irrégularité ni entente illégale n'a été constatée, les procédures ont tourné court et les transporteurs été déboutés.
Car Postal, un « prédateur » ?
Du côté du conseil général, on avoue un certain embarras. « On ne peut pas reprocher aux élus de bien gérer l'argent public, se défend Didier Rambaud, vice-président en charge des transports. Mais c'est vrai que Car Postal s'est comporté comme un « prédateur ». Qu'il arrive sur le marché et qu'il bouscule un peu le jeu, à la limite pourquoi pas ? Le problème, c'est qu'il a pu le faire parce qu'il est aidé par la Poste Suisse, et ça, ça pose question. » C'est ce qui explique qu'en 2012, le conseil général ait lui-même interpelé le préfet de l'Isère et la Dirrecte Rhône-Alpes (1). Une première enquête a conclu que Car Postal n'enfreignait en rien le droit de la concurrence ni le code des marchés publics : « Ces éléments [présentés par les requérants NDLR] ne semblent pas être constitutifs de pratiques visées par les articles L.420-1 et L.420-2 du code de la concurrence traitant des ententes anticoncurrentielles et de l'abus de position dominante », concluent les enquêteurs. Retour à la case départ.
En sa qualité de pouvoir adjudicateur, le conseil général n'aurait-il donc aucun recours ? La passation d'un marché étant soumise à des règles de publicité, de mise en concurrence et d'impartialité afin de garantir l'égalité de traitement des candidats et la liberté d'accès à la commande publique, la rédaction d'un appel d'offre ne peut en aucun cas mentionner une quelconque origine géographique. Il a donc fallu trouver une nouvelle parade afin d'éviter que Car Postal continue de remporter tous les appels d'offres du département. D'autant que, depuis juin 2013, le problème s'est compliqué du fait que la Poste Suisse est devenue une société anonyme, perdant son statut d'établissement public. Pour sortir de l'impasse, le conseil général invite l'Etat à trancher. Dans un courrier en date du 8 juillet dernier, dont Terre Dauphinoise a pu se procurer copie, son président, Alain Cottalorda, demande à Frédéric Cuvillier, secrétaire d'Etat chargé des transports, « un éclairage sur la régularité de l'entreprise Car Postal Interurbain au regard de la commande publique et du droit de la concurrence. » Le ministre n'a pas encore répondu.
(1) Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi.