Ce que coûte la santé
Les Rencontres du Crédit agricole Sud Rhône Alpes, qui se sont déroulées à Grenoble le 15 mai dernier, se sont penchées sur les innovations technologiques et sociétales au service de la santé.

« 13 % de nos concitoyens vivent dans des déserts médicaux. Le sujet de la santé est majeur pour les territoires et les entreprises », a lancé Jean-Pierre Gaillard, le président du Crédit agricole Sud Rhône Alpes, en introduction aux Rencontres organisées par l’établissement bancaire, le 15 mai à Grenoble.
Chefs d'entreprise, élus et sociétaires du Crédit agricoles Sud Rhône Alpes ont assisté aux Rencontres organisées le 15 mais à Grenoble. (Crédit : ID TD)
Des experts et des dirigeants d’entreprises ont débattu autour des innovations technologiques et sociétales au service de la population des territoires.
Car le groupe s’est doté, depuis 2023, d’une filiale, Crédit Agricole Santé & Territoires, autour des métiers de l’accès aux soins et de l’accompagnement du vieillissement de la population. La banque a d’ailleurs acquis en 2024 l’entreprise lyonnaise Office Santé, promoteur de maisons de santé (1).
Les experts se sont d’abord penchés sur notre système de santé, unique au monde car « très couvrant », comme l’indique le sociologue Daniel Benamouzig, directeur de recherche au CNRS, titulaire de la chaire Santé de Sciences Po.
Le reste à charge patient sur les soins de 7 % n’a jamais été aussi bas. Mais il décrit un système de santé aux équilibres complexes et confronté à des choix.
Pour Philippe Buisson, l’homme aux 30 brevets de dispositifs médicaux, fondateur de Doran international (69), société spécialisée dans le transport liquide de médicaments, « l’économie a pris le pas sur le système de santé ».
Il insiste sur la nécessaire prise de conscience du coût de l’acte médical. Des investissements colossaux sont en effet réalisés en France au bénéfice de l’innovation et des progrès dans le traitement des maladies, mais le modèle économique est imparfait.
Un glissement
L’économiste Denis Ferrand, directeur général de Rexecode, approuve en indiquant que les dépenses totales pour la santé en France sont conséquentes car elles représentent 11 % du PIB du pays et 20 % de la dépense publique. « Nous devons avoir conscience de ce qu’est le besoin fondamental pour la santé », lance-t-il.
Daniel Benamouzig note un glissement de notre système assurantiel conçu pour avoir accès aux soins « si jamais on avait un problème », vers « un type de dépense de consommation de service ».
Il objecte : « Cela ne peut pas fonctionner. » Mais réduire les dépenses de santé, c’est aussi priver certains acteurs de revenus.
Les experts ont exploré les pistes tels qu’investir dans la technologie pour optimiser le système de santé ou encore penser des systèmes plus collectifs et plus transversaux.
Enjeux et risques majeurs
Célia Hart, cofondatrice de Supernova, fonds d’investissement dans les « deep techs » ou jeunes pousses novatrices, fait valoir que la filière biotech et medtech française est la deuxième en Europe après le Royaume Uni et que l’écosystème grenoblois a vu fleurir de belles entreprises.
Les experts présentent les innovations technologiques et sociétales au service de la santé (Crédit ID TD).
Elle présente brièvement le cycle de financement de ces start-up, « des sociétés qui répondent à des enjeux majeurs mais qui sont aussi exposées à des risques majeurs ».
Les levées de fonds permettent de pallier plusieurs années sans chiffre d’affaires. Mais arrivées à maturité, ces entreprises ont toutes les chances d’être rachetées par de grands groupes industriels ou pharmaceutiques.
« Il n’y a pas de modèle économique en France », renchérit Daniel Benamouzig. La survie d’un traitement sur le marché hexagonal dépend en effet de sa prise en charge par la Sécurité sociale, « ce qui rend le marché français difficilement abordable », contrairement à d’autres pays aux systèmes de santé plus libéraux…
Pour autant, Célia Hart souligne « des évolutions spectaculaires dans le traitement des cancers », fruits de la recherche médicale et des capacités d’investissement privés et publics.
Le collectif et le digital
Pour une meilleure efficience du système de santé, l’innovation peut aussi être sociétale. L’émergence de structures collectives « plus interprofessionnelles » et « plus en phase avec l’aspiration des jeunes professionnels », comme le mentionne Daniel Benamouzig, sont le fruit « d’une dynamique nécessairement territoriale ».
Un message bien reçu par les nombreux élus présents dans l’assemblée. Ces dispositifs se complètent d’une digitalisation du médical.
Célia Hart cite en exemple l’intelligence artificielle au service de l’analyse d’images radiologiques ou en dermatologie. « Dépister tôt se chiffre dans le système de soin », déclare-t-elle.
François Demesmay, directeur de Crédit Agricole Santé & Territoires, Monique Mendelson, enseignante-chercheuse à l’UFR Staps de l'UGA et Célia Hart, cofondatrice de Supernova. (Crédit : ID TD)
La dernière partie de la table ronde s’est intéressée à la prévention en matière de santé. Elle ne représente que 4 % des dépenses de santé en France contre 8 % en Allemagne, note Denis Ferrand.
« Il ne fait plus aucun doute que bouger améliore la santé », déclare Monique Mendelson, enseignante-chercheuse à l’UFR Staps de l’Université de Grenoble Alpes.
Elle défend les pistes du sport santé sur ordonnance et des actions de sensibilisation auprès des publics jeunes, séniors et en entreprise.
L’universitaire indique que « les collégiens ont perdu 40 % de leurs capacités respiratoires en 40 ans » et interroge le business model de la prévention.
François Demesmay, directeur de la filiale Crédit Agricole Santé & Territoires enjoint les entreprises à se préoccuper « de la bonne santé des salariés ». La prévention commence en effet, en tant que parents ou chefs d’entreprise, par la capacité à prendre soin de soi et soin des autres.
Isabelle Doucet
(1) 22 projets ou réalisations de maisons et pôles de santé en région dont quatre en Isère, trois dans la Drôme et trois en Ardèche.
Denis Ferrand, directeur général de Rexecode, Daniel Benamouzig, directeur de recherche au CNRS et Philippe Buisson, fondateur de Doran international. (Crédit : ID TD)
Protectionnisme et perte d’efficacité économique
L’économiste Denis Ferrand décrit une situation mondiale où l’attentisme prévaut et où les Européens n’ont d’autre choix que de faire bloc.

« Le protectionnisme entraîne une perte de compétitivité économique », insiste l’économiste Denis Ferrand, directeur général de Rexecode en livrant son analyse macroéconomique de la situation géopolitique, lors des Rencontres du Crédit agricole à Grenoble, le 15 mai à Grenoble.
Il estime que la confrontation entre les États-Unis et la Chine « est un mouvement de longue traîne » où les deux économies se disputent le plus gros chiffre d’affaires industriel et économique au monde.
Pour le moment la Chine tient la tête, fidèle à sa stratégie de prédation et ciblant les technologies clés : les batteries, les transitions énergétiques, les semi-conducteurs et l’aéronautique.
« Au milieu, l’Europe doit trouver son propre chemin », explique l’économiste. Mais il note « l’absence de stratégie industrielle européenne » et « notre incapacité à faire des choix ».
Dans un monde où les États-Unis, après leurs volte-face douanières, sont plus enclins à établir des relations bilatérales, il s‘interroge sur la capacité de l’Europe à répondre collectivement.
Il prévient : « Les États-Unis vont avoir une vision plus hétérogène entre pays en fonction des secteurs ».
Il cite l’exemple des produits agricoles entrants en France, taxés à 13 %, « alors que les nôtres sont taxés à 7 % à leur entrée aux États-Unis ». Il ajoute : « Il est possible que la filière viticole soit en défaut. Il y aura une augmentation des droits de douane dans la durée. Et il faudra voir de façon fine qui est concerné. »
Raisonner en Européens
Cette « rupture de confiance envers le dollar et le parapluie militaire américain » a conduit à une situation d’attentisme au niveau européen.
L’investissement privé des entreprises est à la peine et la stagflation s’installe, entre faible croissance économique et inflation. Résultat, il faut s’attendre à des hausses de prix, à des approvisionnements non garantis et à une perte d’efficacité économique.
Denis Ferrand prévient : « l’espérance de baisse de taux n’ira pas assez loin ». Face à cette situation, l’économiste préconise « de réfléchir en bloc », notamment sur les droits de douane et de « s’améliorer sur nos capacités à raisonner en Européens ».
Il cite quelques leviers, à commencer par les besoins en capitaux des États-Unis pour financer leur déficit extérieur. L’Europe a cette capacité qui est aussi un moyen de pression.
Une pression qu’il recommande aussi d’exercer sur les grandes sociétés de services américaines hégémoniques en Europe. « Nous ne pouvons pas être un herbivore chez les carnivores », conclut-il.
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