« Créer du commun dans les espaces ruraux »

Un avis du Conseil économique, social et environnemental vient d'être voté sur les jeunes en milieu rural. Quels sont les éléments positifs que vous relevez dans le rapport ?
Brieuc Guinard : Cet avis a mis en avant des problématiques habituellement peu visibles dans le débat public comme la pauvreté cachée dans certaines zones rurales. À la campagne, la vie semble de prime abord coûter moins cher. On imagine pouvoir mieux vivre, mais le logement n'est parfois pas adapté. Avec l'éloignement des services publics, la prise en charge de ces personnes est encore moins évidente. Elles ne rentrent pas dans le système et on ne les connaît pas. Cela m'amène à une autre problématique : la question de l'accès au logement pour les jeunes. Dans certaines régions rurales, comme en Haute-Savoie, il y a une vraie tension sur ce marché. Beaucoup de gens viennent s'installer : des touristes, des frontaliers, etc. C'est un vrai enjeu pour un jeune agriculteur qui reprend la ferme de ses parents. Les parents restent sur la ferme et le fils doit trouver un logement ailleurs. Certaines habitations sont des passoires énergétiques et ont largement besoin de rénovation. L'autre point que soulève le rapport c'est la question de l'égalité homme-femme.
Vous voulez dire que dans le milieu rural, les gens sont toujours aussi misogynes ?
B.G : La société française en général a un problème avec l'égalité homme-femme ! Je ne suis pas sûr qu'il y ait beaucoup de différence entre la ville et la campagne sur ce sujet. Mais c'est un enjeu qui n'est pas habituellement pointé du doigt. Il y a toujours des questions de préjugés qui perdurent, comme dans l'enseignement agricole, et qui doivent tomber. Dans les conseils municipaux, les associations, il faut plus d'élus femmes. Il y a toujours une question de légitimité, notamment par rapport à comment se répartissent les tâches domestiques.
Quels sont les éléments du rapport qui ont pu être oubliés ou pas assez pris en compte ?
B.G :La métropolisation ! Je m'explique : avec le regroupement des inter-communalités, les centres décisionnels se concentrent. Les gens viennent habiter en banlieue des villes. Cela crée des villes-dortoirs en milieu rural. Les maisons de services au public se concentrent également alors qu'avant, les services étaient mieux répartis sur le territoire. Pour nous, l'activité agricole montre qu'il est possible de recréer de la valeur ajoutée sur les territoires et donc une vie en milieu rural. D'ailleurs, cette disparition des services publics alimente le vote d'extrême droite.
Pouvez-vous nous en dire plus justement sur le développement du FN en milieu rural...
B.G : J'ai parlé de la disparition des services publics, mais la disparition des emplois aussi donne l'idée aux jeunes ruraux d'un monde qui meurt. La montée du FN, je l'explique par la désespérance. Parfois des parents qui votent à gauche ont des enfants qui votent extrême droite. Ils voient autour d'eux qu'il n'y a pas d'emploi sur place. Le film « Chez nous » de Lucas Belvaux, qui sort le 22 février, exprime très bien comment le FN a pu faire basculer des gens. Avant il y avait des barrières, des garde-fous qui n'existent plus aujourd'hui. Cela se joue en termes de réalité sociale.
Constatez-vous aussi parmi les jeunes le phénomène du « retour à la terre » ?
B.G : Il y a de plus en plus de jeunes très qualifiés, à bac + 5, qui se posent sérieusement la question d'une activité de production comme l'agriculture. Il y a une revalorisation du travail manuel. Et la question du chômage joue clairement. Tout comme donner du sens à son métier. De toute façon, il n'est pas possible de faire une société de cadres ! Et puis quelque chose de l'ordre de la maîtrise, de la liberté entre aussi en jeu. Après, certains projets portent sur des marchés de niche. Et certains projets sont, aussi, mal pensés, avec un temps de travail et un isolement conséquent, ce qui devient dangereux. Plus un jeune est accompagné, plus son projet sera viable. Et nous croyons profondément à la valeur du collectif.
À lire le projet du Cese, ce n'est pas facile d'être jeune en milieu rural. L'agriculture serait-elle une solution ?
B.G : Je n'ai pas envie de tomber dans le misérabilisme. Ce n'est pas toujours facile, c'est vrai. Mais il y a plein d'initiatives qui donnent du sens en parallèle. Il s'agit de remettre les jeunes ensemble. En agriculture, il y a aussi une perte de sens. On est vraiment à la croisée des chemins. Mais certains exemples fonctionnent. On peut citer la filière Comté qui a su travailler sur un produit de qualité ouvert à la grande consommation et permettant de rendre collectives la transformation et la commercialisation. De même, de nombreuses associations sportives ou encore des comités des fêtes proposent des activités sur les territoires qui permettent de créer du commun dans les espaces ruraux. Cela ouvre des perspectives pour des territoires ruraux toujours vivants et animés !
Propos recueillis par Emilie Durand