Départs à la retraite : en attendant la vague
Cela fait bientôt dix ans que la MSA alerte sur l’imminence d’une vague de départs à la retraite. Pourtant, dix ans plus tard, cette vague tant annoncée n’est toujours pas apparue dans les statistiques.

Avant de se pencher sur la vague annoncée de départs à la retraite, il faut bien en comprendre la cause : le vieillissement de la population agricole depuis vingt ans. L’âge des agriculteurs a connu un point bas en 2000, et progressé depuis, selon Christophe Perrot, agroéconomiste à l’Idele. Entre 2010 et 2020, la part des agriculteurs de plus de 50 ans a progressé de 6 points. Plusieurs facteurs expliquent ce vieillissement. De prime abord, on pense évidemment à l’effet du baby-boom sur la population agricole. Les premières générations de baby-boomers sont arrivées à l’âge de la retraite en 2006, selon le dernier rapport du Comité d’orientation des retraites. Et les dernières y arriveront vers 2035, selon le démographe Alain Monnier, de l’Ined. Mais, même si l’effet du baby-boom ne peut être nul, il n’est pas évalué et n’explique pas que la courbe des âges des actifs agricoles soit beaucoup plus déformée que celle de la population générale. D’autres facteurs sont une transmission difficile et des petites retraites, qui grossissent le nombre d’agriculteurs ayant dépassé l’âge de la retraite. « Les agriculteurs partent quand ils veulent, si bien que la tranche des baby-boomers n’est pas encore partie », observe Julien Rouger, en charge du dossier transmission chez Jeunes agriculteurs (JA).
L’exemple laitier
Tout cela n’explique que partiellement le vieillissement de la population agricole depuis vingt ans. Pour l’économiste Christophe Perrot, qui a étudié de près le cas de l’élevage laitier, la principale explication tient aux politiques agricoles : « Depuis les années soixante jusqu’aux années quatre-vingt-dix, la population des chefs d’exploitation a été très modelée par les pouvoirs publics, en particulier en élevage. On oublie souvent de rappeler qu’avant de passer de 31 % en 1997 à 51 % en 2020 d’éleveurs laitiers de plus de 50 ans, on était passé de 49 à 31 % entre les années 1988 et 1997, au prix d’efforts monumentaux », explique-t-il. « De 1984 à 1997, il y a eu 200 000 cessations aidées suivies ensuite d’une vague d’installations aidées très forte, à laquelle le ministre de l’Économie a dû mettre fin pour des raisons budgétaires », rappelle l’économiste. Selon ses calculs, une vague de départs a d’ailleurs déjà débuté en lait depuis 2018, et doit s’estomper dès 2027. Son pic serait même déjà passé, et fut particulièrement prononcé. Cela est dû à la particularité de l’élevage laitier : un âge de départ à la retraite assez bas, comparativement au reste de la population agricole, en raison de l’astreinte laitière très forte.
Vers une hausse du taux de départ
Au vu de l’importance de l’élevage laitier au sein de la Ferme France (un quart des installations actuellement), on pourrait penser que cette vague se perçoit dans le flux de départs à la retraite des agriculteurs français. Mais non. D’après les chiffres fournis par la MSA (depuis 2008), pas de hausse notable des sorties du métier. Depuis 2008, le taux de départs (nombre de départs divisé par le nombre d’exploitants en place) fluctue entre 4 et 7 %, sans afficher de réelle tendance. Il a même baissé de 2018 à 2021, avant de remonter jusqu’en 2024 à un niveau comparable – un peu supérieur – à 2018 et 2008. Pour l’heure, le taux de départ semble surtout marqué par les effets des politiques de retraite. Quid de l’avenir ? Peu de projections existent sur l’évolution des départs à la retraite. Le chercheur de l’Inrae, Laurent Piet, a établi en 2023, pour la Cour des comptes, une projection du nombre d’exploitations agricoles à 2035, basée sur les évolutions constatées entre les précédents recensements. Très linéaire, elle ne met pas en évidence de décrochage, et même plutôt un ralentissement de l’érosion. Quant au ministère de l’Agriculture, il a fourni une projection des départs à la retraite, qui modélise un maintien du nombre de sorties (autour de 25 000 à 26 000 par an) jusqu’en 2027, puis une baisse (autour de 22 000 à 24 000 par an) jusqu’en 2033, avant de passer sous 20 000 par an à partir de 2034. La méthode n’est pas précisée.
Pas d’observatoire
Là encore, pas de vague en apparence. Sauf si l’on rapporte le nombre de départs à la population des exploitants, qui, elle, décroît. C’est ce que l’on peut appeler le taux annuel de départs, qui passerait de 6 à 8 % d’ici 2035, avant de refluer. C’est ici que se situerait la vague. La vague serait donc à venir. Selon les données de la MSA, la courbe est, en effet, sur une phase ascendante, mais comme elle le fut déjà à deux reprises sur les quinze dernières années. « Tendanciellement, il y a bien plus de départs à la retraite, mais la vague, à ce stade, on ne l’a pas vue à sa pleine puissance », assure aussi Jean-Pierre Touzet, directeur du pôle Agri-Agro de Crédit agricole SA. Quoi qu’il arrive, l’effet de cette vague sera fonction de l’évolution des installations. Sur la période 2014-2022, 72 % des départs ont été compensés par des entrées dans le métier, sans tendance d’évolution. Bref, les études manquent pour prédire l’avenir, particulièrement dans les filières végétales. Aujourd’hui, aucun observatoire national n’a vu le jour, faute de moyens accordés aux chambres d’agriculture par les pouvoirs publics, indique Jeunes agriculteurs (JA).
M. R.