Dissonances dans les rythmes scolaires
Seules 47 communes iséroises sur 533 appliquent la réforme des rythmes scolaire dès cette rentrée 2013. Moins de 10%. Ce qui est loin des chiffres nationaux qui annoncent 40% de communes adoptant les nouveaux rythmes, mais seulement 11% de celles situées en zone rurale.
« Les communes rurales ont pour la plupart reporté la mise en place de la réforme des rythmes scolaires à 2014. C'est tout d'abord un problème de moyens, même lorsqu'un système de garde périscolaire existe déjà », constate Nicole Finas-Fillon, présidente de la Peep* Isère, confirmant les craintes de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) de voir des disparités s'établir entre les écoles de campagnes et celles des villes. La représentante des parents d'élèves pointe plusieurs freins. Ils sont d'abord d'ordre financier, en dépit de l'investissement des enseignants et des aides publiques. Ce sont aussi des problèmes de personnel et de recrutement ; les compétences requises pour assurer la garderie périscolaire n'étant pas les mêmes que celles nécessaires à l'encadrement des activités périscolaires. « Comment trouver du personnel formé et disponible pour une journée discontinue, interroge Nicole Finas-Fillon. Ce qui est possible en zone urbaine où il y a des étudiants, l'est moins en zone rurale ». Plus généralement, elle souligne un contraste entre les parents d'élèves qui ont la possibilité de garder leurs enfants durant ces plages horaires dédiées à ces nouvelles activités non obligatoires, mais qui, du coup, écartent leurs enfants des objectifs de la réforme, et ceux qui confient leurs jeunes au système, sans garantie quant à la qualité et la finalité du service proposé.
Mutualisation des moyens
Pour la représentante, la solution en zone rurale passe certainement par l'intercommunalité et la mutualisation des moyens. « C'est une bonne réforme sur le fond, mais compliquée à mettre en application dans la forme », ajoute-t-elle. La plupart des communes ont choisi de terminer l'école vers 15 h 45 pour que s'enchaînent les activités périscolaires puis la garderie, « ce qui ne respecte pas vraiment les rythmes d'apprentissage de l'enfant, qui est plus fatigué en début d'après-midi », conclut-elle. Mêmes observations du côté de la FCPE** qui craint que le tissu associatif, en milieu rural, ne permette pas d'assurer une offre périscolaire satisfaisante. Le risque est fort que cette réforme ne vienne renforcer la mécanique d'une école à deux vitesses, entre les familles aisées prêtes à compenser et celles qui ont moins de moyens, entre habitants de milieux ruraux et ceux des agglomérations. « Il y a autant de cas que de communes », souligne Mireille Prédal de la FCPE. « Cependant, le but de la réforme semble parfois éloigné des préoccupations des parents, qui s'inquiètent davantage des conséquences pour leur confort personnel », ajoute-t-elle.
Tissu associatif
Pour autant, au terme d'une année scolaire 2012-2013 ponctuée de réunions entre élus, enseignants et parents d'élèves, certaines communes rurales, à l'exemple de Charnècles, ont réussi à relever le défi. Pour le maire, Christian Jacquier, l'élément facilitateur a été l'implication de l'équipe pédagogique. Original, le choix de l'accompagnent éducatif s'est porté sur un créneau de ¾ d'heure le matin. Huit intervenants qualifiés en judo, cirque, théâtre, lecture et autres activités sportives prendront les enfants en charge avant le début des enseignements. « Nous n'avons pas choisi l'option de faire terminer la classe à 15 h 30, ni de toucher à la pause méridienne. De 16 h 30 à 18 h 30, la garderie fonctionnera normalement », poursuit le maire, qui compte une cinquantaine d'enfants inscrits, sur l'effectif de 155 élèves qu'enregistre le groupe scolaire. Le tissu associatif étant suffisamment étoffé, le recrutement des intervenants n'a pas non plus posé de problème.
Cras et Morette ont aussi franchi le pas, démontrant que la taille n'est pas un handicap. Pas plus de 89 élèves répartis en deux groupes scolaires, des mois d'une discussion constructive et, à l'arrivée, un projet, sûrement perfectible, mais bâti sur des ressources locales, au service de l'éveil et de la curiosité des enfants. « Pour une fois, ce sont les adultes qui composent autour des enfants, insiste Nicole Di Maria, la maire de Cras. Il faut être convaincu que c'est pour le bien des enfants » Le temps dédié à ces activités périscolaires spécifiques a été fixé de 13 h 45 à 14 h 30 à Cras, qui accueille les maternelles et cycle 3, puis en deuxième partie d'après midi à Morette avec les CP, CE1 et CE2. Les trois Atsem*** ont adhéré au projet et fait valoir leurs compétences (arts plastiques, réalisation de tabouret, lecture, canevas, couture, jeux), auxquelles se sont adjoints des intervenants extérieurs : un professeur de science et une association de radio amateurs. « Nos ambitions sont modestes, explique Nicole Di Maria, mais nous avons essayé de respecter le texte. C'est une année expérimentale et l'an prochain nous comptons sur le partenariat de la communauté de communes, lorsque les autres communes du syndicat scolaire nous rejoindront. » La première magistrate a fait ses calculs. Il en coûtera 15 000 euros pour mettre en place cette réforme. Une partie entrera dans le cadre des contrats des personnels communaux et une autre sera financée par le fonds d'amorçage de 50 euros par enfant accordé par l'Etat. Il restera 7 000 euros à la charge des deux communes. « Peut-être demanderons-nous une petite participation symbolique de un ou deux euros par mois afin d'accéder à la subvention de 0,59 centimes donnée par la CAF », ajoute l'élue, qui regrette que sa commune ne soit pas éligible à la Dotation de solidarité rurale cible.
Des pistes
Pourtant, à Chasselay, à un jet de noix de Cras et de Morette, le groupe de travail a préféré se donner encore une année de réflexion. Le maire, Gilbert Champon, fait part de ses attentes à l'égard de la communauté de communes et plaide pour une clarification des objectifs de la réforme. Comme les autres communes du secteur, les élus ont déployé beaucoup d'énergie pour rendre les écoles attractives, en rouvrir, offrir des services de garderie périscolaire à prix modique et même une cantine traditionnelle. « Nous avons du personnel très compétent, et c'est une chance », poursuit le maire. Mais là, question organisation, ça bloque. « Il faut savoir ce qu'on veut faire avec les rythmes scolaires : de la garderie ou bien du culturel et du sportif ? ». Des pistes se dégagent déjà : des arts plastiques grâce aux compétences du personnel communal, sûrement de la musique et du sport, mais à quelles conditions ? « Nous ne savons pas si les aides exceptionnelles de l'Etat seront maintenues en 2014 », s'inquiète Gilbert Champon. Même son de cloche du côté de la communauté de communes de Chartreuse-Guiers où le calendrier scolaire a télescopé celui de l'administration. A la veille de son élargissement à 17 communes entre Savoie et Isère, l'intercommunalité a en effet a jugé bon d'attendre pour être en capacité d'apporter une offre homogène à toutes les écoles de ce secteur de la Chartreuse.
Isabelle Doucet
*Peep : Parents d'élèves de l'enseignement public
**FCPE : Fédération des conseils de parents d'élèves
***Atsem : Agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles
Les aides publiques
L'Etat a débloqué 250 millions d'euros pour aider les communes à mettre en place la nouvelle organisation des activités périscolaires dès cette année. A chaque élève correspond ainsi une dotation de 50 euros. Les communes éligibles à la dotation de solidarité rurale, dite « DSR cible », se voient attribuer 40 euros supplémentaires par élève. Cette majoration est prolongée pour l'année scolaire 2014-2015, que les communes aient choisi de mettre en ?uvre la réforme cette année ou l'an prochain.
MB
Entretien / Andrée Rabilloud, présidente de l'association des maires ruraux de l'Isère et maire de Saint-Agnin-sur-Bion, évoque les conséquences de la réforme des rythmes scolaires sur les communes rurales.