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Minoterie

Du champ au moulin, en direct

Plus que centenaire, la minoterie familiale du Trièves écrase les blés cultivés alentour. Son modèle économique est basé sur la noblesse des produits et la proximité, que conforte l'expérience des farines Valcétri, produites à partir d'un blé de montagne de qualité.
Du champ au moulin, en direct

Petite parmi les gros, la Minoterie du Trièves prévoit d'écraser plus de 10 000 tonnes de blé en 2014. Créé en 1906, ce moulin familial, dirigé par Philippe Corréard et ses deux fils, Sébastien et Fabrice, tourne depuis quatre générations à Clelles dans le Trièves. Ses blés sont à 70% issus du territoire sud-isérois et à 30% de la basse Isère et de la Drôme limitrophe. Quant à sa clientèle, elle est composée de 400 artisans boulangers installés dans le Sud-Est de la France, depuis le Sud-Lyonnais jusqu'à Marseille, avec une belle concentration en Isère, dans les Alpes de Haute-Provence et les Alpes-Maritimes.

Philippe (à gauche) et Sébastien Corréard : troisième et quatrième génération de meuniers.

Une identité

Au cœur du grenier de l'Isère, la minoterie écrase, remélange et transforme tous ses produits. Indépendante comme le sont encore quelques moulins face à de grands groupes ou des regroupements sous enseigne, et dans un paysage où les concentrations sont nombreuses, elle joue la carte de la qualité, de la proximité, du service et de la réactivité. Le meunier a dû sortir de son métier classique pour mieux communiquer auprès des artisans et leur apporter un certain accompagnement. La farine qu'ils utilisent participe de leur identité en tant que boulangers et le moulin les aide à valoriser cette image. La clientèle finale apprécie. Les parts de marché progressent.

Pour autant, il a fallu que l'entreprise, qui emploie 25 personnes et dégage un chiffre d'affaires de 5 millions d'euros en progression chaque année, se structure et développe son outil de production. Ce sont des investissements lourds dans un moulin où tout est intégré, depuis la réception, la préparation, le nettoyage et le mélange des blés, en passant par l'écrasage, le pesage, et le mélange des farines entièrement automatisé, puis le stockage et l'expédition. Toutes les nuits sept camions de 19 à 44 tonnes prennent la route depuis Clelles, été comme hiver. Au cœur du Trièves, le moulin ne se sent pas pour autant isolé, ou du moins, s'adapte. « Nous sommes aussi rapidement à Gap qu'à Grenoble, note Philippe Corréard, son dirigeant. Cela génère certes des surcoûts, mais 60% de nos besoins en blé sont produits dans un rayon de 15 kilomètres », modère-t-il.  Le moulin écrase toute l'année, avec des variations saisonnières n'excédant pas 25% du volume : l'hiver, il convient d'alimenter les stations de ski et l'été, les secteurs touristiques.

Investissements

La Minoterie du Trièves ne s'inscrit pas dans une guerre tarifaire. Face à la concurrence, elle se distingue par l'authenticité de ses produits, proposant une gamme complète de farines de type 55 à 80, ainsi que par son souci d'efficacité. « Nous investissons régulièrement dans du matériel de pointe comme la station de mélange, cela permet de nous démarquer », indique Philippe Corréard. Depuis trois ans, l'emballement et l'empalettement ont aussi été automatisés, réduisant les travaux de manutention. « La traçabilité fait partie de notre métier », poursuit-il.

La minoterie est entièrement automatisée. 
(Photo Minoterie du Trièves)

Sa force est aussi commerciale : « Nous connaissons tous les artisans boulangers que nous servons. Il ne faut pas perdre le relationnel », explique Philippe Corréard, qui emploie cinq commerciaux et apprécie de rencontrer ses clients. Autre avantage concurrentiel, la minoterie s'est toujours appliquée à « provoquer le changement », en mettant régulièrement sur le marché de nouveaux produits. A l'image du vigneron, elle travaille sur les assemblages et compose ses nouvelles gammes avec un laboratoire spécialisé en Côte-d'Or. Philippe Corréard annonce l'arrivée de nouvelles farines d'ici six mois et d'un produit à base de blé dur dans un mois.  « Nous pouvons réaliser des farines à la demande », insiste-t-il.

Isabelle Doucet

Les farines Valcétri : une histoire de pays

 
La minoterie possède une chose que de nombreux moulins n'ont plus : la relation directe avec les agriculteurs. Certes, les farines qu'elle reçoit arrivent de coopératives qui assurent la collecte, mais il y a environ 15 ans, le meunier a été partie prenante de l'aventure de Valorisation des céréales du Trièves, Valcétri, cette remise sur le marché d'une farine de montagne aux qualités reconnues. Aujourd'hui, la filière Valcétri représente 25% des blés écrasés au moulin. Ils sont collectés auprès de 41 agriculteurs qui cultivent 730 hectares de blés dédiés, soit 40% de la sole blé du Trièves. Ce qui constitue aujourd'hui un plafond au regard des exigences qualitatives du cahier des charges Valcétri. « C'était compliqué au départ, se souvient Philippe Corréard. Ces deux professions s'ignoraient. Aujourd'hui, je connais tous les agriculteurs. Nous avons eu de nombreuses discussions avec des techniciens car nous avions besoin de sélectionner de bons blés. »
Marquer une pause
Valcétri s'appuie sur 13 variétés de blé, qui peuvent varier en fonction de leur évolution. Depuis cinq ans, cette appellation a été classée produit de montagne, car le blé du Trièves pousse entre 600 et 800 mètres d'altitude. « Nous sommes la seule région à faire du blé à cette altitude », souligne le meunier. C'est aussi un des rares moulins à proposer une farine labellisée issue d'un blé régional. Et l'implication du meunier a dû être totale puisque c'est à lui qu'aincombé la diffusion de cette nouvelle farine. Mais de fait, la carte Valcétri a toujours représenté un argument commercial, assurant à l'entreprise une évolution régulière de 5 à 8% de son chiffre d'affaires, et aux agriculteurs, une prime intéressante. Mais depuis 2012, les ventes se tassent ; la crise est passée par là et le meunier a même vu des boulangers revenir à des farines traditionnelles, pour des raisons économiques. La récolte 2013 s'élève à 3 100 tonnes, dont il faut soustraire 10% de déclassement en raison de blés arrivés à la minoterie un peu trop sales, en dépit de leur taux protéïque satisfaisant ; un blé « vêtu » qui s'explique peut-être en raison de sa maturité tardive et de la pluviométrie. Le rendement moyen s'établissait en 2013 à 4,82 t/ha.
Pour 2014, l'association interprofessionnelle a proposé de marquer un pause, avec des surfaces contractualisées ne s'établissant plus qu'à 650 hectares. Il faut dire que la sole avait augmenté de 68% entre 2011 et 2013. La récolte espérée serait de 3 250 tonnes avec un meilleur rendement attendu de 5t/ha. Pour cela, il a été proposé de remettre à jour le cahier des charges, toujours à la recherche de la meilleure qualité possible. « Nous ne pouvons pas préjuger des tonnages à venir, avertit aujourd'hui le meunier. C'est aux agriculteurs de s'adapter à la demande. Cela fait partie de nos discussions.» Mais pour Philippe Corréard, Valcétri est avant tout « une belle aventure. Nous avons tous l'impression de travailler les uns pour les autres ».
Isabelle Doucet