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Prairies fleuries

Du Vercors à Paris

Chercheur à l'Irstea, Grégory Loucougaray étudie le fonctionnement des système prairiaux et l'équilibre entre élevage et écosystème. Il est également le président du jury local qui a envoyé la parcelle de Didier et Hugues Argoud-Puy à Villard-de-Lans, représenter le Vercors au concours agricole général des prairies fleuries.
Du Vercors à Paris

Grégory Loucougaray a fait des prairies son terrain de recherche. Cet ingénieur de l'Institut de recherches en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea), écologue des systèmes prairiaux, travaille sur la relation entre les pratiques agricoles ou pastorales et les prairies de montagne. Leur diversité, leur composition, leur dynamique sont donc étudiées à l'aune de leur utilisation. Comment les pratiques d'élevages influencent-elles l'écosystème ? Qu'en est-il de la production fourragère, de sa qualité, de sa capacité de résistance, de la propension des sols à améliorer le recyclage des nutriments, quels services sont rendus aux auxiliaires, comment la diversité des plantes influence-t-elle par exemple la qualité de pollinisation des abeilles ou bien, tout simplement, l'aspect esthétique de la parcelle ?

Grégory Loucougaray, chercheur à l'Irstea Grenoble et écologue des systèmes "prairiaux".

Le scientifique considère le type d'animal (ovins, bovins lait ou viande, caprins), le calendrier de fauche, le type de semis, la temporalité de la prairie. Il tient aussi compte de l'histoire de la parcelle, de son altitude, de la profondeur du sol. Certains alpages sont ainsi suivis depuis une trentaine d'années, avec des « exclos » qui permettent de comparer des zones non pâturées au milieu d'un alpage. « On obtient parfois des réponses fortes », poursuit Grégory Loucougaray, notamment lorsqu'il est décidé de maintenir du pâturage afin d'entretenir l'emprise végétale. La progression des buissons et des espèces arbustives est certes limitée, mais la densité végétale diminue et la valeur nutritive pastorale est moins intense.  « Mais cela dépend du chargement en nombre d'animaux et du type de milieu, insiste le chercheur, il n'y a pas de réponse univoque. Si la végétation est sensible, l'effet peut être négatif, si les sols sont fertiles, alors l'effet sera positif.»

Secteur des 4 montagnes

L'Istea met son outil de recherche à la disposition de structures comme les parcs naturels nationaux ou régionaux avec lesquelles il travaille en partenariat. Les projets de recherche son menés avec les éleveurs, leurs parcelles étant directement concernées.

C'est le cas du projet Mouve, financé par l'Agence nationale de la recherche (ANR) et impliquant de nombreux acteurs du monde de la recherche et associations naturalistes. L'étude, qui porte sur le secteur des 4 montagnes dans le Vercors, court depuis 2011 jusqu'en 2014 et s'intéresse à la mise en mouvement de l'intensification écologique dans les systèmes d'élevage.  « Ou encore, comment produire autant ou plus de fourrage en s'appuyant sur les fonctionnalités naturelles de l'écosystème », traduit le chercheur. Une cinquantaine de parcelles sont scrutées à la loupe. « L'objectif est d'approfondir nos connaissances scientifiques et d'avoir un rendu auprès des éleveurs en leur donnant une analyse du fonctionnement de leur exploitation ». Chaque résultat scientifique pour chaque parcelle sera réinterprété de façon à la caractériser sous forme de critères. Diversifiées ou non, productive ou pas, prairies temporaires, luzernes, pelouses d'alpages : toutes les parcelles auront leur plaquette d'identification. L'heure n'est pas encore à la restitution, mais les chercheurs dégagent déjà des marges possibles en vue de l'intensification écologique des prairies du Vercors, au service de leur usage essentiel qui est la production de fourrage au service de l'élevage pour la production du bleu du Vercors Sassenage.

Prairie exceptionnelle

Une prairie qualifiée d'exceptionnelle.
(photo Grégory Loucougaray)

Et l'étude menée par l'Irstea dans le secteur des 4 montagnes présente un parallèle avantageux avec les critères requis dans le cadre du concours agricole général des prairies fleuries. Il faut dire que depuis trois ans, le parc naturel régional du Vercors organise la sélection des prairies du territoire qui concourront à Paris. « Le principe est de valoriser des usages et des prairies qui permettent de maintenir une bonne qualité environnementale, tout en ayant un rôle central dans l'exploitation », explique Grégory Loucougaray, qui, à l'invitation du PNR, préside le jury chargé d'envoyer les plus belles prairies à Paris. Et cette année, la prairie présentant le meilleur équilibre agroécologique est celle de Didier et Hugues Argoud-Puy, du Gaec Les Allières à Villard-de-Lans, qui participera dans la catégorie prairie fauchée et pâturée de montagne. « C'est une prairie exceptionnelle cette année », insiste le président du jury, qui monte au salon pour soutenir le dossier. « C'est la première année où les prairies sont considérées dans le cadre du concours agricole générale, ce qui représente une reconnaissance », poursuit-il. Le chercheur estime que ce type de dynamique peut présenter des avantages pour les parcelles des éleveurs qui s'y inscrivent. « Mieux résistantes, moins sensibles aux dégâts des campagnols, visuellement plus belles, avec une meilleure pollinisation, plus diversifiées, avec davantage d'espèces aromatiques, elles occupent une place importante dans l'exploitation et les éleveurs sont fiers de présenter leur parcelle ». Grégory Loucougaray insiste néanmoins sur l'intérêt de mixer les parcelles entre prairies temporaires et tardives. « L'enjeu est la recherche de l'autonomie fourragère, l'augmentation de la production et sa sécurisation », rappelle-t-il in fine. La restitution du projet Mouve, avec des éléments concrets, aura lieu le 15 avril dans le Vercors. D'ici là, les prairies du massif seront peut-être une fois de plus honorées d'un titre national.

Isabelle Doucet