GMS : « Le rapport de force s'est inversé »

Vous avez été recrutée il y a quelques mois par le Conseil départemental de l'Isère pour structurer et développer le Pôle agroalimentaire isérois. Où en êtes-vous ?
Je ne chôme pas. De ce point de vue, c'est un poste très intéressant. Mais je ne m'attendais pas à trouver une situation si peu structurée. Ce qui me frappe, c'est qu'il n'y a pas beaucoup de filières, celles qui existent sont peu organisées et il y a peu de liens entre les acteurs. Lundi matin par exemple, j'étais avec un technicien de la chambre d'agriculture chez les frères Drevon, spécialistes de la viande de veau. Nous nous sommes rendu compte qu'ils n'avaient pas de contacts avec le syndicat des bouchers de l'Isère. Je suis stupéfaite : ça paraît pourtant tellement évident ! Depuis que je suis à ce poste, je passe mon temps à mettre les gens en relation. C'est très différent dans les Savoie par exemple, où tout le monde se connaît et où les filières sont très structurées.
Comment expliquez-vous ce décalage ?
Il y a sans doute plusieurs raisons. Géographique, déjà : le département est grand, il n'y a pas forcément d'interconnexion entre les gens. Les acteurs du nord Isère se connaissent entre eux, mais ne connaissent pas forcément ceux du sud. Et inversement. Chacun est un peu dans son coin. Je pense aussi que le travail qui a été réalisé au niveau de la vente directe (vente à la ferme ou magasin de producteurs) a conduit à développer les relations commerciales sur des micro-territoires, ce qui a généré une forme d'individualisme entrepreneurial.
C'est un sérieux handicap...
Je ne dirais pas cela, mais il est certain qu'il faut travailler à forger du collectif. Car même dans les filières qui existent, comme le saint-marcellin par exemple, le collectif autour du produit est à construire. En Isère, il y a plein de gens qui veulent faire avancer les choses, mais ils se sentent souvent seuls. La difficulté, c'est d'entraîner les autres, de créer une dynamique de groupe. Ce rôle d'accompagnement revient au Pôle agroalimentaire et aux chambres consulaires. Il y a tout un travail de mise en relation à faire entre les producteurs, les transformateurs et les distributeurs.
Pas simple de motiver les gens. Avez-vous une recette miracle ?
Nous travaillons de concert avec les chambres consulaires, mais nous misons aussi beaucoup sur la marque Isère. Cette marque intéresse tout le monde. Ce qui est curieux, en Isère, c'est que personne ne s'approprie les produits emblématiques du département. La marque doit permettre de fédérer et de mettre les gens en relation. Au départ, le projet politique porté par cette marque était de maintenir l'agriculture et de garantir la rémunération des agriculteurs. Aujourd'hui, c'est aussi un outil qui permet de fédérer et de créer du collectif pour promouvoir et consommer local.
Concrètement, quelle réalité y a-t-il derrière le Pôle agroalimentaire aujourd'hui ?
Ce sur quoi je travaille beaucoup, c'est l'approvisionnement en produits locaux des grandes et moyennes surfaces. Mon souci, c'est d'identifier les producteurs qui sont prêts à vendre aux GMS en direct. Il faut savoir que la plupart des enseignes sont aujourd'hui coincées entre les hard-discounteurs de type Lidl et les magasins comme Grand Frais qui proposent une autre qualité de produit. En outre, depuis qu'elles ont mis en place les drive, qui permettent aux clients de commander en ligne de chez eux, le panier moyen a beaucoup diminué : les gens n'achètent pas plus que ce dont ils ont besoin. La GMS est en difficulté avec ça. Voià pourquoi elle cherche à faire revenir la clientèle dans ses rayons. Et pour faire mieux que Grand Frais, elle joue la carte du local. Mon travail, c'est de trouver des producteurs qui veulent bien fournir les magasins les plus proches de chez eux et s'adresser directement au chef de rayon, sans passer par la centrale d'achat.
Mais n'y a-t-il pas un risque, pour le producteur, de se faire manger tout cru ou de se voir répondre qu'il ne fournit pas assez de volume ?
C'était peut-être vrai il y a quelques années, ça ne l'est plus. Le rapport de force s'est inversé. Pourquoi ? Parce que la demande est beaucoup plus forte que l'offre. Tous les magasins veulent du local. Certes, ils vont chercher à négocier, mais c'est au producteur de fixer son prix et s'y tenir. Je suis mandatée pour faire le tour des enseignes, recenser leurs besoins et trouver les producteurs. Mais avant de mettre les deux parties en relation, je valide un certain nombre de points sur lesquels je m'assure que le producteur ne sera pas pénalisé (retour des invendus, pénalités de retard etc.). L'objectif, c'est de bien cadrer les choses de façon à ce que le producteur puisse s'engager sur un contrat annuel avec le magasin.
Que doit faire un producteur intéressé par la démarche?
C'est simple. Il suffit qu'il contacte directement Geoffrey Lafosse à la chambre d'agriculture.