« Il n'y aura jamais la paix entre le loup et l'agneau »

Pour écrire sa thèse, Antoine Doré s'est tout de suite dégagé de représentations symboliques qui entourent le loup pour s'appuyer sur une approche scientifique. Ces représentations auraient en effet tendance à s'imposer dans le débat au détriment des considérations pratiques. Il a donc fait en sorte, tout au long de ses recherches, qu'émergent des discussions entre les parties concernées, s'intéressant aux implications pratiques de l'intrusion des loups. « Pourquoi un éleveur conduit ses troupeaux en montagne et pourquoi le loup ne le permet pas ? », résume Antoine Doré. Son intuition est que la dimension affective repose certes sur des pratiques concrètes, mais génère aussi une cristallisation autour du débat.
Coexistence compromettante
Pour autant, il observe aujourd'hui que les tensions tendraient à s'apaiser, où plutôt à être contenues. Cela, parce que les discussions ont conduit à la mise en ?uvre des mesures de prélèvements. « Les mesures dérogatoires obligent en partie les acteurs à expliquer à quoi ils tiennent. Ils arrivent ainsi à définir ensemble un compromis du supportable ». Mais le chercheur insiste : « il n'y aura jamais la paix entre le loup et l'agneau. Pendant longtemps, on a pensé qu'une coexistence était possible si l'on mettait de la bonne volonté, notamment si les éleveurs installaient des mesures de protection. Aujourd'hui, il est acquis que, même si des mesures de protection efficaces existent, le loup trouve toujours des failles. C'est un animal qui s'adapte très vite. Tant que le loup sera présent, les éleveurs seront embêtés et tant qu'il y aura des éleveurs dans les alpages, les loups ne seront pas tranquilles. Reste donc la question de l'acceptation d'une coexistence compromettante pour chacune des parties. Et cela oblige chacun, le loup, comme l'éleveur à changer son identité ».
Dégâts supportables
Penser le conflit en termes d'accompagnement, c'est donc définir des seuils de prélèvement annuels, fixés en fonction de la connaissance de la dynamique de la population loup - appelé l'état favorable de conservation -, et l'étendue des dégâts supportables par les éleveurs. « Ces deux seuils se discutent au sein des groupes nationaux loup, rappelle Antoine Doré, leur construction s'opère dans la transparence, avec l'arbitrage des scientifiques. » In fine, la création du droit de tir repositionne le conflit « avant tout entre humains et loups, et non pas entre humains à propos du loup. La définition des conditions de tir permet de rétablir la juste distance entre les éleveurs et le loup ». Des éleveurs qui retrouvent leur capacité à agir, ne sont plus démunis face à un loup tout puissant. Pour autant l'équilibre reste fragile. L'homme et le loup s'adaptent à ces nouvelles donnes, et l'action doit être sans cesse réajustée. « Il n'y a pas d'autre façon de faire. Il n'y a pas d'autres solutions et celle-ci est propre au contexte français ».
Antoine Doré tord le cou à une croyance selon laquelle l'Italie gèrerait mieux la situation : « Le loup reste protégé, mais le braconnage est important et connu. On assiste plus à une situation de laisser-faire ». Il rappelle que d'autres réponses avaient été expérimentées en France avant le plan loup, comme les mesures de zonages, qui n'ont pas fonctionné. « Cela revenait à dire qu'il y a des zones où les éleveurs méritent d'être protégés et d'autres pas ».
Un loup politique
Le compromis du supportable, la gestion adaptative, l'aménagement du désaccord, l'introduction des notions de dégâts suffisamment importants et de l'état positif de conservation ont donc favorisé les conditions de négociation entre acteurs, en décristallisant le débat et en le déplaçant sur la scène politique. « La situation a très nettement évolué au regard de ce qu'elle était à la fin des années 90 », constate encore le chercheur.
Isabelle Doucet