« Je crois profondément en la force du collectif »
Le président de La Coopération agricole revient sur les enjeux de la coopération pour les trente prochaines années.

Depuis quatre-vingt ans, le nombre de coopératives agricoles a chuté, passant de 10 000 au sortir de la guerre à environ 2 100 aujourd’hui. Ce phénomène n’est-il dû qu’à la seule chute démographique du monde paysan ?
Dominique Chargé : « La réduction du nombre que vous évoquez résulte de l’adaptation de notre modèle à celui du nombre d’agriculteurs. Ce nombre a lui-même été largement tributaire des politiques publiques françaises et européennes qui ont commandé aux agriculteurs de produire pour nourrir. C’est un défi que les coopératives ont relevé à leur côté, pour sécuriser leurs approvisionnements, les conseiller, récolter et transformer leurs productions. Le deuxième grand marqueur de l’évolution des coopératives est d’avoir su capter, conserver et répartir la valeur ajoutée tout le long de la chaîne, ce qui a nécessité de nous organiser collectivement. Le troisième marqueur représente le défi des transitions à mener, en particulier celui de la décarbonation. Cela nécessite des moyens très importants : entre 500 à 600 millions d’euros par an jusqu’en 2030. En même temps nous devons rester compétitifs dans un environnement économique de plus en plus concurrentiel, alors même que beaucoup de nos compétiteurs ne s’inscrivent pas dans cette démarche ».
Ce phénomène de fusions de coopératives est-il inéluctable ?
D.C. : « Grandir pour grandir n’a jamais été et ne sera jamais un objectif en soi. En réalité, tout dépend des filières dans lesquelles les coopératives évoluent. Prenez le secteur du sucre. Les deux acteurs majeurs coopératifs sont Tereos et Cristal Union qui représentent 90 % de la production. L’union puis la fusion des coopératives a été nécessaire dans ce domaine pour se maintenir sur un marché devenu mondialisé et par essence volatil. À l’autre bout du spectre, vous avez le modèle des fruitières de Comté, très atomisé et qui, à la faveur d’un cahier des charges rigoureux et d’une politique de prix réaliste, s’est pérennisé malgré les nombreux aléas politiques, économiques et sociaux. En fait, le choix du grossissement est lié à la nécessité de s’organiser pour répondre aux attentes des marchés et des associés coopérateurs ».
Quels sont les secteurs économiques dans lesquels les coopératives doivent le plus s’adapter ? Les céréales, la viticulture, … ?
D.C. : « Il est aujourd’hui indéniable que le secteur viticole est à la croisée des chemins et peut-être à la veille d’une rupture historique. Il fait face à trois défis majeurs : le changement de modes de consommation, la brutalité du commerce international avec une salve de taxes en tous genres et bien sûr le changement climatique. Arracher 10 % du vignoble français (jusqu’à 30 % dans certaines zones) aura une incidence sur les outils collectifs. Il faut donc s’attendre à des mouvements de réorganisation et même de restructuration. Les coopératives d’agrofourniture-céréales se trouvent elles aussi confrontées à deux obstacles. Tout d’abord le changement climatique avec la récurrence des accidents météorologiques. Il y a peu, un céréalier pouvait vivre avec une mauvaise année sur dix, mais maintenant, il ne sait plus vivre avec deux mauvaises années sur cinq. En second lieu, la France ne pèse plus comme il y a une trentaine d’années sur les cours mondiaux car elle est fortement concurrencée, notamment par la Russie et l’Asie orientale. La géopolitique des céréales oblige les coopératives à s’adapter ».
Comment voyez-vous les coopératives dans les dix prochaines années ?
D.C. : « Dans dix ans, les coopératives resteront ce qu’elles sont aujourd’hui : des outils au service des agriculteurs. Leur force, c’est leur capacité à s’adapter tout en restant fidèles à leur mission première : créer de la valeur pour les exploitants, les accompagner dans la durée, et contribuer à une agriculture performante et durable. Le moteur de notre action, c’est le nombre d’agriculteurs. Car sans producteurs, il n’y a ni souveraineté alimentaire, ni filière agroalimentaire solide, ni avenir pour nos territoires ruraux. Les coopératives ont un rôle essentiel à jouer dans la transmission des exploitations, la compétitivité des filières, l’innovation, et la juste répartition de la valeur. Dans les dix prochaines années, nous voulons consolider ce modèle : continuer à créer de la valeur, renforcer la proximité avec les adhérents, soutenir les transitions écologiques et énergétiques tout en garantissant un maillage territorial fort. Ce que nous défendons, c’est une chaîne alimentaire forte, où les agriculteurs gardent la main sur leur avenir. Et c’est précisément ce que permet la coopération ».
Propos recueillis par Christophe Soulard