L'ambroisie, ennemie de santé publique

Sur le bord d'un chemin, personne ne la remarque. Sauf l'œil expert... et le sujet allergique. L'ambroisie à feuille d'armoise est une petite plante discrète, cousine du tournesol et de la pâquerette. Elle prospère au bord des routes, sur les terrains dénudés, les remblais, les chantiers, les zones de friches et les secteurs peu ou mal entretenus. Les agriculteurs la connaissent bien, qui la voient se développer en bordure de parcelle, dans les cultures printanières, les jachères ou durant les périodes interculturales, provoquant d'importantes chutes de rendement, notamment dans les champs de tournesol infestés. Véritable casse-tête pour les pouvoirs publics, cette prolifération a des conséquences désastreuses tant sur le plan économique qu'en termes de santé publique. Son pollen ayant un fort pouvoir allergisant, l'ambroisie provoque chaque fin d'été des ravages chez les personnes sensibles (rhume des foins, rhinites allergiques, conjonctivites, dermatites...). Pour la seule région Rhône-Alpes, la plus touchée, les conséquences financières de cette invasion sont estimées à plus de 25 millions d'euros (15,5 millions pour les frais médicaux et 10 millions de pertes agricoles). D'où la mobilisation générale décrétée par les autorités et les collectivités territoriales.
Mobilisation de la population
Au-delà de la proposition de loi déposée par le député isérois Alain Moyne-Bressand pour lutter contre l'envahisseuse, le combat sur le terrain est permanent depuis une quinzaine d'années. Publié en mars 2000, un arrêté préfectoral isérois prescrit « la destruction obligatoire de l'ambroisie ». Agriculteurs, collectivités territoriales, responsables de travaux, « propriétaires, locataires, ayants-droits ou occupants à quel titre que ce soit », chacun est tenu de « juguler la prolifération de l'ambroisie et de réduire l'exposition de la population à son pollen ».
Si la plupart des acteurs de terrain ont bien intégré cette obligation, les habitants, eux, se montrent souvent bien négligeants. Pourtant, dans la région, près de trois millions de personnes sont exposées à ce « polluant biologique », selon Air Rhône-Alpes. Xavier Vitry, de l'Agence régionale de la santé (ARS), rappelle que l'on peut « devenir allergique avec le temps, à force de côtoyer le pollen ». Chaque année plus de 200 000 Rhônalpins sont ainsi affectés, ce qui représente un coût pour l'assurance maladie allant de 15 à 20 millions d'euros selon les années (consultations, prescription, arrêt maladie...), auquel il faut ajouter le coût de l'automédication, l'absentéisme, la restriction des activités, voire la perte de productivité. On comprend que les pouvoirs publics déploient la grosse artillerie.
Guerre sans merci
« Le seul moyen de lutter efficacement contre l'ambroisie, c'est d'agir à grande échelle », estime Camille Rieux, chef de projet à Air Rhône-Alpes. Voilà pourquoi l'observatoire, l'ARS, la région Rhône-Alpes, et le réseau national de surveillance aérobiologique ont lancé « signalement-ambroisie.fr », une plateforme participative qui permet à chaque citoyen de signaler un site infesté en trois clics. Lucides, les experts préviennent que « la propagation est telle que l'éradication est devenue impossible ». Ce qui n'empêche pas chaque citoyen de devoir prendre sa part au combat. De leur côté, les collectivités territoriales livrent chaque année à la plante une guerre sans merci. En Isère, les communautés d'agglomération du Pays viennois (ViennAgglo) et Porte de l'Isère (Capi), dont les territoires sont particulièrement touchés, ont engagé des démarches pilote qui commencent à porter leurs fruits.
ViennAgglo mène des actions de lutte depuis 2002. Au départ, des campagnes d'arrachage ont été menées avec l'appui d'une association d'insertion, mais la progression s'est avérée lente et l'efficacité discutable. En 2007, le fauchage se substitue à l'arrachage : les résultats sont décevants. La communauté d'agglomération change alors son fusil d'épaule et opte pour des actions ciblées, combinant l'arrachage, le fauchage (raisonné et spécifique) et la végétalisation selon le niveau d'infestation. Développé avec l'appui du bureau d'études Evinerude, un plan de gestion est mis en place dans les communes les plus infestées. Démarré en 2012 à Estrablin, ce plan est évalué par un suivi cartographique qui permet de mesurer l'impact de la lutte sur les bords de routes communales. Et les résultats sont là : la lutte est acharnée, mais l'ambroisie recule. En 2010, ViennAgglo complète son dispositif par un réseau de référents élus. Parallèlement, elle mène des actions de sensibilisation en direction du public (plaquette d'information, réunions publiques, fiches de bonnes pratiques...) et des professionnels (clauses particulières dans les marchés publics de travaux, partenariat avec la chambre d'agriculture.).
Stratégie anti-ambroisie
En 2012, la communauté d'agglomération Porte de l'Isère s'inspire de cette démarche pilote pour construire sa propre stratégie anti-ambroisie. Profitant du retour d'expérience de sa consœur, la Capi s'engage dans une campagne multimodale, associant information du public, mise en place d'un réseau de référents constitué d'élus communaux, de techniciens et d'agriculteurs. S'appuyant sur un diagnostic extrêmement précis réalisé par Evinerude (création d'un atlas cartographique quadrillant tout le territoire et d'une base de donnée qui sert d'aide à la décision), elle développe un plan de gestion qui vise en premier lieu les surfaces dont la Capi a la maîtrise foncière : les 1 760 km d'accotement du territoire. Un travail de titan, qui nécessite de recourir à différentes techniques, des plus classiques (arrachage), aux plus innovantes (traitement thermique sur plants jeunes pour casser la chaîne de photosynthèse, fauchage avec aspiration). Expérimentées sur site, les techniques montrent rapidement leur limite ou leur intérêt. Après une campagne d'essai, c'est finalement la fauche avec aspiration (avec un prototype développé par la société Frédéric Robert) qui se montre la plus efficace. Récolté au moment de la grenaison, le matériel est stocké dans une benne puis envoyé en plateforme de compostage industrielle, où la température (50 °C) permet de détruire les graines d'ambroisie). Comme tous ses collègues en charge de la lutte contre l'ambroisie, Patricia Veyrenc, chargée de mission environnement à la Capi, rappelle qu'une gestion efficace passe par la combinaison de plusieurs techniques, selon le degré d'infestation et la période de l'année (arrachage, fauchage, fauchage avec aspiration, végétalisation...). Et la mobilisation de chacun, décideurs, techniciens comme simples citoyens.
Marianne Boilève
Une plateforme interactive de signalement
Afin de renforcer l'efficacité de la lutte contre l'ambroisie, l'Agence régionale de santé, la région Rhône-Alpes, Air Rhône-Alpes et le réseau national de surveillance aérobiologique ont mis en place une plateforme participative qui permet à chaque habitant de signaler un site colonisé par la plante. Son principe de fonctionnement est très simple. Une fois la plante repérée, il suffit de se connecter à la plateforme « Signalement ambroisie » (via le site internet, l'application mobile, par email ou par téléphone*), d'indiquer la localisation, la densité et le milieu où se trouve la plante. Une photo peut également être prise et envoyée, afin de confirmer le diagnostic. L'utilisation d'un Smartphone facilite les démarches, puisque le GPS de l'appareil permet de géolocaliser les plants. Ces données sont ensuite transmises à la commune ou au référent ambroisie du secteur concerné, à charge pour lui de coordonner les actions d'élimination de la plante sur le terrain.* [email protected] ou 0 972 376 888Pour visionner la vidéo "Signalement ambroisie"