L'audace pour abattre le bois des montagnes

En forêt, tout est question de temps. La construction de dessertes forestières n’échappe pas à cette règle. Une décennie est souvent nécessaire pour arriver à désenclaver une portion de forêt inaccessible. C’est ce qu’a pu constater le petit groupe de responsables de groupements forestiers venu visiter sous l’égide de l’association syndicale autorisée (Asa) du Vercors-Quatre montagnes plusieurs routes forestières qui ceinturent désormais une partie du massif isérois du même nom.
Tunnel réutilisé
Quatre routes ont été récemment terminées ou le seront très prochainement. Celle du Ruisant au-dessus de Cognin-les-Gorges (1), celle du Malton dominant La Rivière, celle du Furon près d’Engins, et celle de Noyarey/le Mortier à proximité d’Autrans.
Cette dernière est en cours de finition pour désenclaver le massif du Caron. Plus de 10 kilomètres entre Noyarey et le tunnel du Mortier, construit en 1968 mais inaccessible depuis 1993 en raison de l’éboulement de la route venant de Montaud, vont permettre d’exploiter enfin ce vaste massif accroché à la pente abrupte. « Les dernières exploitations datent de l’après-guerre lorsque l’on faisait encore un peu de charbon de bois, explique Philippe Pione, technicien du CRPF (2) grand spécialiste local de toutes ces routes d’exploitation dont il a suivi la genèse (3). « La route démarre de Noyarey et les premiers chantiers ont débuté en 2004. Nous en sommes à la cinquième tranche qui va enfin permettre le raccordement avec la route de Montaud à la partie terminale juste avant le tunnel du Mortier. Mais ce projet ne sera pas complètement bouclé pour autant. »
Le tunnel est en bon état. Il avait été remis à neuf deux ans à peine avant l’effondrement de la route (ou plutôt d’une partie sommitale de la falaise qui le domine et qui avait entraîné la route dans sa chute ). Le projet de l’Asa du Vercors est de le réutiliser. « La partie terminale de la route côté vallée de l’Isère appartient désormais à l’Asa, précise Philippe Pionne. Le tunnel est toujours propriété du conseil départemental mais les choses pourraient évoluer. Aujourd’hui, les grumiers qui extraient les bois se trouvant sur l’emprise de la route forestière en construction peuvent déjà sortir par ce passage. L’idée est de pouvoir dans quelques temps passer aussi par la route de Montaud, mais cela demande de trouver des financements. » Quelles que soient les sorties, l’usage restera réservé à l’exploitation forestière uniquement, mais vélos et randonneurs pourraient y passer, ce qui répondrait à une demande assez forte localement. Un problème de responsabilité juridique se pose, ce qui a fait l’objet d’une rencontre sur place jeudi 10 septembre avec des représentants de la Métro (l’agglomération grenobloise) intéressée par le projet.
Une ouverture bien pensée
La route du Malton a mis vingt ans pour aboutir. Jean-Marie Goudet avait été à l’origine d’une première tranche de 500 mètres, il y a deux décennies, alors qu’il était conseiller municipal de La Rivière. A la retraite, il a repris le flambeau, persuadé que l’intérêt collectif d’une route forestière était indéniable. Partant du même endroit que la première, elle parcours la forêt en faisant une boucle afin de se brancher sur le premier tronçon. 350 hectares sont ainsi désenclavés. Une centaine va être mis en exploitation prochainement grâce à l’intervention d’un cabliste. Si ce mode d’exploitation crée encore l’événement car insuffisamment utilisé en Isère - les subventions du conseil départemental sont impératives pour les rendre opérationnelles selon René Sabatier du CRPF (4) – ce n’est pas là que réside l’originalité de cette route. « C’est dans le financement privé qu’elle a toute son originalité», explique l’ingénieur forestier. Les routes forestières pour l’exploitation bénéficient de 80% de subventions publiques, mais 20% du coût des travaux pèsent sur les épaules des propriétaires desservis. En l’espèce ils n’ont pas déboursé un seul centime. L’autofinancement provient de la revente des bois situés sur l’emprise de la route. « Nous ne sommes qu’à 400 mètres d’altitude donc avec quasi exclusivement des feuillus de peu de valeur, explique René Sabatier. Ici, la quasi totalité des bois est partie en bois énergie, bûches ou plaquettes pour les chaudières. Le broyage se faisait au fur et à mesure de l’abattage, directement dans une semi-remorque livrée directement chez des clients. Il n’y avait pas de rupture de charges entre la parcelle et le client ». Au total 200 tonnes de bûches de fayard ont été sorties et 1 000 tonnes de plaquettes. L’ensemble a financé la partie pesant sur les propriétaires. « Mais c’est une organisation du chantier pensée très en amont pour que cela soit le plus rentable possible, souligne René Sabatier. Pour cela la présence de l’Asa du Vercors qui a pris le projet en main, sans laisser l’exploitation à l’initiative individuelle de chaque propriétaire forestier a été fondamentale pour la cohérence du projet. C’est une solution novatrice qui, il y a seulement trois ans, était inenvisageable. »
(1) La route du Ruisant, une route spectaculaire
(2) Centre régional de la propriété forestière
(3) L’animation des projets est partagée entre le CRPF et la chambre d’agriculture de l’Isère
(4) Il est ingénieur CRPF pour l’Ain et l’Isère
Jean-Marc Emprin
Diaporama :
Les routes de l'audace autour du Vercors
- La route du Furon, près d'Engins, passage à gué.
- Route du Malton.
- Route du Caron (Mortier).
- Ancienne route du Mortier près de l'effondrement.
- L'éboulement de la route Montaud/Mortier/Autrans. (3 photos)
- La route du caron, provenant de Noyarey, à proximitéde son branchement avec l'ancienne route de Montaud.
- Les bois d'emprise financent la partie de travaux à la charge des propriétaires forestières.