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Economie

« L'idéal serait que les prix repartent »

A Panissage, l'équilibre fragile d'une ferme correctement gérée est symptomatique des difficultés que traverse aujourd'hui le secteur de l'élevage. Le préfet de région était invité à partager cette réalité.
« L'idéal serait que les prix repartent »

« Depuis que je suis installé, la situation se dégrade. La question est : y a-t-il un avenir dans le lait ? En trois ans j'ai été dégoûté de ce qui était ma passion. Même en essayant de bien faire. Il n'y a rien d'aberrant dans nos résultats », avance Valentin Poulet, 24 ans, en Gaec avec son père, Jérôme, depuis trois ans. En polyculture élevage, l'exploitation présente un troupeau laitier de 65 vaches : des prim'hosltein et des montbéliardes dont les couleurs des robes brouillent subtilement les pistes. D'autant qu'il y a un taureau prim'hosltein ... rouge.

 

Un taureau prim'holstein qui brouille les pistes.

 

La production annuelle s'élève à 570 000 litres de lait livrés à Danone. La SAU est de 100 hectares (25 ha de maïs, 35 ha de blé et orge, 10 ha de luzerne et le reste en prairie). Outre l'intérêt d'un parcellaire regroupé, l'exploitation bénéficie de pâturages autour de ses bâtiments, de sorte que les bêtes sortent 6 à 7 mois par an. Située en zone de montagne et en zone vulnérable, dans le périmètre du captage de Doissin, la ferme a adapté sa conduite au respect de la qualité de l'eau. Représentative de l'activité agricole iséroise, elle avait été choisie pour recevoir le préfet de région, Michel Delpuech, soucieux d'aller à la rencontre des professionnels. Las, les intempéries de la semaine passée en ont décidé autrement. Le préfet n'est pas venu, mais en revanche, les représentants syndicaux régionaux étaient de la partie, de même que Thierry Demaret, le sous-préfet de La Tour-du-Pin et Didier Josso, directeur adjoint de la DDT Isère.

« Très mal payé en début d'année »

La situation des exploitants du Lutheau n'a rien d'extraordinaire. Le bâtiment d'élevage date de 1976. Il a été mis aux normes en 2007, pour un montant de 230 000 euros, et rallongé avec une partie pour les génisses en 2012, pour la somme de 120 000 euros. La ferme rembourse 50 000 euros par an pour ses deux investissements. Avec un chiffre d'affaires de 240 000 euros et un EBE de 110 000 euros, elle y arrivait jusqu'à maintenant. « Les années précédentes, nous passions juste, cette année, non » , constate Valentin Poulet. Pas de visibilité. En septembre, Danone a payé 330 euros les 1 000 litres de lait. « Mais nous avons eu des mois à 270 euros. Ca a été très mal payé en début d'année ». Les agriculteurs se sentent prisonniers d'enjeux qu'ils ne maîtrisent pas. « Nous sommes obligés de continuer car nous avons des investissements. Mais à l'avenir pose la question de changer de production. A la fin du mois, il ne me reste que 600 euros pour vivre. Je ne peux pas partir de chez mes parents, explique le jeune homme. L'idéal serait que les prix repartent pour que l'on puisse faire tourner la ferme. D'autant que j'ai aussi un petit frère au lycée de La Côte-Saint-André. Mais on ne peut pas lui dire de s'installer. »

Bon sens

L'inquiétude des agriculteurs tient aussi au paysage normatif. 30% de la ferme est située en zone vulnérable, bâtiment inclus. « Nous n'avons pas de contrainte, mais nous faisons attention. » Il y a un maximum de prairie dans le périmètre concerné et dans le bâtiment, les vaches sont sur aire paillée intégrale. C'est un système gourmand en paille, mais le compost est épandu sur les prairies, ce qui limite les intrants. « Nous n'avons jamais eu de problème. Nous nous réunissons souvent en mairie. Cela reste du volontariat. Notre crainte, c'est qu'il tombe un arrêté », confie Valentin. Il est clair : l'exploitation ne pourra pas à nouveau investir dans une fosse à lisier. « Le béton, c'est de l'investissement non productif ». Jean-Claude Darlet le président de la chambre d'agriculture de l'Isère, prend volontiers l'exemple de Doissin pour démontrer, qu'avec le dialogue et de bonnes pratiques agricoles, le taux de nitrates du périmètre est passé d'environ 50mg/l à 30 mg/l en quelques années. Pas la peine de rajouter une couche au Vème programme de la Directive nitrates et de remettre en cause l'équilibre économique des territoires, estime le président, quand les solutions passent par le bon sens, c'est-à-dire des cultures adaptées, des prairies ou du compost.

 

Pascal Denolly, président de la FDSEA Isère, Thierry Demaret, sous-préfet de La Tour-du-Pin, Didier Josso, directeur adjoint de la DDT Isère, Jean-Pierre Royannez président de la FRSEA, et Jean-Luc Flaugère, président de la chambre régionale d'agriculture.

Les fournisseurs font le tampon

Pour faire face à leurs problèmes de trésorerie, les agriculteurs essaient de limiter les dépenses. « Nous faisons un peu plus d'herbe pour donner moins d'aliments. Mais les effets de ces changements sont longs alors que les remboursements sont là », reprend Valentin Poulet. Les deux hommes pensent pourtant avoir limité les risques, en modernisant à partir de l'existant, en évitant certaines dépenses. Ainsi, la salle de traite, en 2X5, est la même depuis 1976. Cela prend 4h30 par jour, mais au moins, l'outil est amorti depuis longtemps. La ferme est correctement équipée, mais elle achète son matériel d'occasion et fait partie d'une Cuma : là aussi, pas de folie. La production de céréales permet de ne pas sombrer définitivement. L'exploitation livre et se fournit aux établissements Bernard. « Nous avons la chance d'avoir un fournisseur qui fait le tampon », reconnaît le jeune homme.

Isabelle Doucet

La ferme est en aire paillée intégrale.

 

Un moratoire sur les normes

« Nous sommes au cœur du bassin laitier du département. Les 40 communes des vals du Dauphiné rassemblent la moitié des producteurs laitiers du département, mais cumulent le double handicap de zone vulnérable et de zone de montagne, rappelait Pascal Denolly, le président de la FDSEA Isère. Toutes les négociations sur l'ICHN sont au cœur du sujet. » Pour Aurélien Clavel, des JA de l'Isère il importe de rester vigilant quant au devenir des zones montagne au moment où la loi montagne est en pleine révision. Autre point de vigilance : la conservation de l'avantage montagne pour les nouveaux installés. Les responsables syndicaux attendent beaucoup du moratoire sur les normes promis par le gouvernement. La question de l'eau est aussi un thème très sensible. Jean-Luc Flaugère, le président de la chambre d'agriculture Rhône-Alpes, réclame que soit « desserrée l'emprise sur la réalisation des retenues ou des lacs collinaires. ». « En Rhône-Alpes, on ne conserve que 3% de l'eau qui tombe du ciel », renchérit Benoît Claret président de JA Rhône-Alpes. Seule 1,5% de la pluviométrie est utilisée pour l'irrigation agricole.
ID