La constitution des prix, au cœur du réacteur

« Si vous êtes là, affirmait Pascal Denolly aux huit parlementaires* présents lors de l'assemblée générale de la FDSEA, c'est que vous mesurez au moins un peu la gravité de la situation agricole et que vous nous accordez une crédibilité ». Car le syndicalisme avait des choses à dire et à entendre de la part des élus de la nation.
Jérôme Crozat, vice-président de la FDSEA Isère a très simplement exposé les faits : « En 2016, pour produire un litre de lait acheté 30 centimes par le transformateur, il en a coûté 37 centimes à l'éleveur... » Il ajoute : « Derrière ce problème se cache une partie du drame que vit l'agriculture française ». La suite de la démonstration est édifiante, car le syndicaliste rappelle qu'en 2014, alors que le lait était acheté 38 centimes au producteur, « les trois maillons de la chaîne, éleveur, transformateur et distributeur ont gagné correctement leur vie ». Enfin, surtout les deux derniers, qui ont fait des bénéfices exorbitants.
« Quelles sont les conditions que vous pensez faire bouger pour que nous puissions avoir la possibilité de constituer un prix ? », interrogeait Pascal Denolly. La question porte bien entendu sur les règles régissant les négociations commerciales et les contours du droit à la concurrence qui ont déséquilibré les relations entre les parties, notamment depuis que l'on mesure les effets de la loi LME.
A qui profitent les marges ?
Le député Erwann Binet a pris la parole au nom des parlementaires socialistes de l'Isère. « Depuis 40 ans, dans le monde économique, c'est vous qui avez fait les plus gros efforts de productivité et tout le monde en profite sauf vous », a-t-il reconnu. Sur le plan législatif, le député répond par la loi Sapin II** qui, en matière de transparence économique, introduit l'interdiction de la cession des contrats laitiers à titre onéreux. Elle renforce également les sanctions envers les entreprises qui refusent de publier leurs résultats économiques, à hauteur de 5% de leur chiffre d'affaires. Enfin, elle établit l'obligation de faire référence aux prix payé dans les contrats. « Nous saurons ainsi à qui profitent les marges », explique le parlementaire.
Pour Les Républicains, le sénateur Michel Savin a rappelé qu'une proposition de loi avait été votée par le Sénat et rejetée par l'Assemblée nationale. Elle porte sur le principe de contractualisation, la fixation d'un indicateur de prix, la présence d'un médiateur et la tenue d'une conférence agricole annuelle qui réunit l'ensemble des acteurs. Autant d'éléments, selon Pascal Denolly, qui sont déjà des conquêtes syndicales, mais « qui ne vont pas assez loin. Il faut entrer dans le cœur du réacteur, c'est-à-dire la constitution des prix ».
Haro sur la loi LME
Le président de la FDSEA demande simplement aux parlementaires « de prendre l'engagement de retirer le texte de la loi LME. C'est fondamental pour engager des négociations commerciales. » En 2008, la loi LME devait générer de la croissance. Jérôme Crozat en dresse un sinistre bilan : « La croissance n'est pas au rendez-vous, le chômage augmente et les prix à la consommation n'ont pas bougé ». Alain Moyne-Bressand, député Les Républicains se dit prêt à revoir une loi qu'il avait votée et réclame un « programme pour la ruralité ». Pour Erwann Binet, il convient de « trouver des solutions entre le libéralisme absolu de la loi LME (...) et une économie de prix administrée ». Une loi médiane devrait permettre de changer le rapport de force.
A l'écoute des grands élus, Michel Joux, président de la FRSEA Auvergne-Rhône-Alpes, leur demande de « constituer un front républicain » et de s'engager moralement pour parvenir à une relation commerciale équilibrée. Cela passe nécessairement par un changement du cadrage législatif, d'autant que tout accord entre les parties risque toujours de tomber sous le coup de l'autorité de la concurrence française et européenne.
Michèle Bonneton, député Les Verts siégeant à la commission des affaires économiques a assuré qu'elle « examinerait de près la loi Sapin II. Il est indispensable que les agriculteurs participent à la fixation des prix de vente », a-t-elle déclaré. Elle a aussi proposé d'introduire le principe du coût payé au producteur ainsi que celui d'un coefficient multiplicateur. Quant aux exigences de l'Union européenne, elle reste persuadée que « les agriculteurs ont un vrai pouvoir pour faire bouger les lignes ».
« Je vous sens louvoyer », a adressé Pascal Denolly à l'ensemble des parlementaires. Le président de la FDSEA attend encore beaucoup des élus, notamment la signature de la lettre d'engagement en faveur de l'agriculture. Il interpelle plus particulièrement « ceux qui siègent à la commission des affaires économiques », conscient que beaucoup se joue désormais dans le contenu de la loi Sapin II.
Isabelle Doucet
*Députés présents (6/10) : Marie-Noëlle Battistel, Erwann Binet, Pierre Ribeaud, Joëlle Huillier (PS), Alain Moyne-Bressand (LR) Michèle Bonneton (EELV). Jean-Pierre Barbier a fait un passage à Cras en amont du congrès. Sénateurs présents (2/5) : Eliane Giraud (PS), Michel Savin (LR).
** La loi Sapin II devrait être examinée en première lecture avant l'été.