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Agritourisme

La créativité, une oeuvre collective

Le programme Sytalp (Synergie entre agriculture, artisanat et tourisme dans les Alpes) analyse depuis quatre ans la diversification de l'offre agritouristique en moyenne montagne. Une expertise précieuse pour renforcer l'économie et l'identité des territoires.
La créativité, une oeuvre collective

Dans les Alpes, l'agriculture et le tourisme se côtoient depuis plus d'un siècle. Si la cohabitation ne va pas toujours de soi, nombre d'exploitants y trouvent leur intérêt, du fait de la pluriactivité et de la vente directe de produits fermiers. Mais l'impact économique reste limité. Le potentiel, en termes de développement, est pourtant énorme. La situation est d'autant plus paradoxale que les attentes d'une partie de la clientèle évoluent vers un « tourisme de découverte ». Les études sont unanimes : les vacanciers en recherche d'authenticité ne veulent plus consommer idiot. Ils souhaitent échanger, comprendre, expérimenter, participer... D'où l'intérêt du programme Sytalp (Synergie entre agriculture, artisanat et tourisme dans les Alpes), qui accompagne depuis quatre ans les territoires engagés dans de nouvelles stratégies touristiques conçues avec les acteurs du territoire, qu'ils soient agriculteurs ou artisans. Les animateurs de ce ont examiné à la loupe chacun des projets et en ont tiré une foule d'enseignements, qu'ils ont présentés début octobre lors d'un séminaire au Percy, dans le Trièves.

Innovation

Une centaine d'élus locaux et de professionnels (représentants de collectivités territoriales, d'offices de tourisme, de syndicats mixtes, de chambres d'agriculture, de parcs naturels...) ont suivi avec intérêt ces restitutions qui croisaient analyses et témoignages d'acteurs. Route des savoir-faire de l'Oisans, promotion des produits « made in Alpes du Léman », montée à l'alpage et opération « Saveurs des Aravis », création d'une charte « Pays gourmand » avec les restaurateurs du « pays A3V » (vallées d'Asses, du Verdon, de Vaïre et du Var), les projets agritouristiques présentés par Sytalp ont un point commun : ce sont des produits touristiques innovants, qui renforcent l'économie agricole et artisanale tout en développant l'attractivité des territoires. Denis Maire, vice-président du Suaci (1) et agriculteur lui-même, a mis l'accent sur la bouffée d'oxygène que représente le tourisme pour l'agriculture de montagne : « Nous, agriculteurs, nous voyons passer les gens, mais nous avons les pieds collés au sol. Si nous voulons survivre, nous devons trouver de nouvelles solutions, en termes de qualité et de diversification, notamment dans le tourisme. » Encore faut-il « créer une offre diversifiée, structurée, et qu'il y ait une identité forte », a tempéré Michel Dietlin, développeur touristique en Savoie.

Chimère ou vraie bonne idée ?

Ces principes posés, les animateurs de Sytalp ont détaillé les aspects opérationnels qui conditionnent la réussite d'un projet agritouristique. « On a l'impression que le rapprochement entre l'agriculture et le tourisme va de soi, mais la mise en tourisme d'une idée nécessite un travail de longue haleine », a prévenu Loïc Perron, du Suaci. Et surtout beaucoup de méthode. Première étape fondamentale : déceler si l'idée de départ relève de la chimère ou de la vraie bonne idée. Sytalp préconise de « passer d'une idée de quelques-uns à une reformulation élargie, contextualisée, partagée, mise en perspective ». Il s'agit de faire se rencontrer les hommes, les envies, les concepts, et de confronter le tout à la réalité du terrain. « Parti d'un idée saugrenue » (promouvoir des produits peu connus et redorer l'image désastreuse des restaurateurs privés), le pays A3V a par exemple proposé aux restaurateurs de valoriser les produits locaux. C'est ainsi que le label « Pays gourmand » est né...

Ambition collective

Une fois le concept validé, il faut le transformer en projet. Une étape qui suppose de « réunir une ambition collective » (2) susceptible d'intéresser les acteurs économiques grâce à « des objectifs de retombées explicites pour chacun des partenaires ». A charge pour eux de formaliser une démarche, de définir un périmètre pertinent ainsi qu'une feuille de route. En Oisans, le projet de Route des savoir-faire, inspiré de ce qui se fait en Chartreuse, a ainsi trouvé sa voie grâce aux exigences particulières des producteurs. Au fil des rencontres, ceux-ci se sont retrouvés sur des valeurs d'échange, de coopération et témoigné de leur « volonté de transmettre et de passer le relais en renvoyant les visiteurs chez les voisins ». Ils ont notamment élaboré une charte qui stipule que, pour participer au projet, il faut être créateur, vivre et produire en Oisans. Cette construction transversale se retrouve dans tous les projets. D'où l'importance des groupes de travail où l'on apprend à se connaître et où l'on prend le temps de créer des valeurs communes qui permettront à chacun de se mobiliser et d'enrichir le projet collectif.

Chargés de mission, développeurs touristiques, agriculteurs, artisans, restaurateurs..., tous les professionnels présents ont également insisté sur une étape délicate : la mise en œuvre du projet. « Il faut avoir un plan d'actions concret avec les acteurs », conseille Marie Clerc, du cabinet Atémia, qui sait fort bien que les agriculteurs et les artisans n'ont guère de temps à perdre en réunions qui s'éternisent. C'est le moment de « construire les synergies entre les acteurs et le projet », autrement dit d'animer la démarche tout « en laissant le temps à la concertation, aux controverses, au partage de connaissance et aux productions collectives » pour que les acteurs s'approprient le projet. Nicole Bocquet, de la chambre d'agriculture de Haute-Savoie, qui a accompagné une initiative conjointe des agriculteurs des Aravis et de l'Union des producteurs de reblochon fermier, est revenue sur des questions pratiques d'organisation : « Nous avons travaillé par métier et établi une charte qui regroupe agriculteurs, restaurateurs, affineurs et commerçants. Nous avons également constitué un groupe « communication » qui a produit un logo, une marque ? Saveurs des Aravis ? et proposé d'organiser un événement, la montée en alpage, afin de faire partager l'émotion de ce moment fort pour les agriculteurs. » L'ensemble des participants ont tous souligné l'important de ce « travailler ensemble » qui permet de déceler des complémentarités. Un travail qui demande du temps, de la concertation et aussi pas mal d'ingénierie. « Le plus difficile, reconnaît Loïc Perron, c'est de construire des actions suffisamment innovantes pour impliquer chacun des acteurs et que chacun y trouve son intérêt. » Car le projet lancé, c'est une nouvelle aventure qui commence...

(1) Service montagne des chambres d'agriculture des Alpes du Nord, pilote du projet Sytalp, en partenariat avec la Mission d'ingénierie touristique de Rhône-Alpes (Mitra).

(2) Guide méthodologique pour l'émergence et la conduite de projets, Sytalps, 2013.

Marianne Boilève

Le programme Sytalp

Porté par le service montagne des chambres d'agriculture des Alpes du Nord (Suaci), en partenariat avec Rhône-Alpes Tourisme, le programme Sytalp s'inscrit dans le cadre de la Convention interrégionale pour le massif des Alpes 2007-2013. Il sera donc clos à la fin de l'année. Soutenu financièrement par l'Europe (POIA/Feder), l'Etat (Datar Alpes) ainsi que les régions Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur, il a eu pour mission de diversifier et d'élargir l'offre touristique dans les Alpes, tout en consolidant l'économie agricole. Pour prolonger son action, Sytalp compte proposer une offre d'ingénierie touristique sous la forme d'un « guide des bonnes pratiques » (à paraître d'ici la fin de l'année) et ainsi que des sessions de formation continue.
Contact :[email protected]

 

Des ateliers pour apprendre à innover... ensemble

« Bienvenue au bistrot « Chez Lulu » ! A présent, c'est à vous d'imaginer un produit touristique... » Après la théorie, la pratique. Les participants au séminaire de restitution organisé par Sytalp se sont vus proposer un jeu de rôle. Leur mission : concevoir une offre agritouristique originale, tenant compte des composantes singulière d'un territoire, valorisant sa production locale et mobilisant des acteurs de différents secteurs. Par petits groupes, chacun s'est mis à phosphorer et à proposer des pistes. A qui s'adresse-t-on ? Que va-t-on proposer aux touristes ? Comment vont-il se déplacer ? Les approches et les points de vue se croisent, se confrontent, se construisent. On argumente, on expose, on propose... Une heure plus tard, neuf projets imaginaires voient le jour. L'intérêt de ces ateliers, animés par l'équipe de Sytalp, n'est pas seulement d'avoir fait travailler ensemble des gens qui ne se connaissent pas. Ils les ont aussi conduits à réfléchir concrètement aux facteurs clés de réussite d'un projet, ainsi qu'aux « points de vigilance » susceptibles de le fragiliser. Un exercice salutaire qui a permis de faire émerger la créativité de chacun, mais qui, selon une participante, a conduit quelques uns à « projeter leur fantasmes de techniciens ». Or, poursuit cette femme de terrain, « la réussite d'un projet dépend d'abord des problématiques et des attentes des gens qui vivent et travaillent sur le territoire ». Et c'est bien le message qu'entend faire passer Sytalp...
MB