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Santé publique

La lutte organisée contre le moustique Tigre

L'implantation du moustique tigre est confirmée en Isère depuis l'été 2012. Vecteur de la dengue et du chikungunya, l’insecte fait l’objet d’un plan de lutte pour éviter sa propagation.
La lutte organisée contre le moustique Tigre
Si le moustique Tigre (Aedes albopictus) est présent dans le département, il n’y a pas, à l’heure actuelle, d’épidémies de dengue et de chikungunya. La prévention mise en �"uvre consiste à éviter que des voyageurs revenant de pays, tels que La Réunion, Saint-Martin, La Guyane, La Nouvelle-Calédonie, qui ont été contaminés durant leur voyage, ne soient piqués par un moustique Tigre qui puisse à nouveau transmettre la maladie à d’autres personnes. Car la piqure de moustique est le seul vecteur de contamination. Elle est impossible de personne à personne. Bien que la probabilité de cette contamination soit faible, le département de l’Isère, comme ceux du Rhône, de la Drôme et de l’Ardèche, en Rhône-Alpes, est classé au niveau un du plan national anti-dissémination de la dengue et du chikungunya*.

Lutte collective anti-vectorielle

Organisée en deux temps, cette lutte prévoit, du 1er mai au 30 novembre (période durant laquelle le moustique tigre est actif), une surveillance entomologique, c’est-à-dire une veille accrue de la population de l’insecte, dans les zones où il est présent, et une surveillance épidémiologique des cas humains de dengue ou de chikungunya. Concrètement, il y a donc l’organisation d’une lutte collective, qui vise à informer la population, afin que chacun supprime les eaux non stagnantes (présentes dans les coupelles de fleurs, les gouttières, les déchets comme les canettes, les pneus…), qui sont des gîtes potentiels de reproduction des moustiques, et une lutte anti-vectorielle, dans l’environnement des personnes atteintes par ces maladies et où Aedes albopictus est aussi présent. Aujourd’hui, le moustique Tigre est installé dans quatre communes de l’agglomération grenobloise : Corenc, Saint-Martin-d’Hères, Poizat et Eybens. Ces communes ont été identifiées grâce au réseau de piégeage, mis en place depuis 2010 pour vérifier l’arrivée et l’installation du moustique.

Un traitement à la deltaméthrine

Le constat de certains signes cliniques tels que la fièvre, les douleurs musculaires, les maux de tête, de personnes revenant de pays où l’on retrouve ces maladies virales, ne suffit pas. La maladie doit être confirmée par une prise de sang et signalée à l’Agence régionale de santé (ARS), qui transmet l’information à l’EID Rhône-Alpes (Entente interdépartementale pour la démoustication), établissement public en charge des interventions de démoustication. Si chez le malade, ou dans les lieux qu'il fréquente, des détections du moustique ont été faites, des traitements seront mis en �"uvre. Il s’agira de traitements anti-larvaires à l’aide du BTI H14 (Bacillus thuringiensis var. israelensis) et de traitements à la deltaméthrine contre les adultes. Le moustique Tigre se déplaçant peu au cours de sa vie (25 à 50 mètres autour de son lieu de naissance), le traitement à la deltaméthrine, en nébulisation à froid, sera réalisé dans un rayon de 200 mètres autour des sites fréquentés par la personne malade entre quatre heures et cinq heures du matin (heures où il y a le moins de monde). Tous les habitants du secteur seront prévenus grâce à une information dans leur boite aux lettres. En Isère, depuis le 1er mai, sur neuf signalements de maladie à l’ARS, aucun n’a fait l’objet de traitement par l’EID.

* Le plan anti-dissémination du chikungunya et de la dengue définit cinq niveaux de risque à partir des résultats de la surveillance entomologique et humaine.
Niveau 0.a : absence d’Aedes albopictus
Niveau 0.b : présence contrôlée d’Aedes albopictus
Niveau 1 : implantation d’Aedes albopictus
Niveaux 2 à 5 : le niveau 2 est déclenché lors du diagnostic d’un premier cas de dengue ou de chikungunya autochtone, le niveau 5 correspondant à une situation épidémique installée.
Isabelle Brenguier

Légende photo piège : Une veille accrue de la population de moustique Tigre est organisée. Elle passe par l'installation de pièges pondoirs, comme celui-ci, dans le campus de Saint-Martin-d'Hères le 19 juin.


Encadré valorisé
Apiculture / L’utilisation de la deltaméthrine dans la lutte contre le moustique Tigre inquiète les apiculteurs. Malgré des mesures de protection lors des applications, ils craignent une mortalité accrue.
Les apiculteurs dubitatifs vis-à-vis de la lutte
La deltaméthrine est un insecticide ; par définition, nocif pour l’ensemble des insectes, y compris les abeilles. Commencée en 2012, la lutte contre le moustique Tigre a inquiété les apiculteurs ayant des ruches dans les secteurs traités. Pour tenter de diminuer les conséquences potentielles de ces traitements sur les pollinisateurs, une convention tripartite a été signée au printemps entre l’EID Rhône-Alpes, le groupement de défense sanitaire apicole (GDSA) de l’Isère et la DDPP (Direction départementale de la protection des populations). Elle stipule que, dès la programmation d’un traitement à la deltaméthrine, l’EID demande au GDSA de lui transmettre l’implantation géographique des ruchers présents dans le secteur. « Si, dans leur environnement, la densité de moustique est faible, le traitement sera évité, précise Rémy Foussadier, directeur de l’EID Rhône-Alpes (Entente interdépartementale pour la démoustication). Mais comme tous les habitants du périmètre sont prévenus de l’intervention, par courrier dans leur boîte aux lettres, les apiculteurs ont aussi la possibilité de s’organiser* ». Quant au GDSA, il informe aussi directement les apiculteurs de ces traitements, pour qu’ils puissent prendre les mesures appropriées, comme déplacer les ruches ou, au moins, les couvrir. Mais il regrette que les interventions ne soient prévues qu’un jour ou deux avant leur réalisation, car cela ne laisse que peu de temps pour s’organiser. L’EID ne peut toutefois les anticiper davantage, puisqu'elles dépendent de facteurs météorologiques. Le président du groupement de défense sanitaire apicole, Roger Tronel, encourage les apiculteurs concernés par ces traitements à observer la vie de leurs ruches avec attention et à faire remonter toutes les anomalies constatées.
Une rémanence difficile à estimer
Ces traitements ne sont réalisés que lorsqu’il n’y a plus d’autres alternatives, quand une personne, malade de la dengue ou du chikungunya, vit dans un lieu où la présence du moustique Tigre est avérée. Ils sont réalisés entre quatre et cinq heures du matin et la population locale est prévenue. Incontestablement, des précautions sont prises. Néanmoins, il n’y a, pour l’instant, que peu de recul quant aux conséquences de l’utilisation de la deltaméthrine, en particulier sur les abeilles. « La rémanence du produit est difficile à estimer, puisqu’elle dépend de plusieurs facteurs variables tels que la température, le vent, l’humidité, la présence de rosée, affirme Roger Tronel. Cet insecticide risque de se retrouver sur les feuilles des arbres, ce qui posera problème quand les abeilles se désaltèreront ». Pour lui, les mesures de précaution ne sont certainement pas suffisantes, mais pour l’instant, il est difficile de faire mieux. « Cela ne nous empêche pas de nous interroger sur la nécessité de réaliser des traitements aussi lourds, alors que les cas de maladie sont aussi rares. Cela semble démesuré », juge le responsable apicole. Nicolas Guintini, apiculteur professionnel à Semons, partage ces interrogations. Il estime que l’utilisation de ce produit entraîne un risque important pour l’environnement, et l’ensemble des insectes qui vivent à proximité de l’eau. « Quel est le bénéfice à traiter ? Quel est le bénéfice à ne pas traiter ? » se demande-t-il. S’il reconnaît que la lutte contre le moustique Tigre est, pour l’instant, encore localisée, il déplore la méthode utilisée. « Une nouvelle fois, on utilise une molécule à risque pour l’abeille. Bien que nous ne cessions de solliciter les pouvoirs publics, il n’y a aucune évolution. Avec le dérèglement climatique, nous aurons, à l’avenir, des hivers plus doux, et donc plus de ravageurs. Il faut arrêter l’utilisation de ces logiques mortifères », martèle-t-il. Mais pour l’Agence régionale de santé, « la priorité est la lutte contre la prolifération de l’insecte, en raison du risque sanitaire qu’il génère ». D’où la mise en �"uvre d’une abondante communication pour informer la population, et la réalisation de ces traitements.

* Cette information est efficace lorsque certains apiculteurs, souvent amateurs, ont des ruches à proximité de leur habitation ; mais ce n’est pas toujours le cas. Et jamais pour les apiculteurs professionnels.
I.B.

Légende photo (Crédit photo : EID Méditerranée) : Le moustique Tigre (Aedes albopictus) est un moustique d'origine tropicale. Espèce introduite en métropole dans les années 200, il est vecteur de la dengue et du chikungunya.


Encadré simple
Mortalité accrue des butineuses en Martinique
Jusqu’à aujourd’hui, la littérature ne comprenait pas de réels travaux sur les portées de ces traitements à la deltaméthrine. Néanmoins, dans le cadre d’un programme européen « Life + », l’EID Méditerrannée a conduit, de 2011 à 2013, différentes études destinées à évaluer les effets non intentionnels des larvicides et des adulticides sur les pollinisateurs. L’une d’entres-elles, réalisée en Martinique, s’intéressait aux conséquences directes de l’utilisation de ce produit sur les ruchers. « Suite à un traitement réalisé en nébullisation à froid le 24 février 2012, un suivi de l’activité des abeilles (entrées et sorties), du poids de la ruche et du développement de la colonie a été réalisé pendant plusieurs semaines, indique Benoît Frances, de la direction technique de l’EID Méditerrannée. Il en est ressorti une mortalité accrue sur les butineuses, au niveau de la zone pulvérisée. En revanche, les analyses réalisées sur le couvain, les larves, la cire et le miel, n’ont pas décelé de résidus. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas eu d’impact ».
I. B
Encadré simple
Le moustique Tigre
Aedes albopictus est un moustique d'origine tropicale. Son corps effilé est parcouru de zébrures, d'où le nom de moustique Tigre. Espèce introduite en métropole dans les années 2000 par les transports, il se propage de façon relativement importante. « Aedes albopictus est davantage présent en milieu urbain que rural, car en ville, il dispose d'une multitude de lieux où sa propagation est facilitée à cause d'eaux stagnantes, présentes dans des coupelles de fleurs, des pneus, et divers objets abandonnés. Il est moins adapté aux milieux naturels, car la concurrence et la prédation y sont plus importantes », explique François Dusoulier, conservateur du Muséum d'histoires naturelles de Toulon.
I.B.