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La preuve dans le champ

Lancé l'an dernier, le programme Azodure qui vise à inoculer une bactérie à des semences de maïs pour stimuler le développement racinaire des futurs plants, entre dans sa phase expérimentale : les premiers semis ont eu lieu le 18 avril à Sérézin-de-La-Tour.
La preuve dans le champ

Jusqu'ici, tout est sous contrôle. En laboratoire, l'expérimentation s'est déroulée comme sur des roulettes. Ces derniers mois, les chercheurs sont parvenus à identifier les cultivars de maïs les plus sensibles à l'inoculation par la bactérie Azospirillum, celle-là même qui permet à la plante de développer son chevelu racinaire, et donc de réduire ses besoins en azote et en eau. Les semences ont été soigneusement contrôlées, puis recouvertes d'un biofilm producteur de la fameuse hormone selon un process industriel rigoureux, développé par la société Agrauxine, avant d'être stockées dans de grands sacs. A chaque étape, un échantillon a été prélevé, analysé, enregistré. Donc tout va bien.

Semis à 8 ou 12 rangs ?

Sur le terrain, les réglages des machines ne sont pas moins minutieux qu'en labo...

Pourtant, en ce 18 avril, jour des premiers semis sur les parcelles expérimentales, on sent une certaine tension chez Laurent Legendre. Arrivé le matin dans le champ de Yannick Rippet, l'un des agriculteurs participant à l'expérimentation, non loin de Sérézin-de-la-Tour, l'enseignant-chercheur en physiologie à l'université de Saint-Etienne, responsable du programme Azodure (1), ne cache pas son émotion. « On n'a peut-être pas pensé à tout... », murmure-t-il. L'agriculteur, lui, peste contre cette terre qui ne veut pas se laisser labourer. Depuis le matin, avec son entrepreneur, il cherche à comprendre pourquoi, juste aujourd'hui, le jour du semis, « le labour n'est pas joli ». Les mottes sont trop grosses, la terre pas assez fine. Le « chasse-motte » passe et repasse, le résultat n'est pas vraiment satisfaisant. Sans compter que les scientifiques sont partis sur une idée de semis à huit rangs. « Mais nous, avec notre machine, on sème à douze ! » assène Yannick Rippet. De fait, à l'heure du déjeuner, le chercheur et ses deux co-équipiers ont recalculé tout leur plan de semis.

 

Ce petit imprévu est révélateur des multiples embûches qui émaillent le parcours du programme Azodure, démarré l'an dernier. Problèmes techniques, questions de vocabulaire, aléas météo, précautions dans les manipulations, agriculteurs et chercheurs en voient de toutes les couleurs... « Nous sommes souvent considérés comme des pénibles parce que nous sommes obligés d'être rigoureux, avoue Laurent Legendre. Nous devons tout contrôler. Jusqu'au grain de maïs qui sort du semoir ! » Fort heureusement, les agriculteurs qui participent au programme se prêtent bien volontiers au jeu. Quitte à en rigoler. Chacun fait des efforts pour s'adapter... et comprendre les contraintes de l'autre. « Faut faire avancer les choses », lâche, laconique, Yannick Rippet.

Inoculation de semence

Recueil d'échantillons à la sortie du semoir.

De son côté, le chercheur se réjouit de l'accueil reçu en terre iséroise. « Il nous fallait un territoire où il y ait des agriculteurs qui se prêtent volontiers à ce genre d'expérimentation et qui sont ouverts à l'innovation. D'ordinaire, à peine se présente-t-on quelque part, que nous, les gens des labos, on nous ferme la porte. » Soucieux d'évaluer le potentiel d'une technologie d'inoculation de semences de céréales et de contribuer à sa mise sur le marché dans les dix ans à venir, le chercheur et son équipe (2) cherchaient en effet un territoire réunissant des agriculteurs partenaires (en l'occurrence ceux de l'association Paturin, dans le Nord Isère), un prestataire de service (La Dauphinoise pour la sélection des cultivars et les opérations d'apports azotés) et une courroie de transmission (la chambre d'agriculture de l'Isère).

L'aventure a démarré en juin dernier avec la localisation de plusieurs parcelles sur les communes de Chatonnay, Saint-Savin et Sérézin-de-la-Tour. Choisies pour la diversité de leurs problématiques (fond de vallée, plateau et bas de versant), les parcelles, dont trois sont en conventionnel et une quatrième en bio, ont fait l'objet de multiples analyses et prélèvements afin d'établir des typologies. Les agriculteurs ont dû expliquer leurs pratiques et accepter de se conformer à une « stratégie agronomique » bien précise, associant semis avec et sans technologie d'inoculation bactérienne. L'objectif des chercheurs est de maîtriser tout l'ensemble du processus afin d'acquérir des connaissances sur « les bénéfices écosystémiques de l'usage répété de la technologie au niveau des végétaux, les communautés bactériennes du sol, la capacité hydrique du sol et le gain économique ». Car la mission d'Azospirillum - si elle l'accepte en plein champ - n'est pas mince : il s'agit rien moins que de modifier l'architecture racinaire du plant de maïs (mais cela fonctionne aussi avec le blé, la betterave ou l'olivier...) afin de lui permettre de mieux explorer les ressources du sol (eau et substances nutritives), mais aussi d'augmenter sa tolérance à la sécheresse comme à l'inondation. Autrement dit de préparer la voie à « une agriculture durable et réaliste », tant du point de vue économique qu'environnemental.

Travail d'orfèvre

« Apparemment, ça sème... Mais tant qu'on n'a pas fait toutes les rangées, on ne peut pas savoir. » L'œil rivé sur le tracteur, Laurent Legendre cache mal son émotion. Yannick Rippet arrive en courant : il vient de demander à son entrepreneur de semer un peu plus profond pour que le maïs soit semé dans la terre fine. Un travail d'orfèvre, puisqu'il faut alterner rangs de semences avec et sans inoculum. Les étudiants qui accompagnent le chercheurs mesurent, recueillent, calculent, prélèvent... pendant que le semoir crache ses précieuses semences. Dans quelques minutes, il faudra jalonner le terrain, afin de repérer précisément ce qui a été semé, placette par placette. « Beaucoup, dans le coin, disent que c'est n'importe quoi, confie Yannick Rippet. Moi j'aimerais que ça marche pour prouver aux autres que ça sert à quelque chose. Les essais en labo, c'est bien. Mais rien ne remplace le terrain. »

Marianne Boilève

(1) Programme de recherche financé par l'Agence nationale de la recherche, visant à mettre au point une technologie d'inoculation de semences de céréales par une souche naturelle d'Azospirillum, pour stimuler le développement du système racinaire de la plante.

(2) Le programme associe le laboratoire d'écologie microbienne (CNRS), l'institut du droit de l'environnement (université de Lyon 3), l'Inra d'Avignon et de Versailles-Grignon et Agrauxine, spécialiste du bio-contrôle et de la bio-nutrition.