Le Trièves renoue avec l'onchette

Ils sont là, blottis dans les taillis, là où la végétation a repris ses droits et l'homme oublié sa terre. Sarments fougueux qui dépassent des buissons et rappellent que ce terroir fut jadis viticole. Un jour, le phylloxera est passé par là et les coteaux du Trièves ont perdu leurs vignes, ou presque. Il ne restait que huit hectares de ce vignoble en 2007 lorsque Gilles Barbe, natif de Mens, a lancé l'alerte. « C'est un patrimoine qui partait. Il fallait faire quelque chose. » Dans les années 2000, quelques bénévoles se rassemblent autour des anciens pour l'entretien des dernières vignes de consommation familiale, aux droits intransmissibles. Les choses se corsent en 2004 lorsque Samuel Delus, jeune agriculteur, se heurte à l'impossibilité de s'installer en viticulture. « L'association Vignes et vignerons du Trièves (VVT) a été créée pour sauvegarder les vignes existantes et essayer d'en replanter dans la mesure où il existait encore des droits. Mais face à la difficulté d'en acquérir, nous nous sommes tournées vers FranceAgrimer. La seule façon de pouvoir planter de la vigne était de disposer de droits conservatoires », détaille Gilles Barbe.
Parcelle après parcelle
Et c'est ainsi que les amis de VVT, en relation avec le Centre d'ampélographie alpine Pierre Galet, basé en Savoie, se lancent dans l'identification de cépages endémiques, anciens, oubliés et replantent, parcelle après parcelle, environ 7 000 m2 de vigne. La douce noire, le persan, le joubertin, le durif, la verdesse, les bia blanc et l'altesse reprennent ainsi peu à peu leurs droits sur les coteaux ensoleillés de Prébois et de Mens. « Nous avons poursuivi des travaux de recherche dans les archives départementales sur l'onchette, un cépage présent depuis toujours dans le Trièves et la vallée du Drac. Il y en avait encore 17 hectares en 1957. Nous avons retrouvé deux plants conservés au domaine de Vassal de l'Inra de Montpellier », poursuit l'infatigable président de l'association. Les greffes sont prêtes à être plantées en 2010 : 250 plants à Prébois. Suivent 200 plants à Mens en 2013. L'enjeu, c'est la remise du cépage au catalogue national, au terme de la validation de l'expérimentation. « Chaque année, depuis 2011, nous menons des recherches archéoviticoles dans les vieilles vignes du sud Isère. C'est ainsi qu'en 2012, nous avons retrouvé des anciens cépages à Valbonnais, dont 50 pieds d'onchette. Nous en avons également retrouvé à Sainte-Luce et Quet-en-Beaumont », se réjouit le gardien du patrimoine viticole.
Jeunes viticulteurs
Pour accompagner cette activité de conservation, VVT a aussi pour vocation de repositionner la culture viticole dans le Trièves en s'appuyant sur de jeunes viticulteurs. Dans le sillage de Samuel Delus, le précurseur, qui a finalement réussi, après des années de galère, à s'installer en 2011 sur le coteau de Moulin Vieux à Prébois, Maxime Poulat et Jérémy Dubost sont parvenus à finaliser leurs projets d'installation. Maxime travaille à Terre vivante et vient de récupérer une ferme familiale à Prébois, tandis que Jérémy, immatriculé au casier viticole informatisé (CVI) depuis deux ans, a planté des vignes en 2014, en marge de son activité de maraîchage et d'horticulture qu'il exerce à Prébois. Tous partagent l'amour du vin et du Trièves. « C'est un projet de territoire, reprend Jérémy Dubost. A une époque, il y avait beaucoup de vignes et les fermiers en parlent encore. On est dans une phase de transmission avec des coteaux rendus productifs ». D'abord salariés de l'association, ces jeunes viticulteurs peaufinent leurs projets d'installation en entretenant et replantant de vieilles vignes. Peu à peu, ils refaçonnent les coteaux du Trièves. Et ce n'est pas évident, dans un parcellaire très fractionné où la végétation reprend rapidement ses droits. « Il y a beaucoup de parcelles de 500 ou 1 000m2 en indivision et nous avons des difficultés à retrouver les propriétaires », indique Gilles Barbe. A Prébois, le potentiel serait d'une vingtaine d'hectares, alors qu'aujourd'hui il n'y a que 1,5 hectares de vieilles vignes et 2,5 hectares de vigne nouvelle. « Ce n'est pas simple de trouver des gens pour entretenir ce vignoble. C'est un travail physique, intensif. Il faut tenir dans le temps », poursuit le président. Samuel le confirme, planter 10 000 plants, c'est « répétitif ». Longtemps persuadés que la vigne ne refleurirait pas dans le Trièves, nombre d'anciens ont fini par reconnaître, avec nostalgie, que cette poignée d'épicuriens savait quoi faire des ceps retrouvés. Alors ils ont donné un coup de main, recréant un lien intergénérationnel, entre ceux qui savent et ceux qui veulent.
Premières cuvées
Avec intensité et exaltation, c'est ainsi que les vignerons du Trièves vivent cette période où il faut sauvegarder, planter, entretenir ou encore inventorier les exploitations et les paysans disposant d'un n° de CVI afin que ces droits commerciaux ne disparaissent pas et puissent basculer vers un autre viticulteur. Les propriétaires à posséder le fameux sésame seraient à peine plus d'une trentaine aujourd'hui, dont plus de la moitié ne cultive plus sa vigne. VVT multiplie les projets et voit plus grand. Après avoir restructuré environ 1,5 hectares de coteaux à Mens depuis 2011, l'association a été sollicitée par la commune d'Avignonet pour restaurer la parcelle du Mas d'environ deux hectares. Aujourd'hui, c'est la commune de Roissard, qui se tourne vers elle pour réhabiliter le coteau de Brion. Les premières cuvées commerciales sont attendues en 2015. Elle seront principalement alimentées par les plantations conservatoires une fois validées au catalogue national et par les vignes de Mens sous statut commercial.
Economie sociale et solidaire
Parce que cette initiative territoriale revêt un caractère conservatoire et patrimonial, qu'elle s'inscrit dans une démarche d'économie sociale et solidaire, l'association a pu obtenir des soutiens à la hauteur de ses ambitions, tant sur le plan financier*, que technique. Elle étend d'ailleurs ses acitvités à la conservation du patrimoine arboricole local. Pour la viticulture, les triévois ont pu compter sur l'appui de nombreux jeunes vignerons isérois et régionaux, sur le centre d'Ampléographie alpine, l'Inra et FranceAgrimer. Sur le plan littéraire, ils s'en réfèrent à Jean Giono et sur le plan affectif, aux 250 membres de l'association. « C'est de l'argent qui reste sur le territoire, à travers le salariat et les travaux que nous faisons faire », insiste Gilles Barbe. Des fonds que l'association a aussi pu consacrer à l'achat de matériel, comme un tracteur ou des pulvérisateurs mis à disposition des viticulteurs.
Isabelle Doucet
*La région, le conseil général, la plateforme d'initiative locale MCAE Isère active, la fondation RTE, la fondation Terre humaine, le Gal Vercors-Trièves (programme Leader), le fonds Créavenir du Crédit mutuel et les communes de Mens, Prébois, Avignonet er Roissard ont été de la partie.