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Société

Le vent tourne pour le loup

Les dégâts provoqués par le loup sur les animaux et dorénavant indirectement sur les hommes provoquent une prise de conscience politique de la part de nombreux élus. Le col du Glandon en a été témoin.
Le vent tourne pour le loup

Mise à jour 26/08/2016, 11h00.

«La question, c'est nous qui nous la cognons »

Opération d'envergure à Chichilianne, mercredi 25 août. Plus de 100 personnes, chasseurs, services de l'Etat, louvetiers, ont participé à une battue au loup entre Clelles et Chichilianne. « Des chasseurs d'une vingtaine de communes sont venus », explique Yann Souriau, maire de la commune victime d'attaques incessantes et presque journalière de la part du loup. « Une tanière a été repérée mais nous n'avons pas pu avoir la bête ». « Nous avons l'autorisation de trois prélèvements et le préfet a également pris un arrêté préfectoral de tir de défense renforcé, les choses avancent, se réjouit l'édile. Nous lui en sommes reconnaissant car aucun préfet n'avait pris de telles décisions avant lui. »

Si Yann Souriau voit un peu l'horizon s'éclaircir, la pression locale sur l'ensemble des acteurs, de la population, n'est pas encore levée. Trois meutes vivent à proximité de Chichilianne. Celle chassée mercredi, une autre sur le plateau sud du Vercors et une du côté du Jocou. Dailleurs, une attaque faisant sept victimes parmi des ovins a été perpétrée à Lalley à quelques dizaines de mètres des bâtiments d'une colonie de vacances, inoccupée depuis peu.
Le problème aujourd'hui est le sort d'Angelo Longo, l'éleveur propriétaire des chiens qui ont attaqué une habitante de Chichilianne, la blessant gravement. « C'est lui qui se trouve dans le collimateur de la justice, déplore le maire de Chichilianne. Parce que, une fois que tout le monde (politique, ndlr) a fini de faire ses discours et ses prises de position, la vraie victime, celle qui reste seule, c'est lui, lui qui va trinquer. » « La question de la présence du loup, les angoisses, les responsabilité, toutes ces questions, une fois qu'il n'y a plus personne, c'est nous qui nous les cognons », assène Yann Souriau.

JME

 

(MAJ 22/08/2016 18h30)

Dernière minute : selon nos informations, le préfet de l'Isère aurait signé un arrêté autorisant trois tirs de prélèvement dans le Trièves

 

Il y aura sûrement un avant et un après 20 août 2016. Car au col du Glandon, samedi dernier, les discours des maires, bergers, éleveurs, scientifiques, n'étaient plus à l'aune des simples constats quant aux dégâts de loup, mais à une vraie offensive. Un vent de résistance a soufflé sur les alpages.

Les germes de l'échec

« L'USAPR (1) porte les messages des territoires et des éleveurs », assène en introduction Pierre-Yves Bonnivard, président de l'association et maire de Saint-Colomban-les-Villard. Après 25 ans de présence du loup, nous constatons 25 ans d'échec. Oui, la convention de Berne porte en elle l'échec du retour du grand prédateur ». La parole est sûre, le ton ferme, le regard noir. Et pour étayer ses positions et celles de l'ensemble des participants à ce rendez-vous annuel, désormais à vocation européenne, les organisateurs se sont appuyés sur des scientifiques. D'abord Nicolas Lescureux du CNRS (2) qui a mené une étude sur la relation entre les populations rurales et le loup au Kirghizistan et en république de Macédoine.

Nicolas Lescurreux

Dans le premier pays, la chasse était systématique, avec des chasseurs professionnels lors de l'ère soviétique. La relation était alors équilibrée, le prédateur se tenant loin des troupeaux, les hommes et le loup s'observant à distance dans les plaines. Lorsque le Kirghizistan est devenu indépendant, cette structuration a disparu. Plus de chasseurs professionnels, retrait des fusils et donc nette diminution de la pression sur le grand canidé. Aujourd'hui, les troupeaux sont resserrés autour des villages et continuent quand même à se faire attaquer. « Le loup est devenu incontrôlable car la relation dynamique qui existait entre l'homme et la bête a disparu, constate le scientifique. Une incursion du loup ne provoque plus de réaction. Il gagne du terrain. »

Régulation et cohabitation

Constat identique en Macédoine, où la population se frotte aux ours, loups et autres lynx. « L'ours est identifié à un territoire. Il est chassé s'il pose un problème. Il y a une bonne cohabitation », décrit Nicolas Lescureux. Le lynx est lui invisible et pose peu de problème parce qu'il vit éloigné de l'homme. Reste le loup qui en Macédoine est difficilement chassable d'un point de vue réglementaire. « Les dégâts sont importants sur les troupeaux et il attaque les chiens », commente le scientifique. Autre caution scientifique, celle de Michel Meuret de l'Inra.

Michel Meuret

« Dès la réintroduction du loup en 1996 dans le parc de Yellowstone aux Etats-Unis, des mesures de gestion ont été mises en place. Dès qu'un loup pose problème (il tue un ovin, un bovin...), il est régulé. 15 % sont tirés chaque année pour cette raison. La moyenne des dégâts est donc de 180 bovins et 330 ovins attaqués par an (!) entre 2006 et 2014. L'année record 2009 a connu la mort de 721 ovins : 25 meutes sur 267 ont alors été abattues. » Pourtant aujourd'hui, la zone comprend 1780 loups, bien au-delà des 300 prévus à l'origine. « Quand les conditions d'un équilibre ne sont pas respectées, il y a de gros conflits », concluent les deux scientifiques. Et quand il y a régulation, il y a cohabitation.

Dévorée vivante

Les situations catastrophiques, Yann Souriau, maire de Chichilianne, les vit de près. L'attaque d'une habitante du village par deux chiens de protection ont marqué l'élu : « Elle a été dévorée vivante, explique-t-il, elle a vu des morceaux de sa propre chair mangés par les chiens devant elle. » Le traumatisme gagne tout le monde : les touristes ont décommandé leur réservation, le maire a lui-même signé un arrêté dans lequel il déconseille formellement aux personnes d'emprunter les sentiers locaux. « On a mobilisé depuis le début de l'été 70 personnes dont 30 louvetiers, nous vivons au milieu des cadavres des charniers, nous achevons à la main des bêtes presque tous les jours. » « Qu'on laisse les louvetiers faire réellement leur travail et le problème sera résolu », clame M. de Montal, ancien louvetier. « On (la préfecture, ndlr) nous empêche de faire le travail. » Yann Souriau, lui, ne veut plus laisser « le territoire s'effondrer, d'autant plus que cette situation de dangerosité avérée n'est pas unique. Il va y avoir une réaction ferme pour arrêter cette catastrophe. »

Yann Souriau
Des mots qui viendront peut-être réchauffer le moral des bergers, dont deux d'entre eux sont venus témoigner. « L'avenir de notre métier est en jeu, plaide Antoine Le Gal, berger transhumant. Au lieu de nous occuper des moutons, de les soigner, de les faire engraisser, d'entretenir le pâturage, nous comptons les cadavres, recherchons les brebis, achevons certains blessés... », décrit-il submergé par l'émotion.

Antoine Le Gal

Pour Stéphane Marie, président de Pâtre des Alpes du Nord (Pan), « nous vivons quatre mois de galère à la fin desquels on nous demande combien nous avons eu de disparus, avec un doute et une suspicion sur notre attitude face à ce fléau de la société moderne ». Et parce qu'il veut combattre « les perverses stratégies intellectuelles des pro-loup qui conduisent à programmer la fin du pastoralisme », il annonce que la Cour des comptes sera saisie afin de demander une enquête « sur la gabegie financière constatée dans ce dossier ».


(1) Union pour la sauvegarde des activités pastorales et rurales
(2) Centre national de recherche scientifique

 

Jean-Marc Emprin