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Elections législatives

Les agriculteurs s'invitent dans la campagne

La FDSEA et les JA de l'Isère ont organisé des rencontres avec les candidats aux élections législatives dans sept circonscriptions du département. Les agriculteurs ont interpelé les politiques et leur ont fait part de leurs attentes.
Les agriculteurs s'invitent dans la campagne

Il est des candidats aux élections législatives qui, lorsqu'ils rencontrent les agriculteurs, croient se les mettre dans la poche en parlant des jolis coquelicots dans les champs. Le problème, c'est que les coquelicots ne nourrissent pas les vaches, et encore moins les agriculteurs. Et ces derniers ne se sont pas privés de le rappeler aux candidats lors de rencontres organisées la semaine dernière par la FDSEA et les JA de l'Isère. Ces temps d'échanges, de plus de deux heures à chaque fois, ont permis aux exploitants agricoles d'interpeler les futurs élus. Plan de relance, prix, normes, lourdeurs administratives, emploi, coût du travail, charges, valeur ajoutée, Europe, concurrence déloyale, retraites, rôle et efficacité des élus... : aucun sujet n'a été occulté.

Vivre de son travail

« Si je suis venu là, c'est que je suis à bout, déclare calmement René Gippet, producteur laitier à Creys-Mépieu. Je n'arrive plus à vivre de mon travail. Nos produits n'ont pas de prix. J'ai investi en pensant que j'allais pouvoir me verser un revenu décent. Ça ne marche pas. J'aimerais qu'on me dise ce qu'il faut faire pour arriver à vivre juste un peu mieux. » Dans son propos, aucune animosité., mais un découragement profond. Les candidats le sentent. Jérôme Crozat, éleveur à Janneyrias et vice-président de la FDSEA, enfonce le clou et s'appuie sur l'exemple de la valorisation du lait par les producteurs de beaufort pour expliquer l'enjeu  : « Ça fait deux mandats qu'on détricote le peu qu'on avait. Comment redonner du pouvoir de négociation aux OP ? Avec les transformateurs et la grande distribution, on a les mêmes problèmes. Pourtant il y a autant de valeur ajoutée dans un yaourt Danone que dans le beaufort. Mais où passe la marge ? On a protégé le consommateur : c'est très bien. Mais qu'est-ce qu'on fait pour les producteurs ? »

A Passins, René Gippet, éleveur laitier, explique aux candidats qu'il n'arrive plus à vivre de son travail.

Pour le représentant de La France insoumise, « le prix du lait à moins de 300 euros, ce n'est pas viable ». La solution, selon lui c'est « le passage au bio systématique et le recours aux circuits courts ». Du côté de la République en marche, la priorité est de « redonner du pouvoir aux producteurs dans la chaîne de valeur » et d'encourager le « développement de véritables organisations de producteurs » (Caroline Abadie, 8ème circonscription). Le mouvement d'Emmanuel Macron propose aussi d'ouvrir aux exploitants agricoles le droit à l'indemnisation chômage « lorsque l'activité est en baisse ou qu'elle n'est plus possible ». Dans la 6ème circonscription, Cendra Motin évoque « le Grenelle de l'alimentation » qui consiste à « mettre tous les acteurs autour de la table, les représentants des agriculteurs, des filières, des industries agroalimentaires, de la distribution et des consommateurs pour que chacun se parle et s'explique. Il faut que les agriculteurs et les OP aient plus de poids face à l'industrie de l'agroalimentaire. » De son côté, Alexandre Bolleau, candidat PS et maire de Sermérieu, estime qu'il faut « arrêter de courir après la grande distribution. C'est ce qu'ont fait les éleveurs qui ont lancé la marque "C'est qui le patron ?" ». « Oui, mais ils avaient les épaules pour investir dans une laiterie ! » rétorque Benoît Vacher, agriculteur à Trept qui, cinq ans après son installation ne parvient toujours pas à se sortir un salaire.

Coût du travail

Pour réduire le coût du travail, la FDSEA propose de « mettre en place la TVA sociale afin de supprimer totalement les cotisations famille et maladie des agriculteurs » et « redonner de la compétitivité aux exploitations sans réduire le pouvoir d'achat des consommateurs ». Le sujet divise les candidats. « La TVA sociale ne fait pas partie de notre programme, indique Cendra Motin, de la République en marche (REM). Pour nous, la première réponse, c'est la baisse des charges » qui doit se traduire par la transformation du CICE « en allègement permanent de cotisations sociales. »

Maryline Sylvestre, candidate LR dans la 8ème circonscription, discute retraite avec une agricultrice.

Chez Les Républicains, il est question de « libérer les entreprises (...) des normes bureaucratiques et de 35 milliards d'euros de charges pour les rendre plus compétitives », mais aussi d'« abroger toutes les normes ajoutées à la réglementation européenne » et de lutter « contre la concurrence déloyale des travailleurs détachés non soumis au code du travail ». Chez Europe Ecologie-les Verts, le propos se veut plus nuancé : « Baisser les charges, ça me gêne, affirme Cécile Viallon, candidate dans la 6ème circonscription. Que les charges soient allégées, pourquoi pas ? Mais il y a un principe de mutualisation et de solidarité à préserver. »

Concurrence déloyale

Le Front national propose de « libérer l'entreprise » par « une baisse de la fiscalité et une limitation drastique des normes imposées ». Dans la 8ème circonscription,Thibaut Monnier veut par ailleurs « réguler les importations » et « interdire » celles « qui ne respectent pas les normes de production françaises afin de lutter contre la concurrence déloyale ». Il en profite pour tirer à boulet rouge sur l'Europe : « On perd huit milliard d'euros entre ce qu'on paie et ce qu'on perçoit, PAC comprise (1). C'est la raison pour laquelle nous défendons l'agriculture française. » Jean-Paul Chavas, président de la SDAE de l'Isère, lui fait alors remarquer qu'« on ne sait pas ce qu'on perdrait en termes de marché en fermant nos frontières ». Et d'appeler à « rester très prudent » sur ces questions. Une position que partage la plupart des autres candidats qui parlent de l'Europe non comme d'un problème, mais comme d'une « solution ». « Ce qu'il faut faire, c'est l'Europe fiscale et sociale », avance Erwan Binet, PS. Caroline Abadie (REM) veut une « Europe qui protège ». Son mouvement souhaite donc lui « redonner un cap » et se battre « pour la convergence fiscale, sociale et environnementale ».

Plan de relance

Pour « donner du souffle à l'agriculture iséroise et française », la FDSEA soumet plusieurs mesures aux candidats, dont un « grand plan national d'investissement agricole de six millards d'euros » destiné à « répondre aux besoins de modernisation de l'agriculture française ». Le mouvement En Marche a beau jeu de répondre par le « plan de transformation agricole de 5 milliards d’euros sur 5 ans » d'Emmanuel Macron, qui favorise « des investissements plus respectueux de l’environnement ». « On souhaite aider l'agriculture à se moderniser, à aller vers le bio ou l'agriculture raisonnée, mais aussi développer le paiement de services environnementaux », précise Cendra Motin qui en appelle à une simplification administrative pour « remettre le service public au service du public ». Sans parler de relance, EELV propose aussi que les agriculteurs soient rémunérés « pour la gestion qu'ils ont du bien commun » (entretien des milieux, des haies, des prairies...). « Pour que nous soyons les jardiniers du paysage, c'est ça ? » Chez les agriculteurs, la proposition ne semble pas soulever un enthousiasme fou. 

Marianne Boilève

 

(1) NDLR : en 2015, la France a versé 19 milliards de contribution, mais elle en a touché 14,5, notamment au titre de la politique agricole commune (à hauteur de 9 milliards d’euros), dont elle est un des principaux pays bénéficiaires. Soit une contribution nette de  4,5 milliards, auxquels il faut ajouter 1,6 millards de droits de douane perçus par la France pour le compte de l’Union européenne.

 

Engagements et transparence

C'est dans l'air du temps. Avant même d'être interpelés sur le sujet, un certain nombre de candidats précisent qu'ils rendront régulièrement compte de leur activité législative aux habitants des territoires dans lesquels ils auront été élus. Autrement dit que la politique à l'ancienne, c'est fini. « Le sujet, c'est la place et l'efficience du travail à l'Assemblée », avertit Alexandre Bolleau, candidat PS dans la 6ème circonscription, qui s'engage à faire un « état du travail législatif au moins trois fois par an ». Cendra Motin (REM) précise qu'elle s'engage à rendre compte de son action, mais aussi à publier l'utilisation de tous les fonds publics qu'elle aura eu en charge. Quant à Maryline Sylvestre, canditate LR dans la 8ème circonscription, elle a mis en place un « conseil de circonscription » comprenant des citoyens de tous horizons, y compris agricole. « Je dois être votre courroie de transmission pour faire remonter les réalités du terrain. Le monde évolue. Je souhaite travailler avec vous et venir dans vos exploitations pour trouver avec vous des solutions locales », a-t-elle lancé aux agriculteurs lors d'une rencontre organisée à Estrablin.
MB

 

Retraite  : vers la fin des régimes spéciaux ?

Les retraités « Pour les retraites, que comptez-vous faire ? » Face aux candidats à la députation de la 8ème circonscription, Jean-Paul Chavas, président de la SDAE de l'Isère, et trois autres exploitants à la retraite attendent des réponses concrètes. De concert avec la FDSEA, ils revendiquent des « retraites décentes », calculées sur les 25 meilleures années et non plus sur la totalité de la carrière professionnelle. « Pensez-vous pouvoir arriver à une revalorisation à 85% du SMIC ? » Pour Caroline Abadie (REM), ce qui va aller dans ce sens, « c'est la revalorisation des minimas sociaux et la suppression de la taxe d'habitation ». Erwan Binet (PS), qui est pour le calcul sur les 25 meilleures années, milite aussi pour la fusion des régimes de retraite de façon à « faire fonctionner la solidarité pour combler le déficit des retraites agricoles ». Et d'ajouter : « Il faut faire sauter le verrou des régimes spéciaux. » «Ils sont à bout de souffle », ajoute Eric Berger, candidat EELV. Maryline Sylvestre (LR, 8ème circonscription) rejoint ses deux concurrents sur ce point, mais prévient qu'elle est « contre toute augmentation d'impôts ». Pour elle, la solution passe par des « économies pour les reverser, notamment aux petites retraites ». La position de Véronique Barrow (Union populaire républicaine) est sensiblement différente : « Le principe de la retraite, c'est de s'auto-entretenir. Pour avoir de quoi cotiser, il faut avoir de quoi vivre. Il faut donc faire en sorte que les agriculteurs aient des revenus décents et que l'on arrête d'être dans une concurrence déloyale avec des produits venus d'ailleurs. »
MB