Les éleveurs isérois exigent du beurre sur leur paye de lait

C'est un croissant au beurre qui a mis le feu aux poudres. La découverte - par le grand public - de la flambée du prix du beurre et sa répercussion sur les prix des viennoiseries et autres pâtisseries ont déclenché un petit séisme. La presse généraliste dénonce une aberration que les producteurs laitiers s'épuisent à pointer depuis des mois : le prix du beurre augmente (5 300 euros la tonne), les consommateurs devront donc payer davantage, mais les producteurs, eux, ne sont pas mieux rémunérés pour autant. « Où va l'argent ? » demandent les éleveurs laitiers qui connaissent très bien la réponse. « Il y a beaucoup de marge qui se fait sur les produits laitiers, mais cette marge n'est pas répercutée », souligne Pascal Denolly, président de la FDSEA de l'Isère.
Avec une augmentation du prix du beurre de près de 80%, les éleveurs trouveraient raisonnable de voir leur paye de lait revalorisée à hauteur de 10%. « Aujourd'hui, tous les voyants sont favorables par rapport au marché, justifie Jean-Michel Bouchard, éleveur à Thodure et responsable de la section lait à la FDSEA de l'Isère. Il y a eu une grosse inquiétude au début de l'année avec la mise à l'herbe, mais la production laitière européenne a globalement baissé. Les prix remontent partout, sauf en France. Les producteurs considèrent ça comme du mépris. » Surtout venant de certains acteurs, notamment coopératifs. « Ils suivent le marché quand ça ne va pas, mais ne le suivent plus quand les prix remontent », s'étrangle Sébastien Poncet, éleveur et président des JA Isère.
Jouer collectif
Que faire ? Les éleveurs de Bretagne ont mené des actions coup de poing. En Isère, l'heure n'est pas à ce genre de mobilisation. « Les producteurs ont le moral dans les chaussettes, explique Jean-Michel Bouchard. J'ai essayé de convaincre les gens d'intervenir dans leur laiterie, mais avec la crise, on n'y arrive pas. Depuis la libéralisation, plus rien n'est encadré et les producteurs se sentent isolés, démunis. Mais pour retrouver un cadre, il faut jouer collectif... »
Et c'est bien ce que compte faire les responsables syndicaux. Premier opérateur dans le collimateur : Sodiaal. Rendez-vous a été pris pour mettre les choses au point en fin de semaine prochaine. « Sodiaal, ce sont eux qui paient le moins, rappelle Sébastien Poncet. Ils ont annoncé une redistribution de 25 millions, mais ce n'est que la ristourne de lait 2016 qui doit être payée en juin. De plus, cette ristourne, ça fait deux ans qu'ils ne nous la donnent pas en argent, mais en parts sociales ! » Les producteurs entendent donc « mettre la pression » sur la coopérative, quitte à menacer d'appeler au boycott de ses marques. « Le but, c'est que les prix augmentent tout de suite, pas en septembre ! », lance le président des JA.
Autre axe de la mobilisation professionnelle : interpeler les députés élus le 18 juin en vue des états généraux de l'alimentation prévus début juillet. « Il va y avoir plein de nouveaux députés novices en politique : à nous de leur expliquer notre façon de voir avant qu'on leur en explique une autre en haut lieu », résume Sébastien Poncet. Officiellement, ces états généraux doivent « inciter les producteurs à se regrouper pour vendre ensemble » et conduire à ce que que « filière par filière, on trouve l'organisation qui permette à chacun d'avoir un vrai partage de la valeur ajoutée », a annoncé Emmanuel Macron le 9 juin dernier.
Exception agriculturelle
Pour les responsables professionnels isérois, les états généraux de l'alimentation doivent d'abord et avant tout parachever le travail engagé dans le cadre de la loi Sapin II. Car la loi a été votée, mais elle n'est pas appliquée partout, comme l'a récemment rappelé l'Observatoire de la formation des prix et des marges. Le président de la FDSEA de l'Isère veut profiter de la tribune nationale pour faire reconnaître que l'alimentation constitue une « exception agriculturelle ». « Elle a une valeur intrinsèque qu'il faut protéger, estime Pascal Denolly. Elle ne doit pas être traitée de la même manière que le reste de l'économie. L'alimentation répond à un besoin essentiel de l'homme, comme celui de se loger ou de vivre en sécurité. A nous de profiter de ces états généraux pour le dire et faire entendre la voix des fermes plutôt que celle des firmes. »