Les Vals du Dauphiné sous pression

En dix ans, la population des Vals du Dauphiné s'est accrue de 27% pour flirter avec les 60 000 habitants en 2010. Cette tendance devrait perdurer et les statisticiens de l'Insee prévoient une population de 87 800 habitants en 2040. L'étude que vient de publier l'Institut national de la statistique décrit donc un territoire en pleine mutation économique liée à la périurbanisation. Un territoire partagé entre ruralité et attractivité des pôles urbains, étant donné son équidistance de Grenoble, Chambéry et Lyon. « Depuis 20 à 25 ans, nous voyons affluer des personnes auparavant résidentes de la ville nouvelle qui ont souhaité glisser vers des territoires perçus comme plus ruraux, sans pour autant être trop éloignées de leur lieu de travail. Les déplacements pendulaires sont une réalité, confirme Daniel Vitte, maire de Montrevel, président du syndicat mixte Vals du Dauphiné expansion. Des terrains à bâtir abordables, des paysages préservés et de solides infrastructures routières et ferroviaires expliquent l'attractivité des Vals du Dauphiné.
Résidences secondaires et assainissement
Ce qui frappe dans l'étude de l'Insee, c'est, qu'en dépit du fort accroissement démographique, la pression foncière semble limitée. Pour preuve, les terres agricoles, n'ont pas été impactées par l'arrivée de nouvelles populations. La SAU reste stable autour de 20 800 hectares en 2010. Dans le même temps, le nombre d'exploitations a baissé de 794 à 525. Miracle foncier ? Bombe à retardement ? Nombre de résidences secondaires, notamment dans la vallée de la Bourbre, ont été transformées en habitat principal. Et si 76% des résidences principales sont individuelles, l'Insee pointe clairement le fait que « sous l'effet d'une pression foncière accrue, l'habitat individuel groupé augmente » (30% sur la période). Autre facteur de maîtrise du foncier, les progrès faits en matières de systèmes d'assainissement ont permis à de nombreuses communes rurales de réduire la taille des parcelles constructibles, indique Daniel Vitte. En une dizaine d'années, les surfaces imposées par les règlements d'urbanisme sont passées de 2 500 ou 2 000 m2 à 1 000 m2.
Vente directe et grignotage
Mais cette maîtrise du foncier de circonstance semble fragile. « Des Plu* et le Scot* ont permis de faire prendre conscience des problèmes liés à l'arrivée de populations nouvelles, avec de nouvelles exigences, l'émergence de problèmes de voisinages, la perte de terres agricoles et la proximité de zones d'habitation et de corps de ferme. Aujourd'hui, le phénomène se ralentit un peu, en raison de la crise économique, de la difficulté à obtenir des prêts, de la rareté de l'offre et de la meilleure sensibilisation des élus et des agriculteurs », explique Didier Villard, élu de la chambre d'agriuclture et président du comité de territoire Terravald.
A Saint-Didier-de-la-Tour, la ferme de la Cassole est directement concernée par ces mutations de territoire. D'un côté, la croissance démographique booste la vente-directe, un virage que les exploitants ont pris en 2009 suite à la crise laitière, d'autre part, en tant que fermiers, ils assistent impuissants au grignotage de leurs parcelles. « Nous cultivons 45 hectares. Tous les ans, il y a un petit bout qui s'en va. Cette année, c'est un hectare prélevé dans un triangle en bord de route. Ce qui laisse deux petites parcelles qui n'ont pas du tout le même potentiel. Les maisons se rapprochent de notre activité, ce qui pose des problèmes au quotidien. Par exemple, cela limite les surfaces d'épandage. En respectant un périmètre de 100 m autour des maisons, on arrive rapidement à 4 à 5 hectares non épandables. On se trouve donc contraint en surface et en potentiel de production. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de profiter de l'arrivée de ces nouvelles populations pour faire de la vente directe et transformer notre lait », explique Frédéric Jacquet, qui a vu partir environ cinq hectares depuis qu'il a repris la ferme familiale. « Heureusement, j'ai pu retrouver quelques parcelles, mais je sais que celle de 5,3 hectares, au village, sautera un jour ou l'autre.» L'exploitant reconnaît cependant la prise de conscience des élus « pour préserver des zones agricoles ».
Action concertée
Car l'équation se pose en ces termes pour Pascal Payen, président de la communauté de communes des Vallons de la Tour, une des quatre intercommunalités des Vals du Dauphiné : « Comment préserver le caractère rural et le maintien d'une agriculture tout en ayant un développement harmonieux à la fois économique et en termes d'accueil des populations ? » Les élus savent que la réponse réside dans les PLUI* « qui permettront de maîtriser le développement démographique et l'aménagement de l'espace ». Dans un premier temps, cela passe par une charte de pays qui implique toutes les communes et les intercommunalités dans des actions concertées d'aménagement, afin d'éviter l'éparpillement et le préserver les paysages et les espaces agricoles. « Le Scot nous a aidé à effectuer, depuis 5 ou 6 ans, ce travail de réflexion en amont. » Pascal Payen croit en la dimension intercommunale pour aborder ces problématiques. La préservation du caractère rural des Vals du Dauphiné ne se limite pas à la préservation du foncier mais appelle une réflexion des plus larges qui va du développement économique concerté avec des zones d'activités pensées à l'échelle intercommunautaire, à la création d'une offre touristique, en passant par la mise à disposition des services et des infrastructure nécessaires.
Isabelle Doucet
Plu(i) : Plan local d'urbanisme (intercommunal). Il doit être compatible avec le scot.
Scot : Schéma de cohérence territorial. Le Scot Nord-Isère a été approuvé en décembre 2012
Infrastructures
« Ce n'est qu'un demi-diffuseur »
Le demi-échangeur autoroutier, à l'Est de la Tour-du-Pin, ouvrira son péage d'ici à la fin de l'année. Il permettra de fluidifier de trafic à la sortie du bourg pour les automobilistes arrivant ou repartant vers Lyon. Il fait donc partie de ces infrastructures rendues indispensables par le développement du trafic dans le secteur. La création de ce demi-diffuseur et le passage en deux fois trois voies de l'A43 a fortement impacté les terres agricoles, notamment celles de la Ferme Verdel à Saint-Didier-de-la-Tour, dont les parcelles sont situées de part et d'autre de l'autoroute. La SAU de la ferme est ainsi passée de 88 à 81 hectares, dont 1,5 hectares perdus en pleine propriété. « Le demi-échangeur a été posé au centre d'une parcelle. Et sur 12 kilomètres, d'un bout à l'autre de l'élargissement, ce sont 10 à 15 mètres qui ont été prélevés tout le long des parcelles, constate Stéphane Verdel, l'éleveur laitier concerné. Hormis ses terres, ce qu'il regrette surtout, c'est la manière. « Je n'étais au courant de rien jusqu'à ce que les géomètres arrivent ». L'exploitant reconnaît s'être senti seul. « On ne négocie pas avec Aréa », glisse-t-il. 80 centimes par mètre carré à l'expropriation et 4 à 6 euros par m2 d'éviction. « J'ai aussi perdu une partie des bâtiments : une stabulation, une grange et une maison ». Au prix des domaines, il lui en est revenu 145 000 euros. De quoi financer le tiers de la nouvelle stabulation. « J'ai eu beaucoup de promesses. J'aurais dû passer devant un notaire. J'ai fait confiance », regrette-t-il. « Mais le pire, c'est d'en avoir bavé pendant un an, à ne pas pouvoir faire son travail. J'ai dû totalement changer mes assolements, je ne pouvais plus passer pour travailler mes parcelles. Je vais me battre pour pouvoir être indemnisé ». Stéphane Verdel ne comprend pas : Pourquoi une desserte a été tracée en plein milieu de son champ ? Pourquoi les terres restituées sont si dégradées ? Pourquoi tellement de terrain a-t-il été prélevé ? « Je commence à voir la fin », soupire-t-il en se disant que « ce n'est qu'un demi-diffuseur, qui dit que dans 4 ou 5 ans, il n'y aura pas un échangeur complet ? »ID
Les Vals du Dauphiné en chiffres
En 2010, le territoire des Vals du Dauphiné compte 58 500 habitants répartis dans 39 communes dont 16 sont rurales. Les nouveaux habitants sont majoritairement des couples avec enfants, dont plus de la moitié ont entre 25 et 39 ans. Ils sont généralement plus diplômés et occupent des emplois de cadres ou de professions intermédiaires. 52% des actifs travaillent en dehors des Vals du Dauphiné et plus de la moitié en direction de Lyon. Les enjeux du territoire sont la maîtrise du foncier, la préservation de l'environnement, la cohésion sociale et le maintien du caractère rural.
Dans ce secteur, les terres agricoles couvrent 75,4% de la surface totale, elles ont peu évolué en 10 ans. Avec 525 exploitations en 2010, l'agriculture, occupe 3% des emplois. Les fermes pratiquent surtout l'élevage et la culture de fourrages et de céréales.