Mutualiser pour mieux approvisionner

Rue des Alliés, une immense pancarte blanche a fait son apparition : le Min de Grenoble s'affiche désormais comme « halle centrale des métiers de bouche ». Du nouveau sous la voûte ? Presque... Depuis le printemps dernier, son directeur, Bernard Colonel-Bertrand, se démène comme un beau diable pour remettre à flot son navire. Mais faire revenir du monde sous la voûte implique de connaître les attentes et les besoins précis des professionnels susceptibles de la fréquenter. Sollicitées par le Min, les chambres consulaires ont réalisé deux enquêtes, l'une analysant les pratiques d'approvisionnement en fruits et les légumes des « artisans alimentaires », l'autre identifiant les attentes des artisans et commerçants des métiers de bouche. Les résultats de ces études ont été présentés aux professionnels le 19 novembre : ils sont instructifs à plus d'un titre.
Intérêts divergents
Premier enseignement : les professionnels souhaitent unanimement voir se développer la vente de produits locaux, notamment en circuit court. La demande des clients est forte : reste à la satisfaire. C'est là que les ennuis commencent. Car les intérêts des uns ne concordent pas forcément avec ceux des autres... Dans l'enquête menée par la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Grenoble (1), « plus de 50% des distributeurs considèrent que les prix des producteurs locaux sont équivalents à ceux des autres fournisseurs », et 18,4% les estiment même moins chers. Ces produits sont souvent vendus par les producteurs, mais sans transiter par le marché de gros. Pourquoi ? Nombre de maraîchers arguent qu'ils préfèrent fournir leurs clients eux-mêmes, voire vendre leurs produits sur les marchés ou dans leurs exploitations : c'est plus rémunérateur que de passer par un grossiste.
Mais comme rien n'est simple, les distributeurs se plaignent également que certains producteurs leur font de l'ombre. « A Seyssins, un magasin de producteurs s'est ouvert. Il vend le bleu de Vercors-Sassenage à peine deux euros de plus que le prix vendu en gros à la laiterie Gilbert, grossiste au Min, s'insurge Maxime Lafranceschina, gérant de Charly Primeurs à Seyssinet-Pariset. Après, nous, les détaillants qui nous fournissons chez Gilbert et devons faire notre marge, nous passons pour des voleurs ! » Réaction du directeur du Min : « La vente directe doit être réfléchie. Le producteur doit se donner une zone où, déontologiquement, il s'interdit de vendre lui-même ses produits. S'il fait de la concurrence déloyale au détaillant qui a fait connaître son produit, il coupe la branche sur laquelle il est assis. » Michel Guillerm, maraîcher à Tullins qui fournit le Min, temporise : « Pour moi, il y a de la place pour tout le monde, mais à condition que chacun reste à sa place. »
Dénicher des nouveautés
Il y a même la place même pour de nouveaux producteurs puisque, toujours selon l'enquête de la CCI, « 80% des distributeurs souhaiteraient être sollicités par les producteurs » afin de découvrir de nouveaux produits. Ils déclarent en effet méconnaître l'offre et manquer de temps pour dénicher des nouveautés. Avis aux intéressés... Cela étant, quand les distributeurs mettent en rayon des produits locaux, l'espace qu'ils leur réservent est souvent très réduit. Or, paradoxalement, ces mêmes distributeurs reconnaissent que la vente de produits locaux contribue à valoriser leur enseigne...
L'enquête de la CCI met donc en évidence un potentiel de progression important du côté des distributeurs. Pour ce qui est des artisans des métiers de bouche - traiteurs et restaurateurs -, la demande est également forte. Nombreux sont ceux qui se disent prêts à (re)revenir faire leurs achats rue des Alliés, mais qui ne trouvent pas, pour le moment, ce qui leur faut. C'est là que le Min de Grenoble a une carte stratégique à jouer. Les artisans sont actuellement tous « condamnés » à faire leurs courses dans les magasins de vente en gros de type Promocash ou Métro. Souvent à contrecœur. « Moi, je veux bien venir au Min s'il y a d'avantage d'offres, déclare Franck Marchetta, traiteur itinérant, gérant du « Bonheur est sur la table ». Pour le moment, je suis obligé d'aller chez Métro. J'y trouve tout ce dont j'ai besoin, mais c'est loin et les produits ne sont pas forcément de qualité, notamment pour les fruits et légumes. »
Mutualiser les livraisons
L'autre étude, menée par la chambre des métiers au début de l'été (2) auprès des professionnels des métiers de bouche, révèle que la plupart utilisent des fruits et légumes frais dans leurs préparations. Et qu'ils privilégient les articles produits localement. Les artisans qui ont répondu à l'enquête déclarent se fournir chez des grossistes et des primeurs. Mais 57% d'entre eux rencontrent des difficultés dues « à la méconnaissance des fournisseurs, aux volumes d'achats minimum à atteindre trop important et à la maturité des produits ». D'où l'intérêt de mutualiser les commandes auprès de professionnels compétents... Mieux encore : 80% des artisans se déclarent intéressés par le développement de leur approvisionnement en fruits et légumes produits localement. « A condition d'avoir de vraies factures et pas des torchons! », tonne René Mas, de l'Umih 38 (3). D'où l'intérêt d'une plateforme logistique alimentaire, proposant un grand choix de produits locaux de qualité, raisonnables de prix, combiné à un système de livraison performant. Exactement ce que cherche à mettre en place le directeur du Min lorsqu'il évoque l'amélioration de l'offre de services et la « mutualisation des livraisons ». Et pour ceux qui souhaitent venir sous la voûte faire leurs achats eux-mêmes, Jean Bossy, gérant du Chardon bleu, suggère une extension des plages horaires. Une idée à cultiver ?
Marianne Boilève
(1) Questionnaire envoyé à 330 distributeurs de l'Isère (primeurs, commerces non sédentaires, superettes, GMS et grossistes), avec un taux de réponse de 27%.
(2) Enquête menée auprès de 2 373 entreprises relevant de « l'activité artisanale alimentaire », avec un taux de retour de 2,3%.
(3) Union des métiers et des industries de l'hôtellerie de l'Isère.
Voir également à ce propos dans ce site :