Pommes : les producteurs en compote

Bonne nouvelle : la récolte de pommes est excellente. Alors que la production nationale est en repli de 3 %, la région Rhône-Alpes annonce de jolis résultats « avec des rendements élevés en toutes variétés », des fruits « colorés et de calibre élevé ». Chez Metral Fruits, à Chanas, on confirme : « Nous avons une grosse récolte : plus 30% par rapport à l'année passée », indique le dirigeant de l'entreprise, Christophe Soulhiard qui précise que « la qualité est très bonne », même si les Pink Lady manquent encore un peu de couleur... Même son de cloche chez les producteurs, comme les Thévenas, arboriculteurs à Saint-Maurice-l'Exil, qui estiment que certaines parcelles ont donné 20 à 30 % de plus que l'an dernier. Comparés aux - 24 % des producteurs aquitains, les Isérois devraient donc avoir le sourire. Mais la bonne nouvelle est sérieusement écornée par l'effondrement des prix.
« Le marché est à plat, constate Jérôme Jury, producteur à Saint-Prim. Aujourd'hui, on pratique des prix entre 50 et 70 centimes à la cotation. » Pour la « pomme industrie », les prix cinq à sept fois plus bas. « On nous annonçait même deux centimes le kilo début septembre », se désole Françoise Thévenas. « En moyenne, durant les deux premières décades d'octobre, je vendais 62 centimes, prix net expédié. Et encore... je fais partie de ceux qui vendent bien », reprend Jérôme Jury. Quand le coût départ s'élève à 75 centimes. Cherchez l'erreur...
Concurrence européenne
L'anomalie n'est pas propre à l'Isère : le marché est difficile partout. « Les cours sont nettement au dessous de la moyenne sur cinq ans, à la même époque, dans la continuité de l'érosion observée en fin de campagne précédente », analyse une note de conjoncture Agreste parue début octobre. Problème conjoncturel ? Pas seulement. Certes, la crise actuelle s'explique en partie par l'abondance de la récolte européenne cette année et les méventes de la saison 2013 (fin septembre, les stocks de pommes sont supérieurs de 38% à ceux de 2013 à la même période). Mais elle a surtout des causes structurelles : concurrence des pommes étrangères produites à moindre coût, hausse de la production européenne et affaiblissement des marchés à l'export, le tout sur fond d'embargo russe. La hausse régulière des productions originaires des pays d'Europe de l'Est, à commencer par la Pologne qui exportait près de la moitié de sa production vers la Russie jusqu'à ce que l'embargo soit décrété, n'est pas sans conséquence sur un marché européen en quête de débouchés. Et pour pimenter le tout, s'invitent les pays du nord de l'Europe que ce soit l'Allemagne, le Royaume-Uni ou dans une moindre mesure le Benelux, qui tous reviennent en force après le déficit de production enregistré l'an dernier.
Assouplissement des critères
Fin septembre, lors de la rencontre avec les représentants nationaux du secteur des fruits et légumes, Stéphane Le Foll avait annoncé un train de mesures pour accompagner le secteur et restaurer sa compétitivité. Un dispositif de soutien de marché (retrait, destruction des surplus, dons aux associations, non récolte...) et des mesures exceptionnelles d'allègement de charges sociales, bancaires et fiscales ont été annoncés « pour permettre aux exploitants de passer ce cap difficile ». Sur le terrain, la rencontre au sommet s'est traduite par des réunions de crise en préfecture, au cours desquelles ont été détaillées lesdites mesures, notamment la mise en place d'un fonds d'allègement de charges (FAC), des prêts de trésorerie et un report, voire une prise en charges de cotisations sociales. Le problème, c'est qu'en Isère, les exploitations éligibles à ce type d'aide sont très peu nombreuses, étant donné les critères retenus (70% de spécialisation en fruits et légumes et 30 % de diminution de chiffre d'affaires). Selon une simulation du CER France, seules 12 exploitations en fruits et 15 en légumes (hors noix et fraises) seraient éligibles. « Concernant la spécialisation et le chiffre d'affaires, nous avons obtenu du ministère d'aller vers des niveaux inférieurs : les critères vont être assouplis », assure Valérie Isabelle, chef du service agriculture et développement rural à la DDT de l'Isère. Une annonce qui fait presque sourire les producteurs. Quoiqu'il en soit, le montant de l'aide sera plafonné à 15 000 euros glissant sur trois ans. Une goutte d'eau pour des entreprises dont les chiffres d'affaires oscillent entre 500 à 700 000 euros et qui réclament avant tout une exonération de charges sociales pour redevenir compétitives. Quant aux plus petites structures, elles seront sûrement exclues du dispositif...