« Réinventer une agriculture plus autonome »

Le Pays voironnais avait invité le journaliste scientifique Vincent Tardieu pour débattre d'agroécologie et des enjeux liés à l'évolution des pratiques agricoles. Les intervenants, dont l'agriculteur de Rives Max Gros-Baltahzard, engagé depuis 15 ans dans les techniques de conservation des sols, se sont penchés très concrètement sur l'avenir de l'agriculture dans la voie de l'agroécologie, se demandant si elle pouvait nourrir les sociétés tout en permettant aux agriculteurs d'en vivre.
Vincent Tardieu a mené une enquête de deux ans, interrogeant 140 agriculteurs et professionnels du milieu agricole. De ces entretiens, il tire un premier constat : en général, les agriculteurs prennent le chemin de l'agroécologie davantage pour des raisons économiques que par conviction. Endettement, concentration des fermes, baisse du nombre d'exploitants : l'agriculture a dû chercher de nouvelles voies. Certes. Mais le deuxième constat du journaliste scientifique est qu'il est difficile pour un agriculteur de partir seul. Le réseau est déterminant. Il faut en effet s'affranchir à la fois des exigences de l'agroécologie et du regard de ses pairs (quand ce n'est pas celui de ses pères). Cette rupture culturelle et culturale peut se mener en fréquentant des regroupements d'agriculteurs.
Logique économique
Et puis, dans le cadre du paysage normatif, les lignes ont bougé. Le paquet pesticide européen de 2011 supprime les substances les plus dangereuses et prévoit le passage des pays de l'Union européenne en protection intégrée d'ici à 2014. Décidé par le Grenelle de l'environnement, le plan Ecophyto 2018 vise à diviser par deux l'usage des pesticides en France d'ici à 2018. Sans oublier les formations Certiphyto, qui, depuis 2009, garantissent les bons usages des produits phytosanitaires par les professionnels. Mais aussi le réseau de fermes Dephy, qui regroupe déjà 1 900 exploitations de démonstration.
Pour relancer le plan écophyto, le journaliste scientifique a relevé certaines pistes comme la fixation d'objectifs par bassins de production, la valorisation des itinéraires de protection intégrée, la mise en place d'une fiscalité incitative et l'amélioration du conseil agricole. Il souligne au passage le conflit d'intérêt que doivent dépasser les coopératives, dont une partie du chiffre d'affaires est issu de la vente de produits phytosanitaires, à l'encontre de préconisations d'itinéraires peu consommateurs de ce type de produits. « Il y a une logique économique à revoir », juge-t-il. Ce que confirme Honorine Périno, biologiste et réalisatrice de documentaires scientifiques : la production de connaissances, notamment sur la question des auxiliaires, ne remonte pas jusqu'aux agriculteurs, elle emprunterait davantage des circuits commerciaux, au départ des laboratoires. « Il n'est pas normal que le conseil agricole ne soit pas fait par des indépendants », regrette Max Gros-Balthazard, peu étonné que l'agroécologie intéresse peu les sociétés commerciales.
Ingénierie de l'écologie
Entre-temps, le concept anglo-saxon d'agriculture en protection intégrée, a fait son chemin. « Il met l'accent sur l'autonomie des systèmes de production », indique le journaliste. Son principe porte sur l'utilisation de processus naturels au service des agrosystèmes. Entrent ainsi en scène les insectes auxiliaires régulateurs des nuisibles. Ces techniques alternatives au conventionnel, mais aussi au biologique, car elles ne s'interdisent pas le recours, si nécessaire, aux insecticides, portent un regard attentif sur le fonctionnement de l'écosystème, privilégiant l'habitat des auxiliaires, utilisant des techniques combinatoires entre le choix des espèces, leur conduite, la connaissance et le travail des sols, bref, mettant en œuvre « une véritable ingénierie de l'écologie. Il n'y a pas de recette toute faite, c'est le résultat de beaucoup d'expériences et de leurs applications ». En France, ce type d'agriculture a ses partisans, qui pratiquent notamment le non labour. Le journaliste affirme qu'en 2006, pas moins de 34% des terres céréalières et oléagineuses n'étaient pas labourées. Non labour, semis direct, semis sous couvert, labour superficiel, l'objectif des exploitants reste le même : celui de la protection des sols et de l'affranchissement du désherbage chimique.
Honorine Périno, ne fait aucun doute de la prise de conscience actuelle du monde agricole. « Le changement vient de la disponibilité des outils, ce qui demande une organisation, l'existence d'une filière et des moyens », constate-t-elle. Ce que confirme Vincent Tardieu : la crise inciterait chacun à réfléchir au moyen de réduire ses coûts de production. Le naturaliste Hugues Mouret, explique que la chambre d'agriculture du Rhône a mis en place un programme pour accompagner les changement de production, en levant les freins sociétaux et en actionnant les leviers techniques. Car un changement d'orientation suppose souvent de voir le chiffre d'affaires de l'exploitation baisser... largement compensé par des bénéfices supérieurs. « Il y a un équilibre à trouver. Il faut donner aux agriculteurs les moyens de convertir peu à peu leurs exploitations, agir par paliers. » Il reconnaît que la prise de risque peut être importante et que « l'on demande une révolution à des gens déjà accablés par des coûts sociaux professionnels ».
Car la question des revenus agricoles est déterminante. « Nous travaillons beaucoup trop par rapport à la moyenne de la population et nos revenus ne sont pas à la hauteur », résume Max Gros Balthazard. « Nous avons besoin de réinventer une agriculture plus autonome et moins dépendante des flux d'intrants de matières premières », commente Vincent Tardieu. C'est aussi la question de la vérité des prix agricoles. « Tant qu'il n'y a pas d'unification des charges sociales et du revenu agricole au niveau de l'Europe, l'agriculture ne s'en sortira pas », ajoute Vincent Tardieu.
Le journaliste conclut en expliquant que, la clé du changement réside dans la mise en cohérence des politiques publiques. « La boîte à outils est assez développée. Mais il manque de cohérence entre la politique et l'économie ». Il pointe d'ailleurs le décalage des systèmes de formation initiaux, encore trop éloignés des itinéraires de l'agroécologie.
Isabelle Doucet
Rives / Max Gros-Balthazard pratique depuis 12 ans une agriculture de protection des sols et s'en explique.
«J'obtiens les mêmes rendements qu'en agriculture intensive»

Mais il est certain d'une chose : « Lorsqu'on remet de la biodiversité dans les parcelles, on ne s'expose pas à une catastrophe majeure ». Il n'a pas vu de pucerons et les taupins se font rares. Quant au regard des voisins, il s'en f... ! « Lorsqu'on décide de travailler comme ça, il faut se blinder. Quand j'ai commencé, beaucoup se moquaient. J'entendais dire : « Non, moi je travaille comme il faut, je laboure ». Moi, mes champs sont moins nets et moins propres, mais avec un faible niveau d'intrants, j'obtiens les mêmes rendements qu'en agriculture intensive. » Dans ses parcelles de blé et de maïs, l'agriculteur obtient ainsi des rendements de 70 à 80 quintaux par hectare. « Mais surtout, on constate que la quantité de CO2 captée dans le sol est énorme. Je pensais qu'elle s'établirait à 1 ou 1,2 tonne/ha et je m'aperçois que c'est plutôt 4 à 5 tonnes/ha ! L'agriculture serait donc capable de faire baisser de 40% les problèmes de CO2 rien qu'avec des couverts végétaux ? » Pour l'exploitant, au regard des prévisions alarmistes concernant le réchauffement climatique, il faudrait changer les pratiques rapidement.(1) Claude Bourguignon, agronome français fondateur du Laboratoire d'analyse microbiologique des sols (Lams), un des premiers lanceurs d'alerte sur la dégradation des sols.
Pour en savoir plus :
- Le Monde traite de l'adaptation des agriculteurs aux nouvelles préconisations.