Renaissance des lacs matheysins

Dans les années 2000, riverains et pêcheurs portent l'alerte quant à la dégradation de la qualité des eaux des lacs de Petichet et de Laffrey en Matheysine. En effet, ces lacs aux usages multiples (hydroélectricité, eau potable, pêche, baignade) se doivent d'observer une qualité constante de leurs eaux. Si bien qu'en 2006, le Syndicat intercommunal pour l'assainissement des lacs de Laffrey et Petichet (Siallp) commande une étude pour la restauration de ces lacs. Celle-ci pointe une pollution d'origine domestique (réseau d'assainissement) et agricole. Sur ce dernier volet, deux types de pratiques sont au cœur de la réflexion : le lessivage des sols qui reçoivent des épandages de déjections organiques, et des pollutions ponctuelles dues au stockage des effluents à proximité du ruisseau des Moulins, qui alimente principalement les lacs. Ce ruisseau traverse le village de Cholonge avant de se jeter dans le lac de Petichet, lequel alimente ensuite le lac de Laffrey. L'affaire est confiée à la chambre d'agriculture chargée, avec la Commission locale de l'eau du Drac et de la Romanche (Cle), de dresser un état des lieux et de cibler les points d'amélioration. Neuf exploitations agricoles sont concernées et plus particulièrement deux situées à proximité du ruisseau des Moulins.
Trois fumières
« Tous les éléments ont été répertoriés. Les parcelles sensibles, à proximité des lacs ont été cadastrées et les conclusions de l'audit ont désigné comme indispensable la construction de fumières », indique Claude Zucchetti, le président du syndicat, vice-président de la Cle et conseiller municipal à Cholonge. Ces bâtiments étanches destinés à recevoir les effluents des élevage sont au nombre de trois et représentent un investissement total de 81 000 euros, en partie couvert par des subventions. Dans ce paysage matheysin, EDF est propriétaire du lac de Petichet, d'une grande partie du lac de Laffrey et des ouvrages hydrauliques afférents. C'est à ce titre et dans le cadre de programmes lancés par la Cle, que le producteur d'énergie s'engage à prendre en charge 49% des investissements, soit 41 000 euros. En cumulant les différentes aides, dont celle en principe octroyée au titre du Plan de modernisation des bâtiments d'élevage (PMBE), le reste à payer pour les agriculteurs devrait s'élever à 20% des frais engagés. Il est donc demandé à ces deux exploitants de construire trois abris de respectivement 160 m2, 140m2 et 60m2, constitués d'une dalle étanche, entourée de bardeaux et couverte d'un toit ceint de chéneaux pour ne pas que les fumiers se détrempent et coulent en direction du ruisseau. Les autres exploitations doivent quant à elles respecter un plan de déversement de façon à ne pas épandre à proximité des lacs.
Reste à payer
« Nous voulions sécuriser le système et être tranquilles », explique Jean-Pierre Reybreyend du SCEA Reybreyend, cogéré avec son frère Denis et son fils Jonathan. L'exploitation compte un troupeau bovin allaitant conduit en bio de 55 mères charolaises et un élevage d'une quarantaine de chevaux de selle. La surface agricole s'étend sur 179 hectares, dont 144 de prairies permanentes. L'agriculteur, qui est aussi président de la Fédération des alpages de l'Isère (FAI), sait que son exploitation est située en zone vulnérable. Pour autant ses installations pour les bovins, c'est-à-dire un bâtiment de 1050 m2 équipé d'une aire paillée intégrale, ont toujours été conformes. L'agriculteur a de toute façon pour habitude de sortir le fumier bovin après deux mois et de l'épandre en respectant les rotations. « Mais la construction de fumières était rendue obligatoire pour les chevaux en boxes dont nous ne pouvions pas épandre le fumier de moins de deux mois », reconnaît-il. Les associés décident donc de s'équiper de deux fumières pour assurer les besoins des deux élevages. La première, la plus petite, est attenante aux installations équestres. Elle sert de stock tampon ou de sécurité en cas d'enneigement. La deuxième, érigée à côté du bâtiment d'élevage, reçoit tous les effluents de l'exploitation. « Nous avons mené les travaux en autoconstruction, mais nous attendons toujours l'aide au titre du PMBE », rapporte Jean-Pierre Reybreyend.
Comme bien souvent dans ce type de dossiers, les subventions sont allées moins vite que les travaux requis. Notamment l'octroi de l'aide au titre du PMBE, décidée en avril 2012, et conditionnée par la réalisation des travaux avant fin juin 2012. « Ce qui était impossible car ne laissait ni le temps de déposer le permis de construire, ni de réaliser des plans », rappelle Claude Zuchetti. Reste donc cette subvention de 17%, toujours bloquée administrativement. Ce qui représente un reste à payer de 10 500 euros pour la famille Reybreyend et pour et 8 000 euros pour l'exploitation voisine.
Lacs et agriculture
Pour l'exploitant, la construction des fumières représente clairement un investissement non productif et consommateur d'espaces. « Nous jouons le jeu. Nous voulons être dans les clous. C'est une sécurité pour les chevaux et même les bovins. Mais nous sommes conscients de tout cela depuis longtemps, nous avons toujours eu une approche respectueuse de l'environnement. La pollution des lacs ne s'est pas faite du jour au lendemain. Il y avait beaucoup d'activité agricole autrefois autour des lacs ». Soucieux de bien faire les choses, l'agriculteur s'interroge cependant sur l'aberration de certaines règlementations, à l'image de celle qui interdit d'épandre des effluents à moins de 200 mètres du rivage, mais qui autorise les engrais chimique. « Cela pose la question de la productivité des parcelles autour du lac. Elles ne sont plus labourées. Ce sont de vieilles prairies qui s'étiolent ». Et contrairement à l'état des prairies, aujourd'hui, la qualité de l'eau des lacs est redevenue satisfaisante. Mais dans les profondeurs, qui peuvent atteindre 38 mètres, le manque d'oxygène est encore sensible. La restauration complète des eaux prendra encore 10 à 15 ans.
Isabelle Doucet
Pollution / Les trois petites communes de Cholonge, Laffrey et Saint-Théoffrey ont consentis des efforts financiers importants pour reprendre l'ensemble du réseau d'assainissement.Le lac s'asphyxiait
Les études menées entre 2000 et 2006 rapportent « une qualité médiocre » des eaux des lac de Petichet et de Laffrey en période estivale et soulignent « une forte désoxygénation en dessous de dix mètres ». La situation perdure depuis des dizaines d'années. Elle est encore plus sensible si la cote du lac baisse et en cas d'apports de polluants exogènes. Les lacs de Laffrey et de Pétichet sont menacés de fermeture à la baignade plusieurs jours durant les étés 2000 et 2001 en raison des pollutions et tombent sous le coup d'interdictions répétées de baignade au coeur des étés 2003 et 2004. Ces sites protégés (espaces naturels sensibles, zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique...) accueillent des baigneurs (10 000 par week-ends de juillet et août), sont fréquentés par les pêcheurs et servent à l'alimentation en eau potable pour la commune de Laffrey. Les principaux facteurs de risques identifiés sont : l'assainissement en cas d'incident sur les vannes à proximité des lacs, mais aussi agricoles, avec le lessivage des sols et l'exploitation d'élevages et enfin, routière en cas de pollution accidentelle.Sur le volet assainissement, les communes de Chologne, Laffrey et Saint-Théoffrey, via le syndicat d'assainissement des lacs (SIALLP), ont pris en charge la totalité de la réfection et de la reconstruction du réseau ces dix dernières années. Celui-ci ceinture les lacs et court sur une dizaine de kilomètres. Il se jette ensuite dans un réseau collectif intercommunal, géré par le Syndicat intercommunal d'assainissement Drac Isère (Siadi) pour être acheminé vers la station Aquapôle de la région grenobloise. Le montant des travaux s'est élevé à 3 millions d'euros et a bénéficié de 45% de subventions (région, département, Agence de l'eau, EDF, communauté de communes de la Matheysine, fonds parlementaire). Un nouveau tracé rend désormais possible la descente des eaux en gravitaire de Cholonge à Laffrey, permettant la suppression des pompes, principales sources de risque de refoulement des eaux usées vers les lacs. Les travaux ont été achevés en 2013.
ID