Structure multichapelle : un abri économique pour le troupeau

Vu de loin, ça a l'air d'une énorme serre à double nef, recouverte d'une bâche verte. Lovée dans la pente, la « serre » de Nicolas Rousset est en fait un bâtiment d'élevage d'un genre totalement inédit en Isère. Conçue à l'origine pour le maraîchage, cette structure légère de type serres multi-chapelles de plus de mille mètres carré abrite un troupeau de bovins qui s'apprête à y passer allègrement son deuxième hiver.
Vaches sous serre
Des vaches sous serre ? L'idée semble culotée. Mais pour Nicolas Rousset, éleveur à Vernioz, elle est le fruit d'une réflexion aboutie. Ayant repris l'exploitation de son oncle en janvier 2012, le jeune agriculteur dispose d'un troupeau de 70 bêtes et de 120 hectares de SAU. Avant même de s'installer, le jeune agriculteur comptait rationaliser l'exploitation à moindre coût. Son projet : réunir troupeau et fourrage en un seul lieu plutôt que de courir d'une étable à l'autre pour s'occuper des bêtes : « En faisant une recherche sur internet, j'ai découvert qu'il existait des bâtiments d'élevage légers, de type serre. Mais je me posais des questions sur leur résistance, notamment par rapport à la neige. Je suis allé en voir un dans la Nièvre : il y avait 60 cm de neige dessus. Ça m'a convaincu. »
Son projet en tête, Nicolas réfléchit à l'implantation de son bâtiment par rapport au vent, recense les entreprises capables de fournir une telle prestation. Il dessine ses premiers plans avant d'aller trouver le conseiller bâtiment agricole et d'élevage de la chambre d'agriculture. Séduit par le côté innovant et le faible coût du projet (47 euros le m2 contre 110 pour un bâtiment traditionnel), François Guillot lui emboîte le pas. Les deux hommes affinent le projet, anticipent l'évolution du troupeau, réfléchissent à la fonctionnalité du bâtiment, aux questions d'isolation, de ventilation, d'éclairage, de stockage. Ils calculent la surface par vache, le nombre et l'implantation des poteaux... Et les travaux commencent.
«Fait maison»
Le terrassement démarre en juillet 2012. Plus de 2 000 m3 de terre sont charriés. S'ensuit l'installation des éléments préfabriqués (murs maçonnés à mi-hauteur) et celle des prépoteaux, coulés dans 40 centimètres de béton. Nicolas Rousset participe activement aux travaux, ce qui réduit d'autant la facture finale : « La structure est intégralement montée par une entreprise, mais tout le reste c'est du « fait maison ». » En octobre tout est prêt pour accueillir l'équipe spécialisée dans le montage de la structure métallique. Pendant trois semaines, cinq professionnels jouent du tube poteau comme du mécano. Un poteau tous les 2 mètres 50 à l'extérieur, un tous les cinq mètres à l'intérieur. Les deux nefs en arceau sont posées (largeur modulable en fonction du projet : de 5 mètres 40 à 12 mètres 60), puis un film de protection, l'isolation (laine de verre de 80) et enfin la bâche plastique clipsée et tendue sur chaque bordure. Le raccordement entre les deux toitures ne pose apparemment aucun problème d'étanchéité : « Lorsqu'il pleut, toute l'eau est dirigée vers le nord par trois descentes de gros calibres, explique l'éleveur. En cas de pluie battante, on sent un peu d'humidité, quelques gouttelettes, mais il n'y a pas d'eau à l'intérieur. »
Ventilation
Côté ventilation, le bâtiment présente de belles performances, grâce notamment à des filets pare-vent à l'efficacité impressionnante. A l'extérieur, le vent souffle souvent à décorner les bœufs. A l'intérieur, rien. On entend juste le claquement des bâches qui recouvrent le foin entreposé à l'extérieur. Sur le flanc ouest, un film plastique monté sur un enrouleur, comme un store, permet de réguler la ventilation du bâtiment. L'éleveur est pleinement satisfait : « Ça ne condense pas. Quant à l'isolation, on a déjà eu moins 10°C dehors, mais à l'intérieur il faisait bon. Les abreuvoirs n'ont pas gelé. » François Guillot, qui a réalisé le test de visualisation des circuits d'air avec des fumigènes, estime cependant que « la vitesse d'air est excessive, mais il y a possibilité de calfeutrer un peu ».
Les vaches, elles, n'ont pas l'air de se plaindre. A défaut de soleil direct, elles jouissent d'un éclairage naturel grâce à la sous-face de toiture, blanche, qui diffuse la lumière du jour. Installées en contrebas du quai d'alimentation et de stockage du foin, elles foulent la terre battue et broutent de bel appétit. Le fond d'aire est paillé, ce qui accroît leur bien-être, mais nécessite de grandes quantités de paille et oblige à l'éleveur à mettre les bêtes au parc quand il s'agit de curer la litière (en attendant la stalle auto-nettoyante). Tout n'est pas encore fini. Les auges au sol ne sont pas encore posées, l'enrobé viendra plus tard. « J'attaque les travaux peu à peu, précise Nicolas Rousset. Pour l'instant, je n'ai pas tout maçonné, par choix : ça me permet de réaliser mes investissements progressivement. » Ce qui n'empêche pas l'agriculteur de mécaniser les tâches et donc de gagner un temps considérable : « Aujourd'hui, je suis tout seul pour m'occuper du troupeau, mais je ne passe qu'un heure sur un site, alors qu'avant je passais sept heures à cavaler entre cinq bâtiments. » Et si l'on peut s'interroger sur l'intégration paysagère et la durabilité du bâtiment (la bâche de couverture est garantie dix ans, mais, comme les filets, elle peut se changer), Nicolas Rousset, lui, ne reviendrait en arrière pour rien au monde.
Marianne Boilève
Pour aller plus loin
François Guillot, conseiller bâtiment agricole et d'élevage à la chambre d'agriculture de l'Isère, a réalisé un important travail d'analyse des atouts et des contraintes du «système serre multichapelle», passant en revue les différents aspects techniques (organisation intérieure des logements, ventilation, éclairage naturel, durabilité...). Il a également repris les plans de la stabulation libre, ceux des fondations et conduit une étude précise des coûts de construction.