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Tribune

« Tenez vos loups en laisse, moi je garde mes brebis »

Patrice Marie, berger de l'alpage du Jocou en Isère revenu de l'enfer du loup, témoigne de la dureté de son métier et de la souffrance de ses bêtes.
« Tenez vos loups en laisse, moi je garde mes brebis »

Alors que la saison d'alpage est finie, la cohabitation avec le loup reste d'une acuité particulière. Patrice Marie, berger salarié à l'alpage du Jocou, victime de plusieurs attaques cet été avec le troupeau qu'il gardait, lance un cri de colère et de désespoir.

« Ce titre sera probablement celui d'un livre que nous, bergers salariés, nous souhaitons écrire afin d'informer le public, qui, comme nous, apprécie la vie dans nos montagnes.
Informer pour d'écrire l'enfer des conditions de travail et de stress que génère la pression des loups dans nos alpages.
Nous sommes bien évidemment solidaires de nos employeurs, éleveurs qui sont en premier les victimes des prédations du loup, mais comment revendiquer, en fin de saison, les centaines d'heures passées de jour comme de nuit à lutter pour éloigner ces loups ?
Malgré des conventions collectives et des contrats de travail clairement établis au maximum d'heures que permet la législation du travail et des mesures de protection technique pour se protéger des prédations du loup, rien ne règle la progression des loups et des dégâts sur les troupeaux.

Couvrir les cadavres des brebis égorgées

Mais ...
Qui s'émeut de notre souffrance de berger quand suite à une attaque de loup(s) en pleine nuit, on se doit de cavaler dans les pentes de l'alpage durant une douzaine d'heures pour rassembler un troupeau affolé ? Puis après avoir teléléphoné aux autorités compétentes, encore remonter dans la montagne couvrir les cadavres de brebis égorgées (avant que les vautours n'interviennent) car il faut absolument que, dans les jours qui suivent, les gardes de l'ONCFS puissent identifier les causes : est-ce le loup ou pas ?
Chaque attaque nous plonge à chaque fois dans des cavalcades de trois à quatre jours à côtoyer et justifier la mort d'animaux que nous aimons.
Qui partage notre souffrance et notre peine quand on transporte sur notre dos une brebis agonisante dans l'espoir de la sauver, et qui, selon la profondeur des morsures, finira par crever quelques jours plus tard ?

 

Des jours passés à rechercher les cadavres des brebis.


Qui se soucie, encore en octobre, du désarroi des paysans qui ont manifestés en juillet ?
Qui s'émeut du pauvre couillon de berger qui, en quatre mois d'alpage effectue le même nombre d'heures de travail qu'un salarié à l'année ?
Qui s'inquiète de la disparition des paysans et des territoires orientés vers des animations de loisirs ?
C'est pourtant bien les réponses à ces questions que les citadins et les ruraux, ensemble, devront résoudre à l'avenir.

« Moi, je n'en peux plus »

Nous, ruraux, paysans, éleveurs, bergers, nous ne sommes pas des demeurés, des rustres repliés sur nos hectares d'air pur comme le racontent les partisans des loups dans leurs nombreux articles et revues.
D'ailleurs, Messieurs les pro-loup, je vous demande à l'avenir de venir abréger avec votre couteau, les souffrances des brebis agonisantes. Moi, je ne peux plus.
Et oui, question de sensibilité : nous, nos animaux dans la montagne, il vivent leur bonheur libres et heureux et nous le partageons.
Depuis longtemps et comme beaucoup de concitoyens, je m'interroge sur la place de la biodiversité et d'une agriculture digne de répondre aux attentes alimentaire de tous. Vous viendrez nous expliquer, Messieurs les pro-loup dans qu'elle usine ont produira cette alimentation saine ?

 

Sur l'alpage du Jocou, le troupeau a été éprouvé à plusieurs reprises.


Il faudra aussi que vous expliquiez le montant de 50 000 € que coûte chaque loup à nos concitoyens en difficulté, eux qui ne perçoivent que 6 000 € par an de RSA. Ou bien que vous parliez du manque de centaines de postes d'infirmiers(ères) qui font défaut dans les hôpitaux par manque d'argent public.
L'argent public, se fait rare de nos jours ! Où sont les priorités Messieurs les pro-loup ?
Et ce n'est pas fini : il va aussi falloir arrêter de mentir en permanence sur vos prétendues connaissances de l'origine des loups venant d'Italie.
Les 10 loups qui ont attaqué mes brebis à quatre reprises en pleine journée cet été, et tué seulement 12 brebis parce que j'ai fait face, la moitié d'entre eux n'avait rien à voir avec les loups d'Italie.
Les loups ont peur des humains vous dites. Les vidéos et les témoignages sur les attaques de loup en plein jour, leur stratégie face aux chiens de protection et notre présence rendra ridicule vos arguments fallacieux.

Manque à gagner

Malgré la pertinence des moyens et les mesures de protection mises en place, la progression des attaques et des brebis tuées reste en constante évolution. Et ce n'est pas fini !
Désormais, vous allez vous démerder pour faire financer (vous qui n'avez pas de vergogne de dépenses de l'argent public) aux moins quatre postes de berger par alpages (il y a du travail pour tous), plus un pour les fonctions de gardien des chiens de protection. Vous-mêmes affirmez qu'il faut un chien de protection par centaines de brebis (en moyenne 12 à 20 chiens par alpages).
Et vous dédommagerez également le manque à gagner des activités liées au tourisme car maintenant, il y a de moins en moins de randonneurs en montagnes à cause de la peur des chiens de protections et des loups.
Il sera aussi nécessaire de financer la construction de chalets d'alpage pour loger ces nouveaux bergers, ainsi que des centres d'accueil des chiens de protection pour la période hivernale, parce que dans les bergeries et les villages ces chiens, ils foutent la pagaille.
Vous racontez à qui veut bien le croire, par méconnaissance du monde agricole, que les dépenses liés aux loups sont essentiellement les indemnités versées aux éleveurs.
Nous, on va exiger que vous rendiez compte et publiiez les montants dépensés en études et suivis que génèrent vos actions de protection du loup.
Avec ce que, nous berger, revendiquons par dignité professionnelle, elle va finir par coûter très cher la préservation de vos loups dans une économie en crise.
Moi, il y a 40 ans, j'ai appris le métier de berger sur le Larzac aux côtés des paysans en lutte pour conserver leurs terres pacifiquement et convaincus de la non-violence. Nous avons gagné cette lutte.
Lutter et se battre pour défendre sa terre et son gagne-pain, le monde paysan a toujours eu et aura encore à l'avenir pour cette noble cause des arguments de plomb ! »

Patrice Marie