Traitement en nuciculture : « Sans les nuciculteurs, on ne peut pas avancer »

On aurait pu craindre un dialogue de sourds, on a eu une amorce d'échange. Lundi 5 février, près de 200 personnes sont venues assister au débat organisé par un collectif d'habitants de la Blache sur la question des traitements en nuciculture. La salle du conseil de la mairie de Vinay est pleine de riverains, d'élus et d'agriculteurs. A la tribune, trois nuciculteurs, épaulés par Ghislain Bouvet, coiffés de leur casquette de responsables professionnels, s'apprêtent à répondre aux questions du public : Jean-Claude Darlet, président de la chambre d'agriculture, Christian Mathieu, président de la Senura et Yves Borel, président du CING. A leurs côtés, Laura Bonnefoy, maire de Vinay et ancien médecin, Sylvia Vieuguet, la riveraine qui a pris l'initiative de la rencontre, Régis Barthe, producteur de plants et maraîcher bio à La Blache, inquiet pour sa certification, et le docteur Denis Barjhoux, généraliste à Vinay depuis 31 ans.
Inquiétudes des habitants
« J'introduis cette soirée par cinq mots : traitement des noyers, santé, inquiétude, mais débat apaisé », pose en préambule le médecin. Sylvia Vieuguet évoque les préoccupations des riverains des noyeraies et ce qu'elle attend du débat : « Comme beaucoup d'entre nous, je me suis inquiétée des traitements qu'il y avait dans les noyers. J'ai réuni des riverains, on s'est informé, on a discuté, mais sans les nuciculteurs, on ne peut pas avancer. On est là pour trouver des solutions qui conviennent à tout le monde, aux nuciculteurs, comme aux riverains. »
Ce cadre posé, la profession commence par expliquer ses pratiques. Objectif numéro 1 : faire de la pédagogie. « Il est important qu'on puisse échanger et que vous connaissiez ce que nous faisons », déclare Jean-Claude Darlet. Yves Borel ajoute : « On est souvent accusés de mal communiquer. J'espère que cette réunion permettra d'apporter des solutions. »
Ghislain Bouvet, conseiller technique à la chambre d'agriculture, entame son exposé par quelques rappels : « Il y a des choses que nous avons le droit de faire et d'autres que nous n'avons pas le droit de faire. Il faut savoir qu'un produit phyto, c'est comme un médicament : il y a une autorisation de mise sur le marché, des dosages, des délais avant récolte... » Le technicien explique qu'un traitement est raisonné en fonction de différents facteurs et de critères objectifs, comme l'efficacité, le coût, la persistance de l'action, le temps de travail et les préconisations, collectives ou individuelles.
Lutte alternative
Le propos est dense, mais accessible. Le conseiller poursuit en détaillant les maladies, les dégâts, les stratégies de lutte. Il passe en revue les méthodes de luttes alternatives, montre différents pièges et exhibe un confuseur sexuel. Il termine par un topo sur la mouche du brou et la lutte obligatoire qui a suivi son apparition en 2008. « On a négocié pendant cinq ans pour sortir de cette lutte obligatoire : pour les riverains comme pour les abeilles, c'est une catastrophe. » Et d'indiquer que le seul produit aujourd'hui efficace est un néonicotinoïde, « un produit qui peut poser problème ».
L'exposé à peine terminé, le docteur Barjhoux interpelle les professionnels sur la tendance à la monoculture : « C'est très bien qu'il y ait des noyers, mais pourquoi ne faire que ça ? La culture intensive, c'est de la sélection végétale, aussi des maladies qui se propagent. Du coup, on balance plus de produit, et on crée des résistances, comme en médecine ! » La réponse ne se fait pas attendre. « La noix est la seule production qui rémunère son producteur aujourd'hui », rétorque Jean-Claude Darlet, avant de préciser que « depuis 20 ans, la surface en noyer n'a pas évolué ». Eclats de rires dans la salle. Le nuciculteur a oublié de préciser qu'il parlait du verger AOP...
Pathologies
« Mais pourquoi vous n'installez les noyers pas au bord de l'Isère, où il y a de la place ? Pourquoi vous plantez à côté des maisons ? », lance un habitant qui pointe la dévalorisation des habitations sur le marché immobilier. Un maraîcher affirme quant à lui qu'à Grenoble, « les cancérologues expliquent que dans le secteur, on développe des cancers hormonodépendants. Ce sont des faits ! » Le docteur Barjhoux confirme la prévalence de certaines pathologies chez les nuciculteurs, notamment des cancers cutanés, hémotologiques et gastriques, tout en reconnaissant ne pas pouvoir avancer de chiffres précis. Son ex-consœur, Laura Bonnefoy, qui a exercé jusqu'en 2004, affirme n'avoir pas la même expérience et s'inquiète plus des cancers cutanés, dus à l'exposition au soleil. Le docteur Payan, spécialiste du cancer du sein, explique qu'il effectue des prélèvements depuis une dizaine d'années pour déterminer s'il existe un lien de causalité entre cancers et pratiques. Les travaux sont en cours.
La noix : une culture « qui marche »
« Je comprends les producteurs de noix : il faut qu'ils vivent. Mais ne pourriez-vous pas gagner votre vie avec d'autres cultures moins dangereuses ? », demande ingénument une habitante. Réponse cinglante de Cédric Mounier, producteur de lait et de noix à Vinay : « Vous dites qu'on fait de la monoculture ! Moi, je suis un des rares du secteur à élever des vaches laitières. C'est joli les vaches dans les prés quand on promène les gamins le dimanche. Mais je suis le roi des c... ! Vous avez vu l'émission Cash Investigation, la semaine dernière ? Vous avez vu comment on est traité ? Pourquoi n'y a-t-il plus d'éleveurs, à votre avis ? Parce qu'ils crèvent tous ! Alors quand il y a une culture qui marche, je comprends qu'on y aille ! »
Dans la salle, la charge ébranle quelques certitudes. D'un coup, la question se pose un peu différemment. Alex Brichet-Billet, éleveur et maire de Notre-Dame-de-l'Osier, enfonce le clou. « Le paysage se ferme, c'est vrai. On réfléchit aux moyens administratifs de limiter les vergers : il n'y en a pas. Dans le PLU, on évite de mettre les lotissements autour des exploitations. On a conscience du problème. Personnellement, ça fait deux ans que j'éprouve un certain malaise par rapport à mon métier. On pollue, on envoie nos vaches à l'abattoir. Mais si elles ne sont pas bien traitées, ça nous rend malade. Moi, je traite, mais je ne fais pas n'importe quoi. » Une jeune femme se présentant comme l'épouse d'un nuciculteur des coteaux prend à son tour la parole : « Je partage vos inquiétudes. J'ai deux filles. Moi non plus je ne veux pas être touchée par un cancer. Mon mari met en place des pratiques alternatives contre la mouche du brou. Nous ne sommes pas en bio, mais nous avons testé des choses, comme le piégegage écologique. La mouche, on peut l'attirer avec de l'urée. On a quelques solutions qui nous sortent du tout chimique. Mais c'est dur. On est tout le temps en équilibre. »
Des solutions existent. D'autres vont sans doute voir le jour. La Senura y travaille. « Mais la recherche demande du temps », insiste Christian Mathieu. Yves Borel évoque de son côté la publication d'un guide des bonnes pratiques d'ici le mois de juin. Le message a l'air de passer. En attendant, le public avance différentes pistes pour une meilleure cohabitation. Christian Nagearaffe, nuciculteur, suggère de constituer un groupe de travail sur la question. Des propositions de bon sens émergent : signaler les jours et les horaires de traitement, traiter la nuit, instaurer une distance de sécurité... Et la maire de Vinay de conclure par un constat : « Il faut que les gens se causent et s'expliquent. »