« Un mercredi noir pour l’agriculture européenne »
La Commission européenne a présenté sa proposition de budget, mercredi 16 juillet, en baisse de 20 %, pour la prochaine politique agricole commune ( Pac) post-2027, ainsi que sa proposition d’architecture. Les réactions de la profession agricole sont unanimement négatives !

La proposition de cadre financier pluriannuel (CFP) pour la période 2028-2034 de la Commission européenne se veut plus simple, plus flexible et « le plus ambitieux jamais proposé ». Sur les 2 000 milliards d’euros (Md€) de fonds qui constituent le prochain budget, en nette augmentation par rapport à 2021-2027, 293,7 Md€ seront directement fléchés vers les nouvelles aides au revenu des agriculteurs. Cela représente, néanmoins, une baisse par rapport à la période précédente d'environ 20 % (387 Md€, dont 270 Md€ pour les aides directes aux agriculteurs). « L’agriculture et la cohésion restent au cœur de notre budget », avait pourtant affirmé la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Il reste difficile, pour l’heure, d’évaluer la perte financière pour le secteur agricole, qui manifestait au même moment à Bruxelles, étant donné qu’une partie des outils a été sortie de cette enveloppe, comme l'initiative Leader, le programme de distribution de lait, de fruits et légumes à l'école ou Posei. L’exécutif européen promet que les règles de financement seront simplifiées, notamment en matière de paiements, de contrôles et d'audits.
La Pac au sein des plans nationaux et régionaux
Au niveau de l’architecture du CFP 2028-2034, la création des plans nationaux et régionaux par les États membres est confirmée. Ceux-ci représentent 48 % de l’enveloppe budgétaire (865 Md€). C’est au sein de ces nouveaux plans uniques que se retrouvera la Pac. Si la réserve agricole voit son financement doublé (à 6,3 Md€ pour la période, comprise dans les 300 Md€ aux agriculteurs), Bruxelles propose, par ailleurs, la mise en place d’un nouveau mécanisme de crise dédié, doté d'une capacité de prêts pouvant atteindre près de 400 Md€. L’idée est de disposer d’un fonds de réserve permettant d’accéder à des ressources supplémentaires disponibles uniquement en cas de crise. Concernant la promotion agricole, le commissaire européen à l’agriculture, Christophe Hansen, assure que les fonds seront « très importants ». La Commission européenne prévoit un mécanisme qui ajusterait l'enveloppe de la Pac sur l'inflation avec un déflateur de 2 % quand l'inflation se situe entre 1 et 3 %. Il sera ajusté à l'inflation réelle en dehors de cette fourchette. Enfin, dans le cadre du fonds pour la compétitivité, une enveloppe de 22,6 Md€ sera destinée à la santé, la biotechnologie, la bioéconomie et l'agriculture.
Bruxelles propose une vaste simplification
Au sein de la proposition de la Commission européenne pour l’architecture de la Pac, les deux piliers sont bien fusionnés dans un même ensemble de règles afin d’éviter les doublons. « Mais le deuxième pilier n’a pas disparu, ses outils ont été sauvegardés », promet Christophe Hansen. Bruxelles a également largement simplifié « le millefeuille » qu’étaient devenues les aides directes. Désormais, seuls deux dispositifs perdurent : une aide à l’hectare dégressive (- 25 % à partir de 20 000 euros jusqu’à un plafond de 100 000 euros) ; et des aides couplées pour lesquelles une limite a finalement été fixée (contrairement à ce que laissaient penser les premières fuites) à 20 %, contre 15 % actuellement. Le système de conditionnalité est entièrement revu : la définition des bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE) étant laissée à la discrétion des États membres. Mais, assure Christophe Hansen, « il y a des lignes directrices claires pour éviter 27 dispositifs trop différents ». Les aides environnementales, climatiques et en faveur du bien-être animal, sont aussi regroupées en un seul dispositif pour « s’écarter du prescriptif et passer à l’incitatif », précise le Luxembourgeois. Un autre système pour encourager les investissements dans des transitions volontaires est introduit et plafonné à 200 000 euros. Enfin, le commissaire européen se félicite que « 6 % du budget de la Pac devront être consacrés au renouvellement des générations », l’une de ses priorités.
Réactions unanimement négatives
Les propositions du commissaire européen à l’agriculture, Christophe Hansen, ont reçu, dans la foulée de leur publication le 16 juillet, un accueil glacial de la part des eurodéputés de la commission de l’agriculture à qui il est venu les présenter. C’est principalement la perte de 20 % du budget qui a fait l’objet des attaques des parlementaires, de tous bords politiques. L’autre critique principale qu'ils émettent : la renationalisation de la Pac qui aboutira à vingt-sept politiques différentes. Même son de cloche du côté des organisations professionnelles du secteur. Un « mercredi noir pour l’agriculture européenne », ont réagi les organisations et coopératives agricoles de l’Union européenne (Copa-Cogeca1) qui manifestaient parallèlement à la présentation devant les locaux de la Commission européenne. Le principal syndicat européen estime que l’exécutif démantèle les fondements mêmes de la Pac, citant notamment les coupes budgétaires, la dissolution des deux piliers ou la perte du caractère commun de la Pac. Le think tank Farm Europe, enfin, dénonce une trahison vis-à-vis des agriculteurs qui avaient manifesté dans les rues de Bruxelles au printemps 2024.
Source Agra
1 - Copa (Comité des organisations professionnelles agricoles de l'Union européenne), et la Cogeca (Confédération générale des coopératives agricoles).
Dominique Fayel : « Un mauvais départ pour la Pac »
Dominique Fayel, président du groupe viande bovine au Copa-Cogeca, était à Bruxelles mercredi 16 juillet. Pour lui, les États membres doivent se réveiller face à « une véritable dérive autocratique d’une présidente hors-sol ».

« Le budget global est certes en hausse à 2 000 milliards d’euros, mais le budget prévu pour l’agriculture (300 milliards) accuse une baisse de près de 20 % ! On ne peut voir plus mauvais signal pour un secteur absolument stratégique, mais totalement méprisé par Ursula von der Leyen. Au-delà des chiffres, le commissaire européen à l’agriculture, Christophe Hansen, a présenté devant le Parlement l’architecture de la future Pac. Il a dû affronter une véritable bronca de la part de députés de tous horizons politiques, excédés par la baisse du budget pour l’agriculture et de ne pas avoir été écoutés sur aucun des signaux envoyés par le Parlement ! Le « fond unique » est confirmé, ce qui signifie que l’agriculture ne sera pas traitée par des fonds spécifiques - le premier pilier et le développement rural –, mais dans un fonds regroupant l’ensemble des politiques historiques, Pac et cohésion, que les États géreront dans le cadre des plans stratégiques nationaux. Les 300 milliards seront toutefois fléchés, mais certaines actions historiquement dans le développement rural seront intégrées dans le « pot commun ». La part de cofinancement par les États (et/ou les Régions) est prévue à la hausse, à hauteur « d’au moins 30 % », pour autant qu’ils le veuillent ou qu’ils en aient les moyens dans le contexte actuel de restriction budgétaire. L’aide de base à l’hectare et les aides couplées restent financées à 100 % par l’UE. Le risque de disparité entre États selon leurs capacités financières est accru.
La philosophie de la Pac change
L’UE gérera moins directement et déléguera davantage l’exécution, mais restera fortement prescriptrice via une obligation « de performances » climatique, environnementale et sociale. Les mesures évoluent aussi. L’aide à l’hectare sera dégressive et plafonnée, ce qui pourrait ne pas être choquant même si l’agriculture familiale n’était pas concernée. Les seuils évolueront probablement dans les débats à venir… L’aide couplée est plutôt confortée dans son principe, avec un seuil relevé, le commissaire évoquant à ce propos l’élevage et les zones inconvertibles. Le paiement des zones à contraintes naturelles est maintenu. La gestion des risques et la réserve de crise sont renforcées. À partir de maintenant, la balle passe dans le camp du Conseil (des États) et du Parlement. Les États qui maîtrisent le budget, via les contributions, devront sortir du bois. Le Parlement, même s’il n’a pas de prise sur la partie recette, peut ne pas valider le budget. À partir de la rentrée, les parlementaires vont se saisir de la Pac pour l’amender et l’améliorer. Nos organisations nationales et européennes vont également tout faire pour retrouver une réelle ambition pour la Pac. Au-delà des chiffres, de l’architecture et des mesures, il y a un gros problème de fonctionnement à la commission. Ursula von der Leyen verrouille tout, le collectif des commissaires n’a que peu de prise sur les orientations, Hansen a été isolé. Quant au Parlement, au vu de sa réaction inédite, il ne fait guère de doute qu’il va challenger cet exécutif qui fait fausse route ».