« Un réseau mobilisé pour défendre les agriculteurs dans le budget »
Alors que les discussions sont engagées à l’Assemblée nationale sur le projet de loi de finances et celui de la sécurité sociale, Luc Smessaert, vice-président de la FNSEA, rappelle les lignes rouges et les principales mesures à concrétiser ou amender dans le texte.
Quel jugement portez-vous sur les mesures agricoles prévues dans le texte initial du projet de loi de finances 2026 ?
Luc Smessaert : « Compte-tenu de la situation politique actuelle, le projet de budget est examiné dans des circonstances inédites. Le fait que le gouvernement se soit engagé à ne pas avoir recours à l’article 49-3 nous ouvre des opportunités pour favoriser des mesures simplifiant la vie des agriculteurs, mais elle offre aussi des voies à d’autres pour alourdir encore notre barque administrative. Pour ce qui concerne la FNSEA, l’objectif est que ce projet aille dans le sens d’une juste rémunération du travail agricole, d’une ambition de souveraineté alimentaire durable et de la stabilité des politiques publiques françaises et européennes. Notre réseau a été très réactif pour faire remonter vers les députés nos propositions d’amendements afin que, dans les débats, on redonne aux agriculteurs la capacité de produire et donc de répondre aux enjeux de souveraineté alimentaire et de changement climatique. »
Quelles sont vos lignes rouges sur ce texte ?
L.S : « Il est hors de question que ce projet vienne détricoter des acquis obtenus de haute lutte. Nous refusons, en particulier, que ce texte rouvre le dossier biocarburant en sapant les soutiens à la filière. Non seulement les biocarburants contribuent à accompagner la transition énergétique, mais ils constituent une solution durable pour diminuer notre dépendance en protéines, qui est déjà passée de 75 à moins de 50 %. Les biocarburants représentent quatre usines de sucre (20 % du sucre français), 2 Mt de blé et constituent un débouché important pour les excédents de la viticulture. Ils ont permis à des agriculteurs de construire du revenu, par exemple grâce à la graine de colza ou de tournesol. Autre point sur lequel nous serons intransigeants : les redevances pollutions diffuses (RPD) sur l’eau et les produits phytosanitaires. Nous refusons que l’on rouvre ce dossier. »
Quelles sont les mesures que vous souhaitez prioritairement conforter ou ajouter à ce texte ?
L.S : « Le premier levier sur lequel nous souhaitons agir, c’est l’épargne de précaution. Nous nous réjouissons que la déduction pour épargne de précaution (DEP), qui permet aux exploitants de mettre de côté une partie de leurs bénéfices les bonnes années en la déduisant de leur résultat imposable, soit prorogée jusqu'au 31 décembre 2028. Grâce au travail de fond mené par la FNSEA et Jeunes agriculteurs (JA) depuis juin, des aménagements ont été apportés pour la rendre plus accessible. Mais nous souhaitons encore améliorer cette mesure en obtenant 70 % de réintégration en cas d'aléas économiques, comme nous l'avons pour le sanitaire et le climatique. Cela permettrait, par exemple, d’aider les producteurs de grandes cultures confrontés actuellement à des prix mondiaux inférieurs aux prix de revient ou aux viticulteurs menacés par les taxes Trump à surmonter des caps difficiles et d’éviter de se retrouver avec des EBE négatifs. Autre mesure du projet qui constitue une victoire syndicale importante : la neutralité fiscale sur les indemnités versées à la suite de l’abattage des troupeaux pour des raisons sanitaires. Nous souhaitons que le dispositif soit élargi à une exonération sociale et pas seulement fiscale mais aussi porté à deux années au lieu d’une afin de permettre aux éleveurs de reconstituer leur troupeau. Enfin, nous soutenons un amendement en faveur de la constitution d’une réserve spéciale d’autofinancement par les agriculteurs qui permette que les bénéfices agricoles restants sur l’exploitation ne soient pas assujettis à la MSA et puissent être investis dans l’outil de production. »
Quels sont vos points de vigilance sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale ?
L.S : « Nous veillerons à ce que les avancées obtenues se concrétisent bien. Nous avons obtenu une belle victoire avec l’application à partir du 1er janvier 2026 du calcul des 25 meilleures années pour ceux qui partent à la retraite. Nous serons attentifs à ce que l’application intervienne bien à la date prévue et que tous les agriculteurs bénéficient a minina de 1 220 € (85 %) du smic, sachant que la moyenne des retraites agricoles se situe aujourd’hui à 1 150 €. Nous souhaitons également profiter de ce texte pour modifier le calcul des cotisations MSA sur l’année N et non sur l’année N-1 et introduire une temporalité plus proche de la situation économique des entreprises. Ce serait particulièrement salutaire pour les secteurs en crise. Enfin, on nous l'avait promis dans la LOA promulguée au printemps dernier, de pouvoir accompagner par une préretraite les agriculteurs en difficulté à moins de cinq ans de l’échéance de manière qu’ils puissent transmettre leur exploitation à un jeune agriculteur. Cette mesure de passage de relais est également très attendue. »
Propos recueillis par Actuagri
Les députés appellent à une hausse du budget
Difficile de deviner à quoi ressemblera le budget 2026 du ministère de l’Agriculture en se basant sur ce qu’il s’est passé lors de l’examen pour avis de la mission Afaar (agriculture/forêt) par la commission des Affaires économiques, le 22 octobre. Dans une salle clairsemée, où la gauche a souvent rappelé qu’il ne s’agissait que d’un examen pour avis, les députés ont globalement demandé une hausse du budget du ministère de l’Agriculture, proposé en baisse de quelque 200 M€ par le gouvernement. Pour ce faire, la gauche et certains députés LREM ont appelé le gouvernement à « lever le gage », autrement dit à permettre des dépenses supplémentaires, ce qui n’était pas permis durant l’examen de ce projet de loi de finances. Faute de le pouvoir, les députés ont retiré des centaines de millions d’euros à des budgets généraux (Compétitivité et durabilité de l’agriculture) ou à celui du TO-DE, pour financer de nouvelles mesures (bio, fruits et légumes, haie, installation, PAT, fermes Dephy…). Jusqu’à l’absurde, puisque le budget du TO-DE a fini largement négatif à la fin des débats. On aura même vu un amendement du député Taupiac (Liot) de refléchage de l’enveloppe d’aides bio non utilisées cette année (estimée à environ 150 M€) être financé par l’enveloppe du TO-DE – alors qu’il n’appelait aucune dépense supplémentaire. Une majorité semble se dégager pour soutenir davantage la bio : « Mettons nous d’accord d’ici la séance pour acter d’un soutien à la bio sans déshabiller le TO-DE », a proposé le député UDI Thierry Benoit (Ille-et-Vilaine). Si la droite a proposé très peu de modifications du budget, le centre a été plus actif. Le député Fugit (LREM) a fait voter des amendements de hausse des budgets pour le plan souveraineté fruits et légumes (+ 75 M€), le Pacte pour la haie (+ 50 M€) et le programme Aita (transmission installation, + 16 M€), touchés par des baisses de financements depuis deux ans.