Une forêt insuffisamment renouvelée

C'est une véritable prise de conscience des risques à venir que les propriétaires forestiers de Belledonne ont voulu mettre en avant lors de leur assemblée générale fin mars à Theys. Et ce n'est pas parce que c'était la dernière AG du président Jean-Louis Rebuffet que la parole était forte. L'homme a toujours usé d'un style franc et direct tout au long de son mandat. Alors il fait un constat : « lors d'une conférence sur la bio-économie, l'intervenant a parlé de biomasse. Vous ne seriez plus des sylviculteurs, mais des ligniculteurs, relève-t-il. Mais non, nous n'entrons pas dans la forêt pour aller chercher de la lignine, mais du bois d'œuvre, du bois industrie puis du bois énergie. Dans cet ordre ! » Le ton est donné.
Pas de montant compensatoire
Si le représentant forestier est ferme, c'est que cette idée qui s'insinue dans les esprits joue évidemment en faveur de l'aval. Le prix du bois dans les forêts est très bas. Trop. « En 1963, on payait 20 heures de travail avec un mètre cube de bois, a fait le calcul Jean-Louis Rebuffet. En 2008, c'est seulement deux heures... » Alors « si la forêt ne paie plus, on récolte et on ne se préoccupe plus de replantation. Cela ne se verra que dans quatre, cinq ou six décennies ». L'homme est intéressé par les chiffres : « Le septième de la valeur d'un chevron revient au producteur. 3% de la valeur finale d'un parquet en chêne et seulement 1/150° pour une baguette de bois décorative. » Les chiffres parlent.
Le président du GSB fait le rapprochement avec la valeur d'un yaourt : « seulement 1/8 revient au producteur », affirme-t-il. « D'où la compensation européenne au travers de la PAC pour maintenir l'agriculture. En forêt, il n'y a pas de montant compensatoire, car peu de personnes vivent de la forêt. Mais si on doublait le prix du bois sur pied, le prix d'une lambourde passerait de 4,45 euros l'unité à 4,60 euros. » Ce ne serait dramatique ni pour les maillons de la chaîne ni pour le consommateur final. Et éviterait beaucoup de travers. « La faible rentabilité entraîne une perte de culture forestière de la part des propriétaires. Ils s'occupent moins de leur forêt et des pratiques, donc ils perdent des références. Ils sont donc en position de faiblesses par rapport aux acheteurs aguerris et concentrés. » Une spirale plutôt négative. « Du coup, les plantations sont en baisse : 60 millions de plants en France alors que la Turquie en plante 1 milliard et l'Allemagne 300 millions à elle toute seule. » Le réveil va être douloureux. « Les bois les plus faciles d'accès, donc les moins chers sont surexploités. Certains propriétaires font de la rétention pour attendre des jours meilleurs, mais la forêt vieillit et ce n'est pas mieux. »
Convoitée
Si Jean-Louis Rebuffet décrit un paysage aussi sombre, c'est pour attirer l'attention des décideurs sur la nécessité d'agir. Car il croit en la forêt de Belledonne. « Cette forêt ne ressemble pas aux autres. Elle possède des essences recherchées, des épicéas aux belles qualités mécaniques, mais aussi des feuillus et une belle diversité. C'est une forêt regardée, observée parce qu'elle est visible de loin dans la vallée. Des dizaines de milliers de personnes la voient. Elle est donc visitée (par les touristes), mais aussi broutée (par la faune sauvage), convoitée (par les acheteurs de bois) car implantée sur d'anciennes parcelles agricoles. »
Alors, il s'y passe des choses. « Deux dessertes ont été réalisées cette année grâce à l'ASA(1), rappelle Pascal Guillet, technicien du CRPF (2). Cinq autres projets sont en cours pour désenclaver des parcelles, ou faciliter les chargements en toute sécurité. » Mais le technicien forestier attire lui aussi l'attention sur le problème de plantation renforcé en plus par une rupture de stock de plants de douglas. La sécheresse 2018 est un des facteurs principaux. Il alerte d'ailleurs les propriétaires sur « les risques de scolytes au cours du printemps. Un million de m3 en recèlent en France. L'apparition de sciure sur les résineux doit entraîner une réponse très rapide : l'abattage immédiat et la sortie des bois pour éviter une propagation ».
Pour sa part David Billaut, technicien du service forêt de la chambre d'agriculture de l'Isère, insiste sur les opérations de regroupement pour une gestion durable et raisonnée des forêts. « Une massification des travaux permet d'augmenter l'offre de bois intéressante pour les acheteurs et évite la solution de coupe à blanc quasi inévitable pour un propriétaire seul. »
Le groupement des sylviculteurs de Belledonne regroupe presque 400 propriétaires. Il a donc atteint une masse intéressante pour gérer la forêt. Mais son président indique la voie de la rémunération supplémentaire des aménités forestières. Ce vocable regroupe des services rendus à la société mais non rémunérés : la qualité des paysage, de l'eau , de l'air, de biodiversité. Il faudra que les politiques les prennent en compte. C'est vital.
(1) Association syndicale autorisée
(2) Centre régional de la propriété forestière