Une réserve refuge de sangliers
La réserve naturelle du Grand-Lemps sert aussi de refuge aux sangliers qui occasionnent de lourds dégâts dans les cultures alentour. Une réunion de terrain était organisée avec les parties concernées.
« Nous subissons des dégâts depuis plus de vingt ans. Au printemps dans les prairies, à l’automne dans les maïs, relate Pierre Guillermin, ancien propriétaire de la ferme du chemin du lac, située à Châbons en lisière de la réserve naturelle du Grand-Lemps. Nous faisons des déclarations chaque année. »
Fin octobre, la Chambre d’agriculture de l’Isère a réuni les acteurs concernés par le problème de dégâts de gibier dans le secteur, la pression des sangliers, qui se réfugient dans la zone naturelle, étant devenue intenable pour les agriculteurs des exploitations alentour. À l’issue de la rencontre, ils ont formulé plusieurs demandes qu’ils ont fait remonter au service environnement de la DDT concernant l’élargissement de la période de chasse, l’installation de miradors et la possibilité d’effectuer un comptage des sangliers par drones.
Un problème ancien
« C’est bien parti pour une année où ça va gratter, se désole Dorian Nemoz, le nouveau propriétaire de la ferme du chemin du lac. J’ai planté des noyers la première année de mon installation et maintenant, j’ai des gros trous. »
Il y aurait entre 60 et 80 sangliers dans le secteur. « Le problème majeur est la gestion et la régulation des sangliers qui ont un impact autour de la réserve, présente Hubert Avril, référent faune sauvage à la Chambre d’agriculture de l’Isère. La réserve leur sert de refuge et cela, malgré les actions de chasse. Le problème existe depuis longtemps, mais prend des proportions importantes. Beaucoup d’agriculteurs en pâtissent au quotidien. »
Créée en 1993, la réserve naturelle de la Tourbière du Grand-Lemps s’étend sur une superficie de 50 ha sur deux communes : le Grand-Lemps et Châbons. Elle est gérée par le Conservatoire d’espaces naturels de l’Isère. Un lac de 7 ha occupe son centre. Des chemins permettent au grand public de s’y balader à la découverte de la faune et de la flore. Un périmètre de protection de 50 ha entoure également le site. « C’est une réserve ornithologique, qui n’a pas été créée pour les sangliers. C’est un problème qui n’a pas été envisagé au départ », fait remarquer Yves Thuillier, lieutenant de louvèterie qui a géré le secteur pendant trois ans.
Installer des miradors
La réserve naturelle fait l’objet d’une chasse privée que se partagent les 16 propriétaires de l’étang dans le cadre d’une SCI. Ils ont le droit de chasser entre début septembre et le premier dimanche de janvier de l’année suivante. « C’est là où commencent les problèmes, lorsqu’on ne peut plus chasser. Les sangliers sont tranquilles », souligne Joël Jenet, chasseur et responsable de la SCI. Il fait part des difficultés à effectuer des battues, en raison « d’un milieu de plus en plus hostile » — où les chiens n’ont aucune utilité — et qui mobilise de nombreux traqueurs prêts à se faufiler dans la végétation. Il estime que la chasse à l’affût – mais limitée en termes de réglementation de la réserve — est adaptée au milieu.
Pierre Guillermin, qui est également chasseur, rappelle l’achat de six miradors dont l’installation a été refusée car le bois était traité. « Donc on les a changés. Puis nous avons eu l’autorisation d’en placer trois, dans des endroits décidés par la réserve et pas forcément efficaces. Nous devons les enlever après la période de chasse, y compris les piquets en bois de châtaignier ».
Il ajoute : « Ce sont les agriculteurs qui subissent les dégâts et les chasseurs qui payent. Nous demandons depuis 20 ans un arrêté ministériel pour que les choses évoluent. »
850 000 euros de dégâts
Alain Perrin, administrateur de la Fédération départementale de chasse de l’Isère, abonde en ce sens. « Dans les zones non chassables, les chasseurs payent les dégâts des sangliers qu’ils ne peuvent pas chasser. » Hubert Avril signale « une volonté, au niveau national, de faire évoluer la réglementation pour réguler les grands gibiers car le budget des dégâts payés par les chasseurs explose ». Il estime que les élus locaux doivent être sensibilisés à ces questions.
François José, le vice-président de la FDCI, indique que cette année, la fédération a atteint son maximum d’indemnité en payant 850 000 euros de dégâts dans le département. Ce montant s’élève à 80 millions d’euros au niveau national. Le responsable de la FDCI réclame l’autorisation de survoler la réserve par drone pour faire le comptage des animaux, confirmant le déséquilibre de la faune.
Jérôme Crozat, le président de la FDSEA et vice-président de la Chambre d’agriculture de l’Isère, conclut la réunion en soulignant que le milieu professionnel est sous pression, tous comme celui des chasseurs. « Nous devons faire front et défendre le milieu rural. Nous avons amélioré nos échanges entre la FDSEA et la FDCI et nous n’avons que le droit de réussir. Nous sommes les premiers acteurs du territoire. »
Isabelle Doucet
« Chaque année, je déclare des dégâts »
En faisant l’acquisition de la ferme du chemin du lac à Châbons, Florian Némoz savait les ravages causés par les sangliers.
Ses parents ont une ferme à Izeaux dans laquelle il a fait ses armes. Dorian Nemoz a acquis l’exploitation de Pierre Guillermin à Châbons en 2023. La ferme laitière du chemin du lac compte un troupeau de 85 montbéliardes à la traite et une SAU de 92 ha, entre prairies et maïs ensilage. Le jeune agriculteur de 24 ans travaille avec son frère en apprentissage. « Chaque année, je déclare des dégâts de gibier, explique-t-il. On m’avait mis au courant quand j’ai repris la ferme. Tout le monde me disait de ne pas acheter ici, mais un ancien m’a dit : tu fais le coup de ta vie. Et c’est vrai qu’il y a des contraintes, comme dans toute ferme qu’on rachète. » Le montant de la transaction s’élève à 750 000 euros, comprenant le bâti, 60 ha de terres et une bonne partie du matériel. Le jeune agriculteur apprécie la proximité de la ferme de ses parents ainsi que celle d’autres jeunes installés. « Il faut que les personnes qui ont le pouvoir fassent entendre aux autres de mettre en place des choses », plaide-t-il, confronté au problème des sangliers. Il cite en exemple l’installation des barrières pour éviter les dégâts de gibier. « Ce n’est pas à moi de le faire, mais je veux bien aider les chasseurs », lance-t-il.
ID