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Lait

Une stratégie à construire pour les éleveurs laitiers de saint-marcellin

Lors de l'assemblée générale de l'Union des producteurs laitiers du saint-marcellin, Patrick Ramet, président de l'interprofession laitière des Savoie, a donné quelques clés pour soutenir et développer les filières fromagères sous signe d'identification de la qualité.
Une stratégie à construire pour les éleveurs laitiers de saint-marcellin

Ce qui est agaçant, avec les Savoyards, c'est que l'on a l'impression que tout ce qu'ils touchent se transforme en or. Ce n'est qu'une impression. Car il ne suffit pas toujours de mettre une croix rouge et blanche sur un produit pour qu'il se vende, contrairement à ce que prétendent certains esprits jaloux. Il faut aussi déployer pas mal d'énergie. C'est en tout cas ce qu'a expliqué Patrick Ramet, producteur de lait en Haute-Savoie et président de l'interprofession laitière des Savoie (ILS), lors de son intervention à l'assemblée générale de l'Union des producteurs laitiers du saint-marcellin, le 29 février dernier. Parce qu'un prix de base à 420 euros (en l'occurrence celui perçu par Patrick Ramet) ou à 510 euros (payé par la coopérative de Yenne), ça ne s'obtient pas comme ça. Ce qui n'empêche pas le responsable de déclarer que « le prix du lait n'est jamais déterminant dans la performance des exploitations ». Pour lui, ce qui compte, c'est le gain de compétitivité et la tactique. « Il n'y pas de solution miracle, mais il y a une stratégie à construire, martèle-t-il face à des producteurs de lait en pleine tourmente. En France, contrairement à certains autres pays européens, on refuse de parler des marges de progrès dans les exploitations. Dès qu'on lui parle de compétitivité, l'exploitant français le prend mal, alors que nous avons tous des points sur lesquels nous pouvons nous améliorer pour gagner quelques euros sur les coûts de production. » Et Patrick Ramet d'ajouter que, « même si personne ne le dit, la filière française est la filière malade de l'Europe » et que, pour les producteurs européens les plus dynamiques, la crise est « l'occasion de nous mettre à genou ». Dans la salle, le discours fait grincer quelques dents, mais un bon nombre de producteurs ont déjà compris qu'il fallait « changer de logiciel ». C'est d'ailleurs un des axes de travail de l'OP saint-marcellin pour 2016.

Connaissance fine de la filière

Pour Patrick Ramet, président de l’interprofession laitière des Savoie, il faut miser sur les gains de compétitivité pour améliorer le revenu des éleveurs.

Prenant le contrepied de propos anti-européens très en vogue actuellement, l'exploitant savoyard a poursuivi son exposé en démontrant que le paquet lait de la nouvelle Pac représentait une opportunité à saisir, car il « offre beaucoup de possibilités pour les fromages sous signe d'identification de la qualité et de l'origine » (SIQO). Les dispositions de la Pac autorisent en effet la mise en place d'outils spécifiques pour développer la promotion, la recherche, l'innovation et l'amélioration de la qualité. Il permet notamment la création d'un observatoire de la filière pour les fromages SIQO. C'est ce qu'a fait l'interprofession savoyarde, qui dispose ainsi d'une foule d'informations précises sur les volumes produits, la saisonnalité, les stocks ou la commercialisation, autrement dit « une vraie connaissance objective de l'état de notre filière », précise Patrick Ramet.
Autre disposition intéressante en ces temps de dérégulation : l'instauration de « règles de régulation de l'offre » (RRO) pour les appellations d'origine et les IGP. Ce dispositif de régulation temporaire, possible sous certaines conditions, permet d'ajuster l'offre à la demande à travers une régulation annuelle, un écrêtement mensuel et des dégagements ponctuels. Les producteurs de beaufort et de reblochon ont été les premiers à les mettre en place, les autres productions savoyardes suivront cette année et l'an prochain.

OP de services

Enfin, le paquet lait autorise la création d'OP ou d'organisation d'OP (AOP). Ces organisations peuvent être montées « pour autre chose que négocier des prix et des volumes », lance Patrick Ramet. Il cite l'exemple d'Arvi, une association savoyarde de services qui fonctionne depuis deux ans (90% des coopératives y adhèrent) et dont la vocation est de « partager solidairement la déclinaison du RRO au niveau du volume de lait producteur ». Arvi gère ainsi la base de données producteurs, s'occupe de la gestion administrative (déclaration France Agrimer, service facturation) et s'assure de la mise en conformité du règlement intérieur des coopératives et des contrats de vente de lait (les producteurs ont accepté le principe : volumes/prix différenciés). Et le Savoyard lance à l'adresse de ses collègues isérois : « Actuellement, vous avez une OP de négociation. Sans doute devriez-vous mettre en place une AOP de services, non pas pour négocier le prix du lait, mais pour faire le lien entre les différents acteurs de la filière saint-marcellin. »

Marianne Boilève

 

Union des producteurs laitiers du saint-marcellin

Producteurs et chefs d'entreprise

Après avoir brossé un état des lieux de la filière saint-marcellin (145 producteurs de lait IGP pour un volume de lait d'environ 37,5 millions de litres, collectés par cinq entreprises), Thomas Huver, animateur de l'OP, a rappelé la nécessité de « faire coller l'offre à la demande ». La zone de production saint-marcellin fait une nouvelle fois apparaître un excédent de lait IGP de 13 millions de litres. Et si la collecte a augmenté de 4 % entre 2014 et 2015, tout le lait n'est pas valorisé en saint-marcellin et le marché continue de s'effriter de 3 à 4% par an (- 4,17% en 2014).
« Ce qui nous gêne, nous producteurs, c'est que nous avons un fromage un peu compliqué : il ne se stocke pas, constate Eric Juven, producteur à Geyssans, dans la Drôme. Il y a une grosse demande en fin d'année, mais au premier janvier, plus personne n'en veut. Il faut faire comprendre aux industriels qu'ils doivent travailler à développer le saint-marcellin, et ne pas tout miser sur le saint-félicien ! » Jean-Michel Bouchard, président de l'OP, le rejoint : « A la fromagerie du Dauphiné, Marc Maisonobe nous a dit qu'il ne serait pas le fossoyeur du saint-marcellin, mais on peut se poser des questions : ils n'ont pris aucun engagement concernant les volumes ! » D'où la nécessité, pour les producteurs, de « changer dans [leur] tête » : « Nous devons apprendre à devenir les commerciaux de notre produit », insiste M. Bouchard qui propose de mettre en place une organisation de l'OP plus efficace, quitte à « payer quelqu'un pour négocier les prix », et de « se donner les moyens de contrer la stratégie des entreprises ».
Plus généralement, « comment fixer le lait sur le secteur ? », se demandent les producteurs. Faut-il se résoudre à lancer une étude de faisabilité pour développer une nouvelle IGP pour le saint-félicien ? Sans doute. En tout cas, « on a une grosse remise en question à faire », lance un producteur de Miribel-les-Echelles, qui estime qu'il faut « raisonner en chef d'entreprise et non plus en amateur ». Un discours que Jean-Michel Bouchard a parfois du mal à faire passer.
MB