Syndicalisme
L’agriculture face au défi énergétique

Isabelle Doucet
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Pas d’agriculture sans énergie pour la produire : réunis en congrès, les adhérents de la FDSEA de l’Isère ont exploré les pistes pour relever les défis énergétiques auxquels la profession est confrontée.

L’agriculture face au défi énergétique
Quelles énergies pour produire l'agriculture de demain ?

« Les agriculteurs sont les premiers écologistes de France », fait valoir Michel Joux, président de la FRSEA Aura, lors du congrès de la FDSEA de l’Isère, le 10 mars à Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs.
Il estime que l’agriculture ne peut relever les défis, notamment énergétiques, qui se présentent à elle sans une réelle volonté politique : « des règles du jeu qui se traduisent par une loi ».



Sur le thème du débat : « Énergie, entre hausses des charges et opportunités, comment relever les défis de demain », le responsable régional estime que « produire de l’énergie ne peut se faire à n’importe quel prix, ni dans n’importe quelle condition. La valeur ajoutée doit revenir dans la cour des fermes, avec des charges maîtrisées, permettant d’installer des jeunes ».

Energie et alimentation

Jérôme Crozat, le président de la FDSEA de l’Isère, veut ouvrir « un débat serein, pour savoir quoi produire et tracer le sillon des générations futures ».
Il ajoute : « Nous ne voulons pas laisser la parole juste au maire de Grenoble et à ses amis, qui sont capables de démonter des bassines et dire qu’ils ont besoin d’eau pour leur économie. »
Pour Yannick Fialip, administrateur à la FNSEA, trois solutions s’offrent au monde agricole sur le long terme : la sobriété, la production et l’autoconsommation d’énergie.

Yannick Fialip


Il rappelle, si besoin est, qu’« énergie et alimentation sont très liées et les choix énergétiques qui ne vont pas dans le bon sens, qui ont produit la faillite de la production électrique, mettent des filières agricoles en péril ».

Une entente globale

« L’énergie n’est pas le seul souci », ajoute Jean-François Charpentier, président de l’association des irrigants de l’Isère (ADI). Il pointe la nécessité « de continuer à irriguer sereinement ».
Le développement des réseaux est « la meilleure assurance climatique », indique-t-il en insistant sur la transparence de l’agriculture sur l’usage de l’eau. Il dénonce la spéculation sur l’énergie qui a rendu « les coûts insupportables » pour les irrigants « malgré les aides promises ».
La capacité maximale de pompage étant 60 M m3 en Isère, il faudrait installer une quarantaine d’hectares de panneaux photovoltaïques pour autosatisfaire les besoins électriques.
« Les projets ne passeront que s’il y a une entente globale du monde agricole », ajoute Jean-François Charpentier.

Jean-François Charpentier

Trois communautés de communes, Bièvre Isère communauté (BIC), Entre Bièvre et Rhône (Eber) et Vienne-Condrieu sont activement à la recherche de foncier pour des installations photovoltaïques qui profitent à toutes les agricultures.

Mises en garde

Vincent Chriqui, vice-président du département de l’Isère, a assuré du soutien de la collectivité pour toutes les initiatives en matière d’énergies renouvelables portées par les agriculteurs ou compatibles avec leur activité : méthanisation, photovoltaïque, bois, géothermie.
En tant que vice-président de la Chambre d’agriculture de l’Isère en charge des dossiers fonciers, André Coppard formule d’importantes mises en garde.
« Il n’y a pas que le foncier pour l’installation des panneaux photovoltaïques, mais des toitures, des parkings, des terrains sans intérêt. Pourquoi n’y a-t-il aucun panneau dans les zones logistiques ? », interroge-t-il.
Il rapporte que nombre de dossiers sont examinés en CDPENAF, consommateurs sans honte d’espaces agricoles. « Les investisseurs traitent avec les propriétaires et pas avec les exploitants. » Le responsable décrit une situation de course contre la montre.
Certes il existe une doctrine départementale et la commission ne délivre que des avis simples, selon lesquels, les projets ne peuvent pas sortir de terre, mais le décret gouvernemental, visant à protéger les terres agricoles, tarde et les acteurs de l’énergie font le forcing.

Potentiel et éloignement

« Il faudrait déclarer l’agriculture d’utilité publique ! », s’est exclamé Jean-Pierre Michallat, coprésident de la section des fermiers-métayers.
Interpellée sur l’engouement des fournisseurs d’énergie pour les énergies renouvelables, Marie Sara-Contreras, chargée d’affaires chez TotalÉnergies renouvelables, confirme la « bascule vers le mix énergétique » du géant.
Elle assure « développer de vrais projets pour les agriculteurs en matière d’agrivoltaïsme, en partenariat avec la FNSEA depuis un an ».
En termes de foncier, le modèle s’appuie sur le bail rural. Total est positionné sur deux types de projets : photovoltaïque au sol et panneaux sur trackers qui « limitent l’emprise au sol » et proposent « des réponses technologiques » aux problématiques en élevage (ombre) et arboriculture (eau), ainsi que pour produire de l’énergie matin et soir.
L’énergie est revendue, autoconsommée ou vendue à une société ou une collectivité. La centrale est gérée par une société photovoltaïque (SPV) dont le capital est ouvert à tous.
« Mais Total va-t-il aller voir ce qui se passe en montagne ? », a lancé Guy Durand en exposant les besoins du Vercors. Car il en va ainsi de nombreux sites potentiels, écartés en raison de leur éloignement des réseaux.



« Les sujets se croisent entre développement de l’énergie et protection du foncier agricole. Mais nous ne partons pas d’une feuille blanche en Isère », a conclu Pauline Crépeau, la responsable du service agriculture de la DDT.
Elle a souligné le travail de la Chambre d’agriculture de l'Isère, l’inventaire des friches en cours dans certaines collectivités et les 22 points de la doctrine départementale qui sont autant de garde-fous.

Isabelle Doucet

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Protéger l’agriculture
Yannick Fialip, administrateur de la FNSEA.

Protéger l’agriculture

La FNSEA présentera son rapport d’orientation lors de son congrès qui se déroulera à Angers du 28 au 30 mars. Yannick Fialip, administrateur du syndicat national, dévoile les pistes qui seront étudiées.

Pour Yannick Fialip, administrateur de la  FNSEA en charge de la commission économique, il est important que l’agriculture soit structurée. Pour cela, trois notions seront débattues dans moins de deux semaines lors du rapport d’orientation de la FNSEA qui sera présenté en congrès à Angers, avec comme fil conducteur « entreprendre en agriculture ».
L’actif agricole est actuellement « l’élément qui manque pour maintenir un niveau de production agricole » décent dans le pays, juge l’administrateur national.
La France a perdu environ 100 000 agriculteurs entre 2010 et 2020, des fermes ne sont pas reprises, des filières sont en rupture d’approvisionnement… « Nous sommes face à un défi de renouvellement. »
Selon Yannick Fialip, à l’avenir, il faudra peut-être davantage miser sur le salariat ainsi que sur le maintien des structures familiales « pour conserver une production importante au niveau mondial ».
Qui plus est, des projets novateurs arrivent en France, car « les jeunes sont plus soucieux de valeurs que de volumes, explique-t-il. Ils veulent aller plus loin ». Et en ce qui concerne les personnes n’étant pas issues du monde agricole, « il faudra voir comment les accueillir : il s’agit de la solidarité des syndicats agricoles ».
Sur le volet économique, l'administrateur estime que la loi Egalim de 2017 n’est pas allée assez loin car elle était « trop règlementaire au sujet de l’environnement et ne sécurisait pas assez l’agriculture ». Egalim II, en revanche, semble plus sécurisante, mais reste à voir comment la situation évolue sur le long terme, car « 25% de hausse sur l’alimentation, jamais nous n’aurions pu imaginer cela ».
Enfin, la FNSEA devra s’accaparer le dossier de la transition alimentaire. « A travers le Covid-19, nous avons rencontré des éléments nous rappelant que nous pouvions être en difficulté : tous les échanges commerciaux peuvent être arrêtés en raison d’un problème sanitaire, explique Yannick Fialip. Et la guerre en Ukraine rappelle que commercer avec n’importe qui et n’importe comment, cela a ses limites. »

MP

Eviter l'accaparement des terres
Marion Charpentier, juriste, présente la loi Sempastous.

Eviter l'accaparement des terres

La loi Sempastous « a pour objectif de lutter contre la concentration excessive des sociétés étrangères qui échappent au contrôle des Safer et l’accaparement des terres agricoles », explique Marion Charpentier, juriste à la FDSEA de l’Isère.
L’idée est d’apporter de la transparence sur les cessions des parts sociales et de cibler les opérations conduisant à la prise de participation dans des sociétés agricoles par une personne physique ou morale.
L’arrêté du 15 février 2023 fixe le seuil d’agrandissement appliqué en Isère à 108 hectares, ce qui signifie que toute exploitation agricole qui exploitera du terrain sera soumise à un contrôle si deux conditions cumulatives sont réunies. Lorsqu’un associé entre dans la société et détient directement ou indirectement la majorité des droits de vote en assemblée générale, donc s’il achète plus de 50 % du capital social de la société ciblée et qu’elle a plus de 108 hectares, il y aura contrôle.
Il peut y avoir présomption de contrôle si l’associé détient plus de 40 % des droits de vote et que les autres en ont moins. Et en plus de cela, un contrôle sera opéré si le seuil de 108 hectares est dépassé, par addition de toutes les surfaces agricoles exploitées ou possédées et correspondant à 2 % de la SAU régionale.
Certaines exemptions au contrôle seront néanmoins faites pour les opérations réalisées par la Safer et dans le cadre familial.

Pour plus de renseignements : Marion Charpentier, juriste à la FDSEA de l’Isère, 04 76 20 67 65.