Prédation
« La saison se présente mal »

Isabelle Doucet
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Les attaques de loups sur bovins ont précédé la montée en alpage des ovins, nourrissant la plus grande inquiétude dans le monde de l’élevage, à la veille du prochain Plan national loup.

« La saison se présente mal »
Affiche humoristique sur le loup à Peaugres.

91 vaches égarées dans l’alpage de Valbonnais dont une blessée, 14 qui ont déroché sur l’alpage de Gresse-en-Vercors, sept génisses ensauvagées à La Salette : la liste est longue des bovins qui ont subi des attaques de loups en ce début de saison d’estive. Cela, à la veille des grandes transhumances ovines.
Autant dire que le monde de l’élevage est sur le qui-vive.
« J’habite à côté de l’alpage de Valbonnais, témoigne Christian Charles, éleveur et maire de Saint-Michel-en-Beaumont. J’ai subi trois attaques sur bovins et ovins en une semaine sur mon exploitation. J’ai perdu neuf brebis et deux broutards. Un d’entre eux n’a pas été reconnu par l’administration car il a été retrouvé trop tard (1), les vautours étaient passés. C’est une honte. Depuis la première semaine du mois de mai, on entend les loups tous les soirs et les chiens de protection n’arrêtent pas d’aboyer. »

« C’est invivable »

Christian Charles fait partie de la poignée d’éleveurs qui ont monté les vaches à l’alpage de Valbonnais la semaine dernière. Il s’agit d’un troupeau de près de 300 bovins.
Dans la nuit de dimanche à lundi 12 juin, les bêtes ont subi une attaque du loup, ont cassé les clôtures et se sont éparpillées dans la montagne et la forêt.
« Elles sont parties du côté de Saint-Michel-en-Beaumont, Saint-Laurent-en-Beaumont et se sont mélangées aux autres troupeaux », relate Cédric Fraux, président des JA et éleveur en Matheysine, qui a aussitôt été alerté.
« J’en ai récupéré 5 dans un parc, confirme Christian Charles, elles sont toutes apeurées. Il va falloir les flécher. J’avais des bêtes calmes et en deux jours, c’est devenu un truc de fou. Il y a des lots éparpillés, on ne peut pas les approcher. » Une semaine après, une vingtaine de bovins manquaient encore à l’appel.
« Ce sont des soucis et du stress, poursuit le maire de Saint-Michel-en-Beaumont. Il va falloir encore du temps pour tout récupérer. C’est invivable. »

Tirs de défense

« Une meute avérée tourne autour du Beaumont et de La Salette, explique Cédric Fraux. La vache blessée, qu’il a fallu euthanasier, portait des traces de griffures. »
Les éleveurs étaient dans l’attente de l’autorisation de tirs de défense sur l’alpage.
Problème, ceux-ci ont été suspendus depuis le 12 mai. Le protocole ne devrait être réévalué que début juillet.
Toutes les demandes passent par le préfet référent après que les traces d’attaques ont été reconnues.
Pour l’heure, il n’y a que des autorisations de tir pour les exploitations où il y a eu des attaques, notamment à Saint-Michel-en-Beaumont.

Des pertes financières et de capital

« La saison se présente mal, commente Fabien Mulyk, vice-président du département à l’agriculture et maire de Corps. Les éleveurs passent des heures à chercher leurs bêtes, ce sont des pertes financières et de capital. Parce qu’avec la limite de déclaration de 72 heures, les indemnisations ne marchent plus. »
Également chasseur, l’élu décrit « une situation paradoxale, avec un hiver calme, l’absence d’impact sur le gibier. Mais dès que les bêtes sont sorties, ça a été la catastrophe. Il y a une meute sur chaque montagne. Les témoignages nous affluent de toute part. Le problème c’est que les départements des Alpes-de-Haute-Provence et des Hautes-Alpes ont beaucoup prélevé depuis le début de l’année et le préfet Jean-Paul Célet, référent du Plan national loup, freine les autorisations de tirs de défense. »
Fabien Mulyk constate aussi que si les protections peuvent marcher sur les troupeaux ovins, il n’y a rien qui fonctionne pour les bovins « qui présentent une masse de viande disponible importante ».
Il mesure déjà les dégâts collatéraux. « À Côte Belle, un randonneur qui connaît pourtant bien les chiens s’est fait attaquer par trois bergers d’Anatolie. »

« Il faut des avancées »

Dans cette ambiance lourdement prémonitoire, une délégation iséroise de trois agriculteurs et agricultrice, Valérie Séchier, vice-présidente de la FDSEA de l'Isère, Guy Durand, administrateur et Cédric Fraux, président des JA38 s’est rendue aux Assises de la prédation organisée début juin par le CAF Loup (2) à Chorges dans les Hautes-Alpes.
Objectif : affirmer ses positions, faire valoir ses arguments en pleine élaboration du prochain Plan national d’action sur le loup et les activités d’élevage.
« C’est toujours la même chose : les conférences de l’Inrae et du Cerpam concluent que ce sont les tirs les moyens les plus efficaces pour protéger les troupeaux », rapporte Cédric Fraux.
Si le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau a préféré échanger en visioconférence plutôt qu’en présentiel, en revanche, Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires chargée de l’Écologie, s’est contentée d’une vidéo préenregistrée.
Qu’à cela ne tienne, les professionnels ont pris rendez-vous avec elle. « Il faut des avancées, reprend Cédric Fraux, pas un plan national pour la sauvegarde du loup, dont l’objectif a été bien rempli, mais pour la sauvegarde du pastoralisme. Nous demandons la simplification des tirs, la création de brigades, la professionnalisation des louvetiers. »
Près de 200 professionnels étaient réunis, issus de tous les départements et parlant d’une même voix.
Guy Durand souligne notamment la présence d’Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, de Christiane Lambert, présidente de la Copa, le Comité – européen – des organisations agricoles, Arnaud Gaillot, président de JA et Jérémy Decerle, ex-président de JA et député européen.

Se défendre

« Les débats étaient menés par Patrick Bénézit, le président de la FNB », précise l’Isérois.
« Ces assises mettent la pression sur le Gouvernement et les décideurs. Le préfet Célet a assisté à tous les débats. Il entend les choses. Le problème, c’est le taux de prélèvement de 19 %, soit 174 loups, alors même qu’il y a plus de 1 000 loups et que lorsque l’on compte le grand gibier, il faut en éliminer 25 % du nombre de l’année d’avant. Pourquoi ne pas appliquer cette règle au loup ? »
Il conclut : « Il faut que l’on puisse se défendre lorsqu’on est attaqué, en tuant des loups. »

Isabelle Doucet

(1) Passé le délai réglementaire de 72 heures
(2) FNSEA, JA, FNO, Chambres agriculture France.

Lire aussi l'article : A récit commun, responsabilités communes

Passer à l’action
Une réflexion sur les msures d'urgence face à la prédation est menée sous l'égide de l'Espace Belledonne.

Passer à l’action

Face à l’accroissement de la prédation, l’Espace Belledonne pilote des travaux de réflexion pour la mise en place de mesures d’urgence.

La situation se tend aussi en Belledonne où la pression lupine est, chaque année, plus importante sur les alpages et autour des exploitations.
L’Espace Belledonne, association qui fédère les acteurs publics et privés du territoire a pris la mesure de cette problématique et organise des rencontres d’échanges baptisées Belledonne en partage.
Mais aujourd’hui, il y a urgence. « Il est temps de passer à l’action », indique Jacqueline Rebuffet, éleveuse à Laval et élue à la Chambre d’agriculture de l’Isère, lors d’une rencontre organisée le 7 juin dernier à La Pierre.
Car l’état des lieux, dressé par le groupe de travail composé de la Chambre d’agriculture de l’Isère, de la Fédération des Alpages de l’Isère, de la Société d’économie alpestre de Savoie et du Laboratoire en sciences sociales Pacte, est assez alarmant.

Des mesures d’urgence

La prédation apporte une surcharge de travail aux éleveurs ; les pratiques changent ; le système herbager recule au profit de l’achat d’aliments et au détriment de la valorisation des ressources du territoire ; les parcelles excentrées, trop exposées au risque, s’enfrichent ; les conflits d’usage se multiplient, plus particulièrement avec les chiens de protection et l’augmentation des pratiques récréatives etc.
« Les gens qui défendent le loup ne voient pas ce côté des choses, explique Jean Raffin, agriculteur à Laval. Il faudrait qu’ils voient le travail qui est fait en alpage et cessent de jouer à se renvoyer la balle. »
C’est collectivement que les mesures d’urgence ont été listées, base d’une future réflexion à conduire dans le territoire, assorties, espèrent les usagers et en premier lieu les éleveurs, d’actions. Le principe de réalité a prévalu : comptage du loup ; régulation organisée ; prélèvements de meutes, facilitation des tirs de défense pour les chasseurs, éleveurs et bergers ; venue des écobénévoles de Férus en aide dans les alpages ; installation d’abris d’urgence pour les bergers qui interviennent quand le troupeau est éloigné ; appui technique et logistique pour les éleveurs moins habitués à la prédation ; expérimentation des hérens pour protéger les troupeaux ; introduction de chiens dans les troupeaux bovins ; formation des bergers ; formation des éleveurs qui veulent prendre un chien de protection ; amélioration des conditions de vie des bergers ; partage d’expériences et d’informations ; comprendre la raréfaction de la faune sauvage ; recréer du lien ; sensibiliser le grand public avec la présence d’un médiateur en alpage comme l’été dernier ; installation de panneaux ; mise en ligne d’une carte avec la présence des chiens de protection ; diffusion de supports d’information ; réapprendre les règles d’usage des espaces montagnards à ceux qui les fréquentent etc.
Toutes ces propositions ont nourri des débats, mais certains participants ont posé des questions revenant à la base du problème, c’est-à-dire sur « le bien-fondé de la présence du loup ? » ou « Pourquoi a-t-on éradiqué le loup au siècle dernier ? »
Si la volonté est d’élaborer un discours commun comme dans le Vercors dans le cadre d’un espace de dialogue, il apparaît que les attentes sont fortes avant tout pour une meilleure gestion du loup, dont la présence a totalement déséquilibré les activités montagnardes. Les premières actions devraient être mises en place fin 2023.
Isabelle Doucet

 

Le loup en chiffres

22 meutes confirmées en Isère, présence dans : Coulmes, Vercors Nord, Herbouilly, Vercors hauts Plateaux, Trièves sud-ouest, Durbon Jocou, Sénépy, Belledonne sud, Belledonne centre, Belledonne nord, eau d’Olle, Grandes Rousses, Sarenne, Emparis, Vénéon, Valbonnais, Beaumont, Tabor, Taillefer.
Quatre zones de colonisation : Terres froides, Bièvre Chambaran, Chartreuse
Début juin, il y avait déjà eu 75 attaques et 198 victimes.
Nombre de tirs autorisés en Isère : 241 tirs de défense simple ; 3 tirs de défense renforcée ; 0 tir de prélèvement.
3 loups retrouvés morts accidentellement
1 loup prélevés par TDS
Le plafond national est de 174 loups (estimation de 19 % de l’effectif total)
55 loups ont déjà été prélevés (contre 24 à la même époque en 2022)